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L'orient le Jour
C’est un accueil surprenant
de joie que les catholiques du Liban ont réservé hier aux reliques de sainte
Thérèse de Lisieux. L’arrivée du reliquaire, son transfert vers l’église du
couvent de Notre-Dame de Loueyzé ont été l’ocasion d’une extraordinaire et
touchante manifestation de foi. L’accueil rappelait celui qui avait été
réservé, en 1997, au pape Jean-Paul II et, quelques années auparavant, au
père Émilien Tardif. La joie se lisait sur tous les visages, mélangée
parfois aux larmes.
Le reliquaire est arrivé à 16 heures, à bord du vol de la MEA venant de
Paris. Rangé dans un caisson blanc sur lequel sont collées des images du
visage extraordinairement apaisé de sainte Thérèse de Lisieux, prises
immédiatement après sa mort, et sur lesquelles ont pouvait lire : « Je ne
meurs pas, j’entre dans la vie », il a été descendu avec précaution d’une
soute spéciale située à l’avant de l’Airbus.
Le reliquaire a été dégagé de son conteneur et transporté par six moines,
trois mariamites et trois pères carmes, vers une petite table placée devant
le salon d’honneur de l’AIB. Là, une courte cérémonie s’est déroulée au
cours de laquelle le P. François Eid, supérieur général de l’Ordre mariamite,
a prononcé une courte intervention et Mgr Harb prononcé une prière spéciale.
Rangeant sainte Thérèse parmi les mystiques et affirmant qu’elle peut aussi
être un message pour les musulmans, le P. Eid a affirmé que, « dans le
soufisme, l’amour extraordinaire devient science ». Il a ainsi résumé le
sens d’une manifestation religieuse où sainte Thérèse, modèle de sainteté et
docteur de l’Église, est présentée comme étant l’image du vrai théologien,
c’est-à-dire d’une personne proche de Dieu et des vérités de Dieu.
La cérémonie, animée par la chorale Notre-Dame de Loueyzé, dirigée par le P.
Khalil Rahmé, s’est déroulée en présence des représentants des trois
présidents, les ministres Pierre Hélou et Michel Pharaon et le député Jean
Oghassapian, suivis des membres du comité d’accueil des reliques de sainte
Thérèse, présidé par l’ancien évêque de Jounieh, Chekrallah Harb, ainsi que
de Mgr Bernard Lagoutte, recteur de la basilique de Lisieux, et de Pierre
Béchir, un laïc libanais membre de la communauté des Béatitudes, économe de
la basilique, qui ont accompagnés le reliquaire à partir de Lisieux. Une
représentante de l’ambassade de France était également présente à la
cérémonie. Le ministère de l’Intérieur et la Sûreté générale ont également
contribué au succès de la cérémonie, en assurant le service d’ordre.
Accueilli par les applaudissements de plusieurs centaines de fidèles massés
devant l’AIB, le convoi transportant le reliquaire a ensuite pris la
direction du couvent Notre-Dame de Loueyzé. C’est au son des youyous et des
cantiques que la magnifique jeep rouge décapotable de la Défense civile,
ornée de très beaux bouquets de roses rouges, transportant le reliquaire, a
été accueillie à sa sortie de la clôture de l’AIB. Le P. François Eid
trônait aux côtés du chauffeur. Les quelques voitures de tête ont rapidement
été rejointes par des dizaines de voitures, qui ont formé un convoi de
plusieurs centaines de mètres derrière le reliquaire.
À partir du bâtiment de l’Électricité du Liban, à Beyrouth, des
attroupements se sont formés pour accueillir le reliquaire, applaudir, jeter
des pétales de fleurs, de petits bouquets et des poignées de riz sur son
couvercle en plexiglas, tandis que des mains se tendaient pour le toucher.
Des voitures venant en sens contraire ont ralenti ou se sont arrêtées, pour
se joindre à la manifestation. On pouvait même voir des femmes émues
jusqu’aux larmes, et, les yeux rougis, regarder d’un air pensif s’éloigner
le convoi. Ou sourire familièrement aux occupants des centaines de voitures
qui le suivaient.
Il a fallu plus d’un heure et demie au reliquaire pour atteindre sa première
station, la cour externe du couvent Notre-Dame de Loueyzé, où l’attendait
une foule évaluée à plus de trente mille fidèles.
À Loueyzé, une messe, célébrée par Mgr Chekrallah Harb, a suivi. Dans son
homélie, l’ancien évêque de Jounieh a de nouveau souligné que la petite
Thérèse n’est pas seulement un modèle pour les chrétiens du Liban, mais peut
servir de modèle de piété et d’amour de Dieu aux musulmans. En passant, une
brève allusion politique à la « dignité bafouée » du Liban a été faite par
Mgr Harb.
Le reliquaire de sainte Thérèse de Lisieux sera au Liban 77 jours durant et
sera accueilli dans plus de vingt-cinq églises, couvents et hôpitaux dédiés
à sainte Thérèse de Lisieux ou tenus par des ordres religieux au nom de
sainte Thérèse.

La dernière photo de
sainte Thérèse, avant sa mort :
« Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre ».
***
Un voyage de communion
Les voyages que les reliques
de sainte Thérèse de Lisieux font de par le monde surprennent et déroutent.
C’est, en fait, un pèlerinage à l’envers. Ce ne sont pas les fidèles qui
viennent à Lisieux, c’est Lisieux qui vient aux fidèles. Sommes-nous en
présence d’une géniale opération commerciale ?
Recteur de la basilique de Lisieux, Mgr Bernard Lagoutte, arrivé hier au
Liban accompagnant les reliques, s’explique : « Après la guerre de
1939-1945, les reliques ont un peu circulé en France. Des années plus tard,
on a repris cette idée-là. Pour ma part, je ne crois pas que cette idée est
née dans la tête d’un publiciste désireux de promouvoir une image comme une
marque célèbre. Elle est née de l’Esprit-Saint parce que au fond, le voyage
des reliques est lui-même une catéchèse. Les reliques ne voyagent pas par
superstition ou pour conquérir de façon un peu magique des foules. Quand les
reliques arrivent quelque part c’est, par la présence de ces reliques, une
redécouverte de l’Évangile et de la présence de Jésus. »
« Au fond, poursuit Mgr Lagoutte, c’est un voyage de communion. On
redécouvre tous ensemble la foi qui animait Thérèse, la foi en Dieu incarné.
Dieu aime tellement les hommes qu’il s’est fait l’un d’entre nous. Et
Thérèse en est le témoin. Les reliques rendent présentes cette passion de
Thérèse. »
« Sa phrase, je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre, est une
phrase géniale au plan théologique, enchaîne le recteur de la basilique de
Lisieux. Parce que au fond, elle a passé un pacte avec Jésus. Il ne faut pas
croire que sa vie au Carmel a été simple. Elle a connu l’épreuve de la foi
pendant des mois entiers. Mais dans son affectivité de jeune fille de 22 ans,
23 ans, 24 ans, elle considère Jésus comme son époux. Elle se donne à lui,
mais elle dit : “ Tu te tais, et plus tu te tais, plus je vais t’aimer. Mais
quand je serai près de toi, tu seras obligé de tout m’accorder ”. Ce défi
qui paraît un peu enfantin ne l’est pas du tout. C’est dans la logique même
de la prière de l’Évangile. Celui qui demande sera exaucé. Thérèse a eu des
demandes d’amoureuse, et aujourd’hui, l’amoureuse est près de son époux, et
elle joue le même jeu pour nous, et ce jeu-là nous dépasse. J’en suis le
témoin un peu émerveillé. Un tas d’actions un peu folles que nous
entreprenons marchent. Pourquoi elles marchent, parce que c’est Thérèse qui
en est le moteur, pas nous. Nous on a du mal à suivre, tellement elle va
vite. »
Les reliques qui se trouvent au Liban ont déjà visité une vingtaine de pays
et, à chaque fois, les organisateurs du pèlerinage sont surpris par
l’affluence des fidèles. En Irlande, 3 millions, au Mexique, 15 millions,
aux Philippines, 10 millions, à Marseille, 50 000 en dix jours, rapporte Mgr
Guy Gaucher, évêque auxiliaire de Lisieux, et l’un des grands spécialistes
de la petite Thérèse. « Nous ne sommes pas capables de tirer des conclusions
d’une chose pareille, dit-il dans un entretien télévisé. C’est vrai que
Thérèse a dit : “Je veux annoncer l’Évangile dans le monde entier”, et on a
l’impression qu’elle le fait maintenant. Mais ce n’est pas simplement
promener les reliques. C’est enseigner. Enseigner l’amour de Dieu, l’amour
des autres, le message évangélique. Ce qui est important, ce n’est pas
Thérèse, c’est Jésus. Aimer Jésus et le faire aimer. Donc elle continue. »
Toujours est-il que, dans le jeu ambigu de la foi et du spectacle, on ne
sait qui exploite l’autre. La télévision exploite la foi et la nourrit. La
foi exploite la télévision, mais peut, à tout moment, en être menacée. Il y
a, dans le pèlerinage des reliques de Thérèse de Lisieux, deux événements.
Du premier, la télévision se charge. L’autre événement, c’est le parcours
que feront sainte Thérèse et l’Enfant-Jésus dans le cœur de chaque croyant.
De ce dernier événement, l’Esprit-Saint se charge.
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