Back to Pere Cesar Mourani ocd |
Les Carmes dans la Vallée Sainte
Contents
« Si les jésuites occupèrent, incontestablement, la première place dans la
grande bataille missionnaire, à partir des environs de 1550, ils ne furent pas
les seuls pourtant à y participer… »
Parmi les ordres nouveaux, celui des carmes déchaussés se manifesta comme le
plus entreprenant en ce domaine: non sans difficultés internes d’ailleurs, la
branche espagnole menée par le fameux Père Nicolas Doria, le Génois… s'affirmant
hostile à l'idéal missionnaire, cependant que la branche italienne, fidèle aux
leçons de l'ardent Père Jérôme Gracian, s'en faisait le protagoniste ;
finalement, ce furent les Italiens qui imposèrent leurs vues, et les carmes, à
leur tour, partirent à la conquête de la terre païenne, la croix au poing.
Mais l'aventure la plus extraordinaire fut certainement celle que coururent en
Perse, juste au tournant des années 1600, une escouade de pères carmes envoyés
par le Saint-Siège auprès du shah des shahs… Clément VIII vit venir à lui un
groupe de carmes déchaussés… qui lui proposèrent… d'aller en Terre Sainte… En
travers de la première page du rapport, Clément VIII écrivit de sa main : in
Persidem… Il surnomma les deux chefs de la délégation, l'un Paul-Simon et
l'autre Jean-Thaddée.
Alors commença pour les carmes une aventure aux multiples épisodes, dont il
serait facile de faire le plus passionnant des romans. ‘’ (Daniel-Rops, Histoire
de l’Eglise, tome V p.280)
"il est inoubliable, écrit le père Bernardo di Maria Santissima, missionnaire
carme italien, dans les annales de l'Eglise et du Carmel, le chapitre général de
la Réforme carmélitaine célébré à Rome, au couvent de Santa Maria della Scala en
1605, année où ces vénérables prélats, renonçant à leurs hautes fonctions au
sein de l'Ordre, firent, tous, vœux de partir pour les saintes missions. Ce fut
une véritable confirmation de l'idée missionnaire que la grande Thérèse d'Avila
avait laissée en héritage à ses fils"
Les vénérables confrères ne manquèrent point de réaliser les désirs du Pape et
ils s'en furent jeter les semences du christianisme sur les terres du shah et en
Arabie. Cependant, les supérieurs n'avaient pas eu le temps d'oublier leur
premier dessein de revenir sur leurs lieux d'origine. Quelques années plus tard,
en 1627, les missionnaires de la Réforme débarquèrent à
Alep, non loin d'Antioche, premier siège du patriarcat de saint Pierre ; et le
chapelet s'égrena… en 1631, le père Prospero de l'Esprit-Saint, fondateur de la
mission d'Alep, reçut l'ordre de se transférer au Mont Carmel pour relever, de
ses ruines, l'héritage des fondateurs, saints Elie et Elisée. Le Mont Liban ne
tarda pas
à suivre. Au cours de leur va-et-vient, entre leurs
champs d'apostolat et l'Europe, nos missionnaires passaient souvent par la côte
libanaise. Parfois à Alexandrette, mais plus souvent à Tripoli, ils se
trouvaient dans l'obligation d'attendre l'occasion de s'embarquer. Cette
attente, soumise à l'enchainement des événements, pouvait parfois se prolonger
longtemps, et atteindre même deux ou trois mois, comme il est arrivé à père
Carlo, procureur des missions (cf. le texte). Aussi, certains missionnaires ne
manquèrent-ils point de s'aventurer sur les sentiers de la Montagne, soit pour
assouvir leur curiosité de touristes improvisés, soit pour se mettre en contact
avec le patriarche et les prélats de la nation maronite. Dans ses pérégrinations
entre Alep et le Mont Carmel, le père Celestino eut l'occasion, plus d’une fois,
de visiter la Montagne.
Lors de son passage à Cannoubine en 1639, père
Celestino semble avoir reçu les avances du patriarche Ameira quant à la présence
du Carmel réformé parmi ses ouailles. Il reçut, en outre, l’offre d'un couvent
abandonné portant le nom de saint Elisée, situé plus en avant, dans une
anfractuosité de la montagne, à quelques kilomètres du siège patriarcal, en
remontant la vallée évasée qui resserre son goulot au pied des cèdres. Le père
Celestino dut entendre la passionnante proposition comme l'entendirent,
probablement, avant lui ses confrères, le père Vincent de saint François, à
l'allée comme au retour de l'année, lors de son passage en 1610-1611 ; ainsi que
le père Philippe de la très Sainte-Trinité en 1640. Le vénérable patriarche
maronite, Georges Ameira, nourrissait une profonde affection pour les Carmes de
la Réforme thérésienne. Il en avait fait la connaissance quand il faisait ses
études à Rome. Il avait mieux approfondi et admiré leur mode de vie lors de son
service à Alep. Ils convenaient à l'atmosphère générale de la Montagne.
Sacrifice illimité, prière et service, frugalité, simplicité de vie, austérité
des mœurs, brillante image d'une bougie vacillant dans le brouillard d'encens,
remontant les falaises abruptes des gorges profondes de la Vallée Sainte. Ce
matin- là, père Celestino quitta le monastère patriarcal rêveur et soucieux ; il
rêvait déjà de recevoir la mission de relever de ses ruines l'ermitage délabré
de saint Elisée, et soucieux, cependant, pensant à la façon de convaincre les
supérieurs pris au dépourvu. Il oubliait que l'Esprit, qui règle l'organisation
des choses, était en train de s'occuper de l'affaire. Le Préposé général de
l'Ordre, père Paul-Simon, était en train, semble-t-il, de penser sérieusement à
l'implantation de ses confrères au Liban ; il a dû en glisser quelques mots aux
missionnaires déjà sur le chantier à Alep, ainsi qu’au père Prospero qui venait
d'assurer notre présence au saint Mont Carmel. Le père Celestino ne se le fit
pas dire deux fois, recueillant, toute fraiche, la proposition du patriarche
Ameira, il l'envoya sans retard à l'adresse de notre Définitoire général à Rome
qui, dans sa session du 12/11/1642, se posa la question, ‘’Cum sese offerat
occasio faciendi residentiam in Monte Libano, propositum fuit, an admittenda sit
? ’’. La réponse du Définitoire fut: Affirmative. Le père Général se hâta de
confier la réalisation du projet au père Celestino, tout à l'heure à Alep. Des
Difficultés empêchèrent la mise immédiate en chantier de la nouvelle fondation.
Ce n'est qu'au mois de mars, de l'année suivante, que le père Celestino,
remettant ses fonctions à Alep, entama sa marche vers le Mont Liban. Après
plusieurs péripéties, plus ou moins, romanesques, dans la matinée du 19 mars, il
parvint à gagner la chapelle de saint Elisée pour y célébrer la fête de saint
Joseph, en compagnie du ‘’principal’’ de Bcharré, Abou keirouz, et d'une autre
personne de Bcharré préalablement connue à Alep. Quelques-uns des chroniqueurs
qui ont essayé de relater le récit des premiers pas de père Celestino sur le sol
de Mar Licha, notre première demeure au Mont Liban, lui ont donné des
compagnons, et ils les ont dénommés sans hésiter. (Lire à ce propos le récit de
la fondation du couvent par le père Léon de Saint Joachin, sur les pages de la
revue Missions des Carmes). Ils peuvent, probablement, avoir raison, mais la
relation latine de père Celestino dit autre chose. Le vénérable père était tout
seul…. Et il le restera pendant quelques mois. Son premier compagnon, le père
François de Jésus, ne viendra le rejoindre qu'à son retour du Mont Carmel, au
courant du mois de mai de l'année 1643, c'est-à-dire trois mois après sa
descente à Mar Licha. Le 11 mai de la même année 1643, le saint patriarche
Ameira, en présence des représentants des propriétaires du couvent saint Elisée,
et des habitants de la ville de Bcharré, c'est-à-dire ‘’ le premier Abou keiruz,
chaikh Hanna, le diacre Odom et le chammas Joufet ‘’ et à leur demande, fit
tracer par écrit l'acte de donation et non de possession du couvent à notre
Réforme. Cet « instrumentum donationis » parvint à Rome, plusieurs mois plus
tard. Il fut accepté avec tout son contenu par notre vénérable Définitoire, et
un premier subside de 100 écus (registra p.31 -32) fut attribué à la nouvelle
fondation. A peine établis à Mar Licha, les pères sous la pression des rigueurs
hivernales, d'une part, et soucieux, d'autre part, de suivre les maronites, qui
délaissaient la montagne et ses froidures, pour gagner le littoral à la
recherche d'un climat plus modéré, firent savoir au Définitoire la nécessité
d'avoir une résidence propre à Tripoli. D'autres raisons, entrant en jeu, les
supérieurs finirent par se convaincre de la nécessité d'avoir un pied-à-terre à
Tripoli. Dans sa session du 26/3/1645, le Définitoire conclut à ce qui suit.
"Cum
plura incommoda
ex continua habitatione
P.P. nostri in Monte Libano, praesertim
in
hieme experiantur,
et quia
ob
varias causas,
neccessarium videtur aliquam habere domum Tripoli… et ut ne multiplicentur
residentiae,
ordinandum
sit
ut religiosi
nostri… maneant
Tripoli"
(regesta 33 )
Aussi, notre demeure à Tripoli devint-elle hospice, et celle de Mar Licha une
simple
résidence. Faisant une même communauté,
le
supérieur dut se fixer à Tripoli avec l'obligation
" tempore congruo ad
Libanum
pro
missionibus profecturi
"…(
idem, ibidem).
Et peu-à-peu, la résidence du Mont Liban fut connue sous le vocable de "
Montis
Libani
seu Tripolis."
Les premiers carmes de la Réforme, qui abordèrent le sol libanais, logèrent chez
les représentants de la Couronne de France, ou bien de la Seigneurie de Venise,
quand ils avaient à passer la nuit à Tripoli ou bien à Saida. Nos missionnaires
ne dérogèrent point aux coutumes. (Voir la descente de père Celestino à son
arrivée d'Alep). Quand ils décidèrent de se fixer à Tripoli, ils furent hébergés
par un pieux marchand vénitien qui leur céda une partie de son domicile au
caravansérail des Francs à Tripoli, moyennant l'assurance d'une messe
quotidienne dans sa chapelle privée. Indigence obligeante, ils y restèrent pour
un bon bout de temps, environ cinq années. Ils n'y renoncèrent que presque
acculés par l'annonce du marchand qu’il allait bientôt quitter la ville. En
1650, au mois de février, le père Celestino, rentrant d'une mission auprès des
moniales maronites de Hrache, décida de trancher la question du logement en
achetant la moitié d'une maison, propriété des pères de la Compagnie de Jésus,
avec le subside apporté de Rome par des missionnaires, nouvellement, arrivés. Le
marché fut conclu entre père Celestino et le supérieur des Jésuites.
‘’ Ce fut le père Amieu supérieur des Jésuites en Syrie qui négocia avec le père
Celestino la question de leur habitation dans la même maison'', écrit le père
Léon de saint Joachin, puisant l'information chez le père Rabbat. (cf. Missions
de Syrie p.157) ‘’Les deux communautés, écrit le père Amieu à ses
supérieurs, vivent dans une indépendance totale ‘’. Elles vécurent en paix
pendant un certain temps, cinq ans environ. Un malentendu financier surgit entre
les nouveaux vicaires. Porté à la connaissance de notre Définitoire, celui-ci
conseilla de résoudre la question à l'amiable ". En 1652, écrit le père Rabbat,
le nouveau supérieur, le père Poisseron renouvela le contrat … surtout parce que
cette cohabitation facilitera le support des communes avanies de la part des
musulmans " {Missions, p.158). Cependant, pour une meilleure harmonie,
l'indépendance étant toujours requise, le Définitoire octroya, dans sa session
du 28/4/1664,
"Licentiam vendendi domum in Tripoli cum onere
emendi aliam"
(regesta)
Il apparait des annotations que nous avons pu glaner dans les rapports et
correspondances des missionnaires, que le père Celestino a quitté la région
durant l'année 1651. Il doit avoir reçu l'ordre de rentrer à Rome, puisque le
Définitoire général, dans sa session du 30/4/1654, lui confie la mission de
regagner le Mont Liban. Une mission particulière ou bien une visite quelconque,
son séjour n'a pas été de longue durée, puisqu'on va le retrouver conventuel à
Santa Maria della Vittoria, et plus tard lecteur de langues orientales au
collège de saint Pancrazio. Soit à cause du nombre des missionnaires, soit pour
d'autres raisons, les religieux délaissèrent peu à peu Mar Licha et l'année
1676, le couvent fut incendié par chaikh Hassan ben Hamadé, profitant de
l'absence du wali de Tripoli Hassan- Bacha (Al Aïntourini p.129) Cet abandon de
Mar Licha obligea le Définitoire à intervenir, et dans sa session du 29/10/1682,
il intima au vicaire de Tripoli ‘’Per
se aut
per alium teneatur ommino facere
missionem in Monte Libano."
Nous venons de dire, tout à l'heure, que le couvent
fut incendié par le chaikh des Hamadé.
Est-ce qu'il fut, en ce temps-là, relevé de ses
cendres ? L'intérieur et la toiture du bâtiment étaient en bois coupé dans la
forêt avoisinante, donc proie facile au feu de l'incendie qui a dû en laisser
peu de choses, en dehors des murs pantelants. Ou bien l'impact de l'incendie
fut-il léger et les pères ont vite fait de réparer les dégâts, puisque on va les
retrouver vivant au voisinage des moines maronites dans le même bâtiment. L'Abbé
Boutros Fahed relate dans son Histoire de l'Ordre Libanais (v.1 p.58) que " ce
couvent, Mar Licha était en ruines quand il fut en leur possession et ils le
reconstruisirent … " ; alors que dans ses mémoires, le père Abdalla karaali
affirme :"Les religieux carmes voisinaient avec les moines maronites au couvent
de Mar Licha’’ (Fahed op.cit.75). Est-ce que les moines ont réparé seulement
‘’ les ruines qui se trouvaient sur l'autre flanc de l'ancienne chapelle’’ et
dont il est dit ‘’ qu'ils formaient le double de ce que possédaient les
carmes ‘’(cf. le texte). L'instrument de donation aux moines maronites dit
expressément que ces derniers pouvaient disposer de tout" sauf de ce qui est
entre les mains des Francs " ou " ce qui peut gêner les Francs" (Fahed,
op.cit.p.58)
A la demande de nos missionnaires de transférer domicile, notre vénérable
Définitoire général, mal informé, peut-être, dans sa session du 17/9/1699,
répond négativement, avec ordre de demeurer là où ils sont jusqu'au terme
convenu. « Ordinatur ne mutent
missionari nostri habitationem in
Monte
Libano, sed persistant in habitatione a tot annis stabilita" (Regesta, 75).
L'année d'après, 1700, juste à la même date, dans la
session tenue le 17/9/1700,
les révérends pères Définiteurs, mieux
renseignés
"per litteras R.P.
Honorati
a S. Anna,
vicarii residentiarum nostrarum
Tripolis et M. Libani";
entretenus oralement
"necnon oretenus a … D. Elia Simonio Hesronita…"
et sur demande explicite du saint patriarche d'alors, Estéphan Ad-Douaihi,"
et ex
parte
patriarchae
maronitarum…"
(Regesta,
76)
les vénérables Définiteurs autorisèrent le transfert à Mar sarkis "sub
conditione "cependant
"quod
hoc
non
sit nisi
ad
experimentum et integre servetur
ius" de reprendre le chemin de Mar
Licha.
(Regesta,76)
Le père Bernard mentionne dans son "Histoire de la Mission de Syrie" le droit de
nos pères à avoir à leur disposition deux cellules chez les moines de Mar licha.
Il paraît, d'ailleurs, que nos pères déjà établis à Mar Sarkis, n'ont pas eu
l'intention d'oublier le passé de Mar Licha puisque, après trente-cinq ans
révolus, le vicaire, alors en fonction, a présenté, au Définitoire général de
l'Ordre, la pétition de vendre une maison en leur possession à côté de Mar
Licha, dans la Vallée Sainte. Dans sa session du 20/5/1735, le Définitoire y
répond affirmative.
"Licentia
vendendi quandam domum in valle Montis Libani, prope conventum
P.P maronitarum…" (regesta 92)
Cela étant, revenons au texte d'origine. Les événements que nous avons rapportés
sont relatés dans un manuscrit que notre confrère, le père Hayaf Fakhry, a
récemment retiré des archives générales des Carmes à Rome. Il sera le point de
départ de sa thèse pour le doctorat sous le titre "Histoire du Carmel au Mont
Liban".
Le manuscrit est formé de 97 pages, tracées sur papier libre de couleur brunie
par le temps, de mensurations vingt-sept centimètres et demie par vingt
centimètres, il se compose de cinq fascicules (A.B.C.D.E) intitulés : Narration
première, seconde….Réunis en une seule composition, ils rapportent les annales
historiques de l'installation du Carmel réformé à Mar Licha, vallée du Kadicha
et enfin à Tripoli. La narration relatant la fondation de la maison à Tripoli
est tronquée, déficiente, comme si l'auteur, perdant son fil conducteur, sautait
d'un terrain à l'autre ; de Tripoli, survolant la côte libanaise, il va atterrir
au Mont Carmel, en Palestine.
Le paquet original se trouve aux archives générales de l'Ordre à Rome sous le
numéro A.G, 252, il porte sur sa première feuille de couverture les annotations
suivantes de haut en bas : Monte Libano - numéro 171- 252, a- A fasc A.B.C.D.E.
Les marges du texte ne sont pas toutes égales. Parfois l'écriture déborde au
sommet, parfois à la base. Les côtés ne sont pas remplis de la même façon.
Parfois les limites sont déficientes à gauche ou bien à droites et dans les deux
cas, l'auteur réfère fidèlement ses sources en face de la nouvelle, à gauche ou
bien à droite. Dans la majeure partie de son récit, il copie presque
textuellement la "Relatio
latina"
envoyée au Définitoire général par le père Celestino, sujet du récit et écrite
de sa propre main. Les autres informations sont puisées dans les lettres des
missionnaires ou bien dans leurs rapports envoyés à la Maison générale et dont
il ne doute point, comme il dit, de leur véracité (cf. texte)
Quant à l'auteur, on se demande qui il est ? C’est le père Blasio della
Purificatione… nous connaissons peu de choses de sa biographie. Les quelques
traits de son identité nous sont parvenus à travers les rares informations
semées par hasard le long de ses récits. Le vénérable père ne parait pas avoir
été missionnaire hors de son pays ; italien de naissance et romain de formation,
il déclare avoir fait la connaissance de père Celestino alors que ce dernier
expliquait son activité pastorale au service de la Réforme alors qu'il trainait
les souffrances de sa jambe endolorie sur les dalles des couloirs de Notre-Dame
des Victoires à Rome. Il ne parait pas avoir été missionnaire, mais profondément
admirateur de leur aventure au service de la croix, il a profité de son séjour à
Rome pour admirer, durant leurs allées et venues le halo de leurs héroïques
vertus et fixer sur papier les multiples péripéties de l'offrande de leur vie
dans la propagation de notre sainte foi. Il a écouté parfois, personnellement,
leurs histoires ; il a lu leurs lettres, reflétant les échos de leurs peines, il
a compulsé minutieusement, et confronté souvent leurs rapports, il a suivi
autant que possible et pas à pas les étapes et les empreintes de leur vécu. Nous
remarquons toutefois l'étrangeté de certains noms propres ; comme il n'a pas
fréquenté les lieux il ne réussit pas à bien saisir la prononciation, ou bien à
mal déchiffrer le tracé des mots. D’où la difficulté parfois de s'y retrouver.
Belle écriture, de rares ratures, présentation soignée, après quatre siècles
environ, on ne bute pas sur de graves difficultés pour lire le texte précieux de
notre vénérable confrère. Entamons sa lecture…
Photo: Portail de l'Eglise Mar Licha, Qannoubine
Suivant la méthode que j’ai observée dans les récits concernant les maisons[1]
fondées par nos missionnaires, avant d’aborder celui de la présente, je dois,
d’abord, passer deux informations : la première concerne le lieu où elle fut
fondée et qui est le Mont Liban. La deuxième est relative aux chrétiens dont il
est peuplé et qui sont les maronites.
Cette Montagne, tellement célèbre dans l’Ecriture Divine, s’élève dans la
Phénicie, l’une des cinq vastes provinces qui subdivisent la Syrie ; et son site
immédiat se trouve aux confins de la Terre Promise, la mer à son côté nord.
L’étymologie de son nom est blanc et cela provient, à ce que vante notre père
Philippe de la Sainte-Trinité[2],
de
ce qu’il est presque toujours recouvert de neige, au moins sur sa partie
septentrionale. Notre même père missionnaire témoigne l’avoir vue au mois
d’octobre, ce qui démontre que ses rigueurs avaient surpassé les rayons torrides
du soleil des mois précédents. Parfois, sur celle–ci, vient
se superposer celle qui commence à tomber,
annuellement, au mois de novembre, et elle est tellement abondante que pendant
quelques mois, la même partie de la Montagne devient totalement impraticable aux
voyageurs. On attribue, de même, à son nom, le sens d’encens. Et cela parce que
les fruits de ses cèdres, il en sera question plus tard, sont pleins d’une
certaine gomme très limpide et suave, qui, une fois séchée, exhale un encens
parfait, et, étant liquide, elle sert, en tant que baume, à la guérison des
blessures. Le môle de la Montagne, aux dires de notre père Vincenzo Maria[3],
missionnaire, est très vaste, s’étendant de Tripoli jusqu'à Damas, avec un tour
de plus de trois cents milles, embrassant beaucoup de forêts, champs et
vignobles, dans lesquels le charme délicieux rivalise avec la fertilité du
terrain. Tous
s’accordent pour la considérer très élevée et pourtant, on y accède par un mille
de montée, et celle-ci est très difficile, étant obligé de traverser des
sentiers étroits formés par la nature, avec des abris en silex acéré. Aussi,
comme une forteresse inattaquable, elle
la
remporte sur toutes celles fabriquées par les plus excellents architectes. A
cette notice universelle du Liban, devrait suivre la plus étendue de ses
parties ; mais il
sera plus convenable d’en parler,
quand
j’aurai fait précéder celle concernant ses habitants. Ceux-ci sont les
maronites. Guillaume de Tyr[4],
dans son « Histoire de la Guerre Sainte », affirme qu’ils sont ainsi appelés
d’un certain Maron, monothélite hérétique, qui a admis en Jésus-Christ une seule
volonté, erreur condamnée par le concile de Chalcédoine[5],
sous Léon 1er et qu’ils ont suivie pendant
environ cinq cents ans. Ils ont été
ramenés à la vérité enseignée par l’Eglise
Catholique, sur intervention d’Aymeric III, patriarche d’Antioche. Ce récit,
pourtant, a
été, constamment, rejeté comme faux, par les maronites qui affirment avoir reçu
ce nom d’un certain pays de la Syrie, appelé Maronia[6],
ou bien de saint Maron, abbé qui vécut avant l’hérésie du dit Maron monothélite.
Ils retiennent, pourtant, sans en rougir, aucunement, le nom de maronites, ayant
détesté l’erreur en question. Moi, cependant, je n’ai pas trouvé dans le
Martyrologe Romain le
nom de ce saint abbé, mais, seulement, celui d’un autre saint Maro ou Maron,
martyr durant la persécution de Trajan ; toutefois, il peut y avoir été car il
n’est pas sûr que tous
les saints sont énumérés et inclus dans le Martyrologe
Romain, comme il apparaît des paroles
qui terminent sa lecture. Quoiqu’il en soit, le
cardinal Cesare Baronio[7]
affirme que le patriarche de cette nation, fut présent au 1V concile du Latran,[8]
célébré sous le pontificat d’Innocent III en l’an 1215. Dans celui-ci, il fut,
tout à fait, instruit de la religion catholique et de ses rites sacrés. D’où, à
son retour chez ses concitoyens et sujets, il ordonna de suivre les
enseignements de l’Église Romaine dont, par ignorance et non par mauvaise foi,
ils se sont fourvoyés quelque peu ; comme ils ont contracté quelque infection
des anciens Arméniens,[9]
en mélangeant, spécialement, dans le Chrême, quelques arômes, comme on en
parlera. Avisé, à ce propos, Léon X envoya, en 1514, quelques religieux
franciscains,[10]
au Mont Liban, chargés d’une lettre au patriarche. Dans celle-ci, il
l’interrogeait sur la façon d’élire le patriarche, quel était le rite et la
forme, c’est-à-dire, les paroles utilisées dans l’accomplissement et
l’application des sacrements, de manière que, reçues ces nouvelles, il pût les
instruire sur la pureté de la foi catholique.
Le patriarche, appelé Furache fils de Marabet[11],
accueillit ces religieux avec des expressions de haute vénération ; et de même,
avec une non moindre jubilation, il reçut la lettre du Pape, en la mettant sur
la tête, conformément à l’usage des Orientaux ; et pour satisfaire aux
interrogations du Pape, il lui écrivit une très longue lettre. Ici j’en
transcris, seulement, le titre, et il est comme suit. ‘’Au Pape romain Léon, et
à Dieu, les grâces éternelles. Cette divine salutation, je la souhaite à Léon,
Pape des chrétiens, bien-aimé de Dieu, catholique éminent, pieux, plein de
miséricorde, Vicaire de Dieu et Roi des Rois….’’ Il continue, ensuite, à exposer
quelle foi il professe avec ses concitoyens et, ayant énuméré, sans aucune
erreur, tous les principaux mystères, il arrive à la confection du Chrême dans
lequel ils mélangeaient avec l’huile, non seulement plusieurs drogues, mais
aussi le musc, l’ambre, et le baume. De ceci il est mémorable, ce
qui est raconté par ces mots : « Nous y
mettons le baume de la grande et célèbre ville appelée Le Caire, lequel, mis sur
la paume de la main, pénètre jusqu’à l’autre partie ; et, mis dans l’eau, il
descend
jusqu’au fond. Celui-ci est distillé des arbres qui
poussent dans ce lieu où furent déjà lavés les vêtements de l’Enfant
Jésus-Christ. Quant à la suavité, il supère tout autre baume. Sans doute, ceci
se rapporte
au temps où l’Enfant Jésus s’évada avec sa très Sainte Mère et son Père adoptif
en Egypte, Le Caire étant mentionné comme l’une de ses villes. On continue,
ensuite, à rapporter la manière, en usage chez eux, lors de l’élection et de la
prise en charge du patriarche.[12]
Et, puisque nous sommes en train de parler de cette nation, il n’est pas hors de
propos d’en raconter quelques nouvelles.
Une fois le siège patriarcal vacant, on choisit douze prêtres catholiques de
bonnes mœurs, ornés de continence insigne et reconnus aptes à l’exercice d’une
fonction tellement sainte. Ils sont enfermés dans un monastère réservé à cette
procédure et qui a titre de Sainte Marie[13] ;
là- bas, on assigne à chacun sa cellule rigoureusement
gardée de manière à ce que personne ne puisse
voir l’autre, ni lui parler. Chacun de ceux-ci prend douze bulletins de carte et
écrivant dessus le nom de celui qu’il élit pour chaque jour, il le dépose dans
l’urne. Et s’étant tous convenus sur un, ils se réunissent avec le clergé et les
laïcs et ils l’installent sur le siège patriarcal en applaudissant son élection.
Pour le sacre, ils attendent la première Pâques durant laquelle, après avoir
célébré trois messes, tout le clergé et le peuple conduisent l’élu et le font
asseoir devant l’autel. Ils le dépouillent de ses anciens vêtements et le
revêtent de ceux de sa dignité. Ils font ensuite quelques rites propres à eux et
que, pour être bref, j’omets ; et alors, le maître du chœur, à haute voix, et
répétées trois fois, dit les paroles suivantes : « L’Esprit Saint, vous a voulu
comme patriarche et père sur tous les pères pour la dignité du siège des
prophètes bénis, et puisque vous avez pris la place du Christ et de saint
Pierre, son vicaire, vous serez, par conséquent, notre père à tous ». Alors le
patriarche, prostré devant l’autel, dit à trois reprises, et à haute voix : « Je
suis l’humble et l’obéissant aux préceptes de Dieu Très-Haut et des saints
Prophètes, et si à l’avenir, l’Esprit-Saint me commande autre chose, je
l’accomplirai, immédiatement, avec justice et selon les normes de Jésus-Christ
». Ceci fait, les diacres le relèvent du sol et le conduisent dans un lieu, à
l’écart, où il assiste à la messe solennelle de l’un de ses évêques ; ou bien,
il la célèbre lui-même. La messe terminée, tous les prélats et les autres posent
les mains sur la tête de l’élu en disant : « Soit loué le Dieu sublime pour la
grâce qu’il nous a accordée ». Ensuite, ils lui consignent le pastoral, de telle
manière qu’inférieur des prélats le tient par le bout le plus bas, et les
supérieurs par le plus haut et, sur toutes les mains, celles de l’élu ; et de
cette façon, il est consacré patriarche. A tout ceci, suit une exhortation
prononcée par le maître du chœur. Cela étant, le patriarche continue à dénombrer
les vêtements sacrés dont on se servait et leurs significations mystiques, et
supplie le Pape de l’en pourvoir, alléguant sa pauvreté et l’exemple des autres
Pontifes. Il demande sa confirmation au patriarcat et sa médiation afin que
l’évêque de Chypre[14]
lui restitue ce qu’il possédait dans ce royaume, et il exprime certaines
doléances causées par l’oppression turque dont lui et sa nation souffraient, et
il finit par le prier d’octroyer certaines indulgences.
Informé par une autre voie, de certaines erreurs qui
infectaient, par haLe Dans une autre lettre, Léon X l’instruisit de mettre dans
le Chrême, seulement, huile et baume ; de délaisser leur coutume de baptiser les
enfants au quarantième jour après leur naissance, résultant de ce retard, que
quelques-uns seraient morts sans ce sacrement indispensable. Il leur prescrivit
les paroles à prononcer durant la consécration de l’Eucharistie, et les rites à
observer durant l’ordination des Clercs. Il lui explique quelques dogmes se
rapportant aux sacrements du mariage, à la confession, au paradis, au
purgatoire, à la procession de l’Esprit- Saint du Père et du Fils, constituant
un seul ‘’spiratore’’,
à
la réception de l’Eucharistie à Pâques et au primat de l’Eglise Romaine. Il ne
lui écrivit pas, cependant, parce
qu’ils
erraient dans tous ces enseignements susnommés de l’Eglise Romaine, mais en vue
de les prémunir contre l’infection, étant exposés, soit par la grande distance
de Rome, soit par leur voisinage avec les Grecs et autres sectaires, soit à
cause de l’ignorance, ne pouvant se consacrer aux études, forcés qu’ils étaient
par les extorsions ottomanes aux travaux manuels, comme on le dira ; et non
moins parce que leurs prêtres sont mariés, selon l’autorisation faite à l’église
orientale, dans laquelle, cependant, il n’est pas permis aux évêques et au
patriarche d’en profiter ; ce qui fait que ces derniers sont toujours pris dans
l’ordre monacal. A ladite lettre, Léon X ajouta l’envoi de deux autres religieux
franciscains, les pères Giovanni Francesco da Potenza et Francesco da Rieti qui,
expert en leur langue, servait d’interprète.
Le patriarche fut pleinement instruit, et de vive voix, par ces deux, et avec un
tel profit, qu’en 1616, il envoya les moines, Acuri Joseph et Elia, comme ses
représentants au concile du Latran[15]
célébré par le même pontife. Ceux-ci portèrent le
mandat de procuration qui contenait la profession de la vraie foi catholique et,
l’ayant présenté au concile, et prêté obéissance au Pape, ils y furent admis,
s’asseyant, étant moines, derrière tous les évêques.
Ils ont toujours tenu le même attachement à la religion catholique,
singulièrement après l’érection du Collège Maronite[16]
dans lequel les jeunes de cette nation sont éduqués par des pères de la
Compagnie de Jésus, dans les mœurs vertueuses et dans la pureté de la foi
romaine ; à celle- ci ne s’oppose pas le fait de retenir, par les maronites,
leurs anciens rites, dans les offices divins, les jeûnes et abstinences propres
des Orientaux et le mariage des simples prêtres comme nous venons de le dire.
Après
cette introduction générale sur la religion professée par les maronites,
habitants du Liban, nous allons donner une notice particulière sur cette
Montagne et, au cours de notre récit, nous aurons l’occasion de rapporter
certains détails relatifs à leur piété chrétienne et à l’observance religieuse
des moines. J’ai puisé ce que je raconte dans ce qu’a écrit notre père Celestino
di santa Ludvina, religieux d’éminente vertu, missionnaire au nom bien célèbre
et fondateur de cette maison du Mont Liban. Il la visita, lui, avec quelques
marchands français, d’où la certitude que son témoignage ne laisse aucune place
au doute.
Dès le début de la première élévation de la Montagne, se déploie, sur une
distance d’environ six milles, une vaste plaine[17]
où poussent, en grand nombre, des oliviers et des mûriers pour la nourriture des
vers à soie ; et l’ayant dépassée, ils commencèrent à escalader la Montagne. Le
long de cette montée, d’environ douze milles, ils rencontrèrent diverses
brousses et forêts ; et en marchant parfois, mais assez rarement, dans quelques
pistes plates et quelques prés, ils arrivèrent au territoire d’Eden, la ville la
plus grande et la plus peuplée de ce qu’il y a, actuellement, au Liban.
Dans les siècles plus lointains, portant le nom
d’Anchera, elle comptait parmi les cités. Son territoire répond, par sa
fertilité, au travail de ses habitants ; et il est agrémenté par les légumes des
jardins, des vignobles, d’arbres fruitiers et un grand nombre de mûriers ; et
d’un très agréable panorama de non moindre utilité. Un certain ermite vertueux,
de nationalité française, y demeurait ; nous en parlerons, longuement, ailleurs.
Les susdits marchands, natifs du même royaume, en ayant eu quelque nouvelle,
désirèrent le visiter ; et le nommé père Celestino, qui l’avait connu, trois ans
auparavant[18],
alla lui demander son avis au monastère de saint-Serge,[19]
distant d’environ la moitié d’un mille de cette terre. Vu qu’il désirait vivre
totalement mort au monde, le bienheureux ermite se plia, ά contrecœur, à
recevoir la visite, surtout à savoir qu’ils étaient des marchands français.
Toutefois, pour faire plaisir au père Celestino, il les admit, mais il les
renvoya après quelques brèves paroles, absorbé uniquement par sa solitude
bien-aimée et la contemplation des choses célestes ; ce qui fait que, admirant
son humble modestie, les marchands en restèrent édifiés.
Le lendemain,
reprenant
le voyage, ils s’acheminèrent vers le lieu où sont plantés ces cèdres tellement
célébrés dans les Ecritures Divines, éloigné de la susnommée terre d’environ six
milles. Le chemin, qui y conduit par les collines variées qui se rehaussent, est
peu difficile. Mais à décrire ces plantes, tout le monde est d’accord qu’il y en
a certaines de grosseur immodérée, et pour les embrasser, il faut bien trois ou
quatre hommes ; son bois est exempt de corruption, et non peu semblable à nos
pins. Les rameaux qui s’étendent dans leur sommet, vu leur large envergure,
semblent avoir des frondes fines mais plus petites comme celles de nos
romarins ; ils sont pliés en forme d’arc mais avec les pointes toujours
orientées vers le ciel ; et ces frondes, en se développant à grand éventail,
paraissent former une verte chevelure rose. Ils ne produisent pas de fruits
combustibles mais, sur les cimes des branches,
des cônes composés de cercles parfaitement unis
durant la maturation, ce qui fait qu’ils paraissent être du bois compact, et
lors du dessèchement, ils se détachent l’un de l’autre ; ce sont des fruits
semblables à nos pins, seulement quant à la grosseur, et dissemblables quant à
l’égalité de l’écorce et de la silhouette ; cependant, aux deux extrémités, ils
sont de moindre grosseur ; toutefois, ils ne s’effilent pas de manière à former
des pointes.
On remarque qu’ils sont appelés cèdres pour
avoir une certaine ressemblance avec les fruits de ces arbres, et comme ceux-ci,
ils exhalent une odeur agréable, de même, ceux-là produisent une gomme très
claire laquelle, une fois séchée, est un encens parfait. Notre père Philippe de
la très Sainte-Trinité, visitant le lieu où ils poussent, affirme qu’ils sont
quasi au sommet de la montagne et dans une très vaste plaine ; cependant, du
côté septentrional, le Liban s’élève, et sa suprême altitude les protège ; mais
sur l’autre côté, l’air est tout à fait ouvert. Un peu avant son arrivée, il en
vit tombé, et à moitié brûlé ; et bien que les jeunes sont en grand nombre, les
plus anciens ne dépassent pas les vingt-et-un[20].
De ceci, il apparaît que le cours des années en a consumé beaucoup, étant donné
qu’au temps de Salomon il y en avait des forêts entières. Il en a fait couper un
grand nombre, par les Sidoniens, pour s’en servir dans la construction du Temple
dont il est question au troisième Livre des Rois.
La simplicité, pour ne pas dire la naïveté, des
habitants du Liban, les a persuadés que sa Divine Majesté, par une particulière
providence, en a conservé les plus anciens jusqu’au temps présent, et qu’ils
sont les
mêmes que ceux du début du monde. Il les a fait pousser du sol par un
commandement efficace, d’où ils leur appliquent ces paroles du psalmiste : « Les
cèdres du Liban que lui-même a plantés » ; et ailleurs, ils sont appelés Cèdres
de Dieu. Ils n’ont pas pensé
qu’ils
aient pu être déracinés au moins par les inondations du Déluge, ni logiquement
douté, que beaucoup des plus anciens furent taillés au temps de Salomon ; leur
nombre
était si grand qu’ils s’y firent la main ; en plus de la nourriture assignée par
ce roi aux ouvriers du roi de Tyr, Hiram, en récompense, il lui fit don de vingt
pièces de terrain. Déclinant cette naïveté, je relève, avec le père Celestino,
la vénération portée par les pèlerins, et plus encore, par les habitants du
Liban, à ce même site. Les uns, avec une affection dévote, escaladent la pente,
à pieds nus, l’espace de trois ou quatre milles, bien que le chemin, comme nous
venons de le dire, fût très dur ; et, par suite de cette pieuse dévotion,
plusieurs affirment y avoir vu des lumières et des flammes prodigieuses
lesquelles, durant la nuit, y brillent comme des lampes. Si cela est vrai, il
pourrait se rattacher à la sainteté
de ce site, en rapport avec ce que nous venons
de relater.
Au six août, on y célèbre la fête de la
Transfiguration du Seigneur, instituée quant au seul office par Calixte III,[21]
pour une insigne victoire remportée sur les Turcs, mais fêtée le même jour, bien
longtemps auparavant, par les Latins el les Grecs ; non seulement les habitants
du Liban y participent, mais d’autres cités et contrées de la Syrie. Ils y
solennisent ladite fête par la célébration d’un grand nombre de messes récitées
sur les nombreux autels de pierre érigés sous les plus vastes et anciens arbres
de cèdres. Ceci provient de ce qu’ils estiment que notre Seigneur s’est
transfiguré au Mont Liban, alors que la tradition reçue de l’Eglise ainsi que le
martyrologe romain disent que ce prodige est arrivé au Mont Tabor, fort éloigné
de cette Montagne. Peut- être, ils le font pour célébrer sur une montagne un
prodige qui fut opéré sur une autre[22].
Pour confirmer cette conjecture, il est bon de savoir
qu’au jour de l’Ascension, prêtres et laïcs s’y acheminent en une procession
dévote. Ils n’agissent pas ainsi, parce qu’ils estiment que le Christ est monté
au ciel à partir de cette montagne ; car il est très sûr, au témoignage de
saint- Luc, dans ses Actes Apostoliques, que c’est le Mont des Oliviers qui a
joui de ce bonheur. Ils s’y dirigent, en cette même procession, non seulement en
ce jour, mais dans d’autres de l’année,
parfois
par habitude, et d’autres fois, pour satisfaire à des vœux. Une fois arrivés,
ils y restent à prier, et à y célébrer la messe ; et ils affirment avoir obtenu,
par de tels moyens, de nombreuses faveurs du Seigneur, et délivrance de maladies
et de dangers imminents. Le père Celestino et les marchands qui étaient avec
lui, voulurent suivre cette pieuse coutume ; aussi,
y
chantèrent-ils les litanies de la Sainte Vierge, et
récitèrent
d’autres prières. Ils emportèrent, en s’en allant, quelques branches de cèdres
et des fruits, puisque on en trouve en toute saison de l’année.
Personne ne qualifie, de culte superstitieux, la
vénération adressée à ce lieu particulier ; mais qu’on lise le second Livre des
Macchabées où il est dit que Dieu choisit les lieux pour les gens et non pas les
gens pour les lieux ; et on y continue à en donner les raisons, disant que le
lieu participe de la sainteté des bons qui y habitent, comme de la méchanceté de
leurs mauvaises habitudes. Le fait de faire tant de prières, et de célébrer tant
de messes, dans cette partie du Liban, ne devrait pas nous étonner qu’elle soit
sanctifiée, et que les fidèles y demandent des grâces particulières au Seigneur.
Ayant satisfait leur pieuse curiosité par la visite de cette partie du Liban,
ils descendirent dans une région peu éloignée appelée Besciarrai. L’abondance
des eaux, coordonnée au travail des habitants, concourt à rendre la campagne
adjacente agréable et fertile. Les eaux jaillissent de diverses
sources, et se répandent en petits rivières et
ruisseaux, naturellement divisés, ou bien orientés et entortillés par la main de
l’homme pour l’arrosage des jardins et d’autres terrains fruitiers. Beaucoup de
vignobles et de champs y sont cultivés, et le terrain se montre, éminemment,
reconnaissant de la fatigue des ouvriers. Le Prince du Mont Liban, appelé aussi
Préfet, avait sa résidence sur cette terre. Ceci, pour avoir été, dans les temps
lointains, la métropole de tout le pays habité par les maronites ; c’est
pourquoi, encore aujourd’hui, pour mettre en relief sa prépondérance, on
l’appelle Um-el-Balad, c'est-à-dire, mère du pays. Par contre, tout ceci
s’appelle Terre de Besciarrai, empruntant à cette terre comme à son lieu
d’origine, la dénomination susdite.
Pareillement, celui qui, sous le titre de prince ou
préfet, dominait tout le Liban, s’appelait Prince ou Duc de Besciarrai[23],
incluant le tout, sous le titre expressif de la seigneurie du chef et tout ce
qui lui est sujet. Il détenait, de même, de nombreux privilèges dont l’avait
orné l’ancien roi Bahete,[24]
en récompense de ce qu’il lui avait récupéré la ville de Tripoli, actuellement,
sous domination ottomane. Parmi lesdits privilèges, la préfecture ou le Ducat du
Liban, se comptait héréditaire dans sa maison.
Les
nombreuses églises qui, encore aujourd’hui, se conservent en parfait état, bien
qu’elles soient anciennes, concourent à rendre vénérable cette terre principale.
On voit, encore, dans ses environs, un grand nombre de monastères et d’ermitages
qui se servent des grottes de la montagne. On y comptait plus de trois cent
soixante autels de pierre. Plus sainte est celle qui, au temporel, est sujette
au prince susnommé, et sur laquelle sont situés le couvent et l’église dédiés à
notre père saint Elisée, distante d’environ trois milles de ladite terre. Mais,
puisque ce couvent fut cédé à nos missionnaires, je remets sa description
jusqu'au temps où ils entreront en sa possession, et je m’arrête pour donner une
notice du couvent patriarcal situé dans cette même vallée, et distant vers
l’ouest, d’environ quatre milles du dit Saint Elisée. Son nom est Canabin, qui
répond à la diction latine canobion, c’est-à-dire couvent, et il est dit
patriarcal à cause de la résidence
du
patriarche de cette nation. Le père Celestino et les marchands, se dirigèrent
vers celui-ci, délaissant la visite de ladite vallée et de notre couvent à cause
de la grande difficulté des routes. Partant de Besciarrai, ils s’y dirigèrent
deux heures avant le coucher du soleil. Le chemin[25]
qui y conduit n’est pas seulement plat, mais il est agréable, jusqu'à ce qu’on
parvienne à la distance d’un bon quart d’heure de voyage du couvent. Là-bas, il
fait bon de descendre des chevaux, rencontrant quelque brousse, et obligés de
descendre par des rudes sentiers, au bas de la vallée où est situé le couvent.
Etant parvenus, ils y furent accueillis avec une grande bienveillance par le
patriarche et ses moines ; et alors qu’on leur préparait le dîner, ils
visitèrent les lieux de majeure dévotion, pénétrant dans l’église patriarcale à
laquelle sert la très vaste ouverture d’un rocher, aménagée par les ciseaux, en
forme de temple spacieux, avec voûtes et arcs et d’une facture très ingénieuse.
Sortis de là, ils allèrent visiter la grotte de sainte Marina,[26]
distante d’environ cinquante pas de la même église. A propos de cette sainte,
notre père Celestino dit être de tradition, parmi les maronites que, sous un nom
et apparence d’homme elle a vécu comme moine dans le dit monastère ; mais
accusée, faussement, d’adultère, en pénitence de son forfait, elle fut enfermée
dans ladite caverne et y persévéra jusqu'à sa mort. Quant au récit de cette
renommée, il résulte qu’on parle de cette sainte Marina dont la vie est écrite
dans le volume corrigé de la vie des saints pères à la page trois cent
quatre-vingt-treize ; et moi j’y fais seulement allusion. Un certain citoyen
d’Alex- andria avait une fille
d’un précédent mariage ; étant petite, il la
laissa ά la garde de quelques-uns de ses parents
et se fit moine. Quelque temps après, avec la
permission de son abbé, il alla l’amener avec lui au monastère, disant qu’il
était un garçon et qu’il s’appelait Marino ; avec cette simulation, il
l’introduisit au monastère, et travailla
à ce qu’il soit revêtu de l’habit religieux. Le
père
forma saintement sa fille, conservant le nom et
l’apparence de Marino. Après la mort de son père, Marino, allait en ville avec
les autres moines pour les affaires du couvent ; quand ils ne pouvaient pas
rentrer à temps, ils dormaient à l’auberge publique. Il arriva que la
demoiselle, fille de l’aubergiste, tombe enceinte ; quand elle fut contrainte à
révéler l’auteur du viol, elle en accusa le moine Marino. Les parents de la
calomniatrice allèrent se plaindre auprès de l’abbé, et Marino appelé en
justice, avec une humilité admirable et non point imitable, sous une impulsion
particulière de l’Esprit-Saint fut permis d’être reconnu coupable. Pour cela,
l’abbé, l’ayant frappé et maltraité, le renvoya hors du monastère. L’innocent
Marino s’assit au seuil du couvent, et là-bas, il se nourrissait avec les restes
de pain que les moines lui donnaient en aumône. Après le temps habituel, la
fille de l’aubergiste, donna naissance à un enfant. Une fois sevré, elle le
conduisit à Marino et le lui laissa ; d’où avec ladite aumône il se nourrissait
lui et l’enfant. Passés cinq ans, l’abbé, à la supplication des moines admirant
sa pénitence, l’admit à nouveau au monastère et lui imposa une nouvelle
pénitence. Mais peu de jours après, étant mort, quand ils voulurent prendre soin
de son cadavre,
ils se rendirent compte qu’elle était femme et
reconnurent la calomnie. Le même jour, la calomniatrice fut envahie par le démon
et obligée d’aller au monastère où elle confessa avoir diffamé le saint, et
révéla le véritable auteur du forfait. Cependant, par l’intercession de la
glorieuse vierge sainte, le septième jour après sa mort, elle fut délivrée des
vexations du démon. Le martyrologe romain fait
mention de cette sainte Marina au vingt-huit
juin. On lui donne le titre de martyre ; cela est contraire à des manuscrits
plus anciens ; mais, le cardinal Baronio, dans ses annotations au martyrologe,
affirme que cette dernière est celle dont il est question dans la vie des pères.
Le même, dans ses annotations sur le volume susnommé, ainsi que Heriberto
Raymidi, de la compagnie de Jésus, affirme que le titre de martyre peut lui
convenir pour les multiples souffrances subies à cause de ladite calomnie.
Pour le confirmer il apporte l’exemple de sainte Balisa, dont il est
mention
au neuf janvier avec le titre de martyre, bien qu’il ne lui convienne sinon ά
raison de graves souffrances. D’après ce qui est rapporté jusqu’ici, je déduis
que la caverne, mentionnée par notre père Celestino, fut celle o
Ayant présenté, à travers les notices exposées, ce qu’est le Mont Liban,
j’entreprends de relater les raisons qui poussèrent nos supérieurs à y vouloir
une maison comme résidence. L’idée vint, en particulier, à l’esprit de notre
père, Paul-Simon de Jésus-Marie, ayant été l’un des trois premiers missionnaires
envoyés par Clément VIII et son successeur immédiat Paul V en Perse ; il
nourrissait un esprit tout incliné à favoriser et promouvoir les missions. Dans
ses objectifs, il pensait établir une maison en Orient où préparer les candidats
au ministère apostolique. Il se rendit compte que pour cela, il est requis un
lieu de solitude et de calme où la contemplation des mystères de notre foi
habiliterait à les faire prêcher avec plus de ferveur, étant sûr que les
auditeurs n’en seraient pas illuminés et enflammés si l’orateur auparavant
n’était pas rempli de lumière et d’ardeur.
Il pensait également, comme il est clair, qu’il est,
indispensablement, nécessaire de posséder les langues que parlent les gens des
pays où va être prêchée la religion chrétienne. C’est pourquoi, quand le
Seigneur envoya les Apôtres
annoncer
l’Evangile, l’Esprit Saint les enrichit du don de parler en diverses langues.
Il conclut de ces réflexions que le Mont Liban
était le plus indiqué pour ce
projet,
vu que les missionnaires auraient pu s’adonner, dans sa solitude, à l’étude de
l’oraison et des langues, en l’absence des distractions que présentent les
villes surpeuplées ; loin des fâcheuses vexations des Turcs, surtout que tous
les habitants du Liban professent la religion catholique. A ces derniers, ils
peuvent, d’ailleurs, être de profit par le ministère des sacrements, de
l’enseignement
de la piété chrétienne et des vertueux
exercices de la vie spirituelle ; les moines maronites n’étaient pas en nombre
suffisant pour satisfaire à une aussi grande foule d’âmes, d’autant plus qu’ils
étaient obligés par la tyrannie des ministres ottomans à travailler leurs
propres terrains, travail dont même les archevêques n’étaient pas exempts . Les
prêtres, pour la plus part mariés, aidaient peu ; occupés aux soins domestiques
indispensables au gouvernement de la famille, ils étaient oppressés par la
pauvreté. On considérait, en outre, que les nouveaux ouvriers de l’Evangile, par
ce facile exercice de la charité, se rendraient plus disponibles à celui plus
ardu de la conversion des infidèles. Pour mieux l’ancrer dans ses
considérations, la
nouvelle apportée par le père Celestino, nouvelle qui lui faisait connaitre la
possibilité d’établir une résidence, lui fit grand plaisir. D’autre part, il est
bon de savoir que le susnommé père celestino, missionnaire à Alep pendant 10
ans, à son retour d’une visite au Mont Carmel, en 1639, passa par le Mont
Liban.
Durant ce voyage, il vit un très ancien couvent, situé dans une certaine vallée
que nous décrirons plus tard, dédié à notre père saint Elisée.
Ne se trouvant personne pour l’habiter, il lui
parut être bien à propos d’en faire une résidence pour nos missionnaires et il
s‘engagea dans son dessein, d’autant plus que le couvent venait de lui être
offert, spontanément, par les habitants de ces parages, espérant en rapporter un
grand profit spirituel. Alléché par une offre inattendue, il prit courage pour
l’insinuer à Georgio Ameira, patriarche d’Antioche et de toute la nation
maronite. Celui-ci, y donna son consentement,
avec un grand plaisir ; il ajouta être grandement reconnaissant que le couvent
soit habité par les carmes déchaux successeurs de ce saint prophète en l’honneur
duquel l’église était dédiée. Il espérait, d’ailleurs, que ses sujets
rapporteraient de leurs œuvres et doctrine un éminent profit spirituel. Le père
Celestino le remercia fortement, et rejoignant Alep, il avisa nos supérieurs de
cette offre susnommée, et il leur exposa combien il estimait convenable d’y
établir une résidence pour nous. Trois ans plus tard, réfléchissant à cette
offre, nos
supérieurs, et en particulier, notre Préposé Général, Paul-Simon, persuadé par
les raisons susdites, se décida à promouvoir le projet. Aussi écrivit-il au même
père Celestino qui demeurait a Alep, lui signifiant sa décision et lui ordonnant
de se préparer à fonder cette nouvelle résidence, lui rappelant ce qu’il lui
avait écrit à propos du couvent de saint Elisée.
Le très fervent missionnaire se réjouit, grandement,
de ce que cette mission lui ait été confiée, réfléchissant à certains motifs
qu’il jugeait convenir à notre Reforme de mettre en œuvre pour avoir au Liban
cette nouvelle maison comme résidence et, dans ce sens, il discourait sagement.
On ne peut mettre en doute ce que sont
d’accord à raconter les plus antiques historiens, soit étrangers, soit des
nôtres, que l’Ordre carmélitain, qui eut son origine au Mont Carmel, se soit
répandu dans diverses cités[31]
de Palestine, Jérusalem, Nazareth, Sarepta de Sidon et au Mont Liban même. Pour
s’en persuader, on ne manque pas de preuve claire, d’autant plus qu’y sont
conservés des monastères d’antique mémoire dans lesquels il y a des églises et
des autels
dédiés en l’honneur de nos très saints pères
Elie et Elisée. D’où, manifestement, on constate que ce sont les héritiers de
leur esprit prophétique qui les ont érigés et habités. Il existe, pareillement,
les divins offices, de temps mémorable, composés en langue syriaque et récités
aux jours festifs des mêmes saints prophètes ; ils contiennent d’éminentes
louanges à leurs gestes héroïques et leurs miracles extraordinaires. Pour cela
les maronites leur professent une dévotion remarquable. Deux fêtes sont
consacrées à notre père saint Elie, au vingt juillet, comme il est de précepte
et commun à tout l’Ordre carmélitain, et au Samedi in Albis, pour une dévotion
particulière. Deux fêtes, également, sont celles célébrées en honneur de notre
père saint Elisée, c’est-à-dire, le 14 juin comme il est fêté par tout notre
Ordre, et le 12 octobre. Tout ceci démontre qu’une telle dévotion, envers le
premier précepteur de notre Ordre et de son premier successeur saint Elisée, fut
introduite par ces premiers pères habitants des abbayes du Liban. Il n’y a
personne à ne pas remarquer la convenance de ce que notre Réforme y ait une
résidence pour les missionnaires, qui fomenteraient et promouvraient, chez les
maronites, la même dévotion déjà introduite. Ce qu’ils ont heureusement obtenu,
nous le rapporterons, quand nous traiterons de l’utilité spirituelle qui
résultera de cette résidence, une fois fondée.
Le père Celestino fournit deux autres raisons ; dans
la seconde, il essaie de démontrer qu’en fondant cette résidence au Liban,
s’avèrerait, plus claire et littéralement vérifiée, la prédiction d’Isaïe,
‘’Convertetur Libanus in Carmelum’’, le Liban serait transformé en Carmel. Et,
bien qu’il le démontre ingénieusement, je ne veux pas m’arrêter
à le rapporter, étant, seulement, à ce qu’il me
parait, une pieuse considération de notre missionnaire. Elle contribuait,
toutefois, à stimuler nos supérieurs à entreprendre avec sollicitude
l’établissement de cette résidence. Quant à la troisième, il serait bon de
souligner la profonde dévotion,
professée
par les maronites, envers la très Sainte Vierge, de façon qu’au Liban, on trouve
encore à peine, un petit village, où il n’y a
pas d’église érigée en son honneur depuis des
temps lointains, ou au moins, quelque autel consacré à son culte. De cela, on
déduit, et non sans une probable conjecture, que nos premiers pères, très
obséquieux du culte de la Vierge, aient introduit et contribué à fomenter et
promouvoir cette vénération.
Puisque, comme la première chapelle au monde, dédiée à
la Mère de Dieu, fut érigée par ces derniers au Carmel, ainsi, il serait tout à
fait conforme à la vérité qu’ils aient essayé, avec toute diligence, d’en
promouvoir une plus obséquieuse dévotion chez les peuples parmi lesquels ils
avaient des couvents. Il convenait, pourtant, de continuer un projet aussi
louable et de mettre tout en œuvre pour avoir une résidence au Liban, alors
qu’ils pourraient, plus aisément, fomenter chez les maronites le culte de la
glorieuse Mère de Dieu à qui, cette nation était déjà,
tellement
portée. De cette façon serait réalisé ce qu’Isaïe a prédit, et, dans notre
Ordre, on chante dans l’office de la commémoration solennelle de la Bienheureuse
Vierge, que la gloire du Liban, unie à celle du Carmel, fut donnée à la Mère de
Dieu, étant donné que déjà notre Réforme avait un couvent au Carmel, pour la
vénérer plus profondément avec un perpétuel sacrifice de louange. Ce dessein ne
fut pas vain, vu que, par l’œuvre de nos missionnaires, le culte de Notre-Dame
s’est grandement développé chez les maronites comme il conviendra d’en parler en
son lieu.
Jusqu’alors, les motifs et les raisons avancés se
révélèrent approuvés par sa Divine Majesté par une réalisation grandement
propice à donner commencement à l’établissement de cette résidence. Pour cela
nous rappelons à nos lecteurs ce qui a été déjà dit plus haut, que notre père,
Paul- Simon, venait d’écrire
à père Celestino, missionnaire résidant à Alep, de se mettre à l’œuvre. Quand
cette lettre de commission lui parvint, le père Stefano était vicaire de notre
résidence d’Alep et celui-ci attendait
d’avoir
l’opportunité d’obéir aux ordres du susnommé notre Père, en envoyant le père
Celestino au Mont Liban. Il ne tarda pas longtemps à recevoir un nouveau coup de
pouce pour le faire. Deux notables maronites, natifs de cette région- là et à
qui
appartenait la terre sur laquelle se trouvait le déjà
nommé couvent de notre père saint Elisée, arrivèrent à Alep ; et,
par
des instances répétées, pressèrent notre vicaire d’y envoyer quelqu’un de ses
religieux pour en prendre possession. Ils disaient que, s’ils allaient tarder
beaucoup, ils se verraient devancer par d’autres religieux qui désiraient
l’avoir ; et, dans le cas
que cela arriverait, ils seraient tout à fait
exclus. Les habitants de ces lieux désiraient qu’il soit cédé, en particulier,
aux carmes déchaux ; et, ayant eu déjà l’ordre du Préposé Général, et ne doutant
point du consentement du patriarche, il n’y avait pas de raison pour le
délaisser. Ces instances conjointes à l’ordre donné par le Préposé Général
stimulèrent efficacement le père vicaire à y envoyer le père Celestino.
Toutefois, deux difficultés s’opposaient à cela, en ce moment. La première,
c’était le pauvre état dans lequel, en ce temps-là, se trouvait notre résidence
d’Alep, étant donné que, pour l’entretien des missionnaires et autres dépenses
indispensables, on avait contracté quelques dettes. Aussi arriva-t-il que
l’argent nécessaire manquait, soit pour le viatique du Padre, soit pour
l’entretien de la nouvelle résidence, sachant que le couvent devait être réparé,
comme il se doit à une fabrique quelconque abandonnée depuis assez longtemps.
L’autre difficulté venait de ce que le père Celestino
avait fondé à Alep la confraternité de notre Saint Scapulaire qu’il dirigeait
avec un grand profit pour ses membres qui étaient bien nombreux. Les jours de
fête, les fidèles étaient instruits, par des exhortations spirituelles à la
piété chrétienne et à la vénération spéciale de la Vierge, par le même père qui
possédait parfaitement la langue arabe. Chaque mois, on faisait la procession et
la communion générale et plusieurs autres exercices de dévotion. Il paraissait,
cependant, nécessaire de s’attarder quelque temps, afin que les pères, Bruno du
Sacré-Cœur et Paolo di Gesὺ Maria,[32]
puissent en quelque manière comprendre et parler arabe, et être ainsi habiles
pour suppléer à l’absence de père Celestino. Dieu, pourtant, qui avait inspiré
cette œuvre, défit les deux difficultés qui s’opposaient à son accomplissement.
La première cessa, étant donné que la Divine Providence disposa que, de la
personne dont on pouvait espérer le moins
(le
rapport n’en dit pas davantage), lui fut donnée une aumône non seulement
suffisante, mais surabondante comme viatique. Ce faisant, notre résidence ne
contribua point en argent, mais seulement par quelques livres. A éliminer le
second empêchement, servit l’arrivée à Alep de deux pères missionnaires destinés
à la Perse. Ce furent les pères Pietro et Barnaba dont le premier, ayant quelque
pratique de la langue arabe s’offrit promptement et avec ferveur à dire un
sermon dans ladite langue à nos confrères.
Confiant, entre-temps, dans ce qui
parut,
à des langues balbutiantes, une éloquence choisie, il s’appliqua avec beaucoup
de zèle à composer le sermon, et par un bonheur admirable, il le mémorisa et le
récita d’une manière assez particulière qui fit croire aux auditeurs
qu’il
possédait, parfaitement, la langue. Encouragés par ce succès surprenant, les
pères Bruno et Paulo s’appliquèrent, de grand cœur, à l’étude de la même
langue ; aussi, purent-ils
prêcher et continuer les exercices spirituels de nos confrères sans les
interrompre par le départ du père Celestino. Les empêchements résolus, le père
Celestino
se prépara, immédiatement, au voyage et, pourvu
d’un assez pauvre matériel pour célébrer la sainte messe, il l’entreprit le neuf
mars 1643. Il avait, en sa compagnie, quelques marchands français qui, par une
dévotion personnelle, allaient visiter les Lieux Saints de Jérusalem. Et alors
qu’ils voyageaient, tout
heureux, il leur arriva ce qui les provoqua fortement à louer le Seigneur et sa
très Sainte Mère. Au troisième jour, en matinée, le père Celestino, ayant
commencé son habituelle oraison mentale, l’un des susdits marchands, natif de
Marseille, éminent bienfaiteur de notre résidence d’Alep, appelé Arnaldo,
voulant descendre de cheval pour réciter le petit office de la très Sainte
Vierge, qu’il récitait fidèlement chaque jour, il arriva que la ceinture, dont
il se serrait les hanches, s’empêtra dans la selle du cheval, le fusil,
cependant, resta suspendu au pommeau de la selle.
Le marchand se trouva tellement enchevêtré qu’il ne
pût descendre à terre ; l’un de ses pieds
fut
retenu dans l’étrier, alors que de l’autre, il se retrouvait suspendu en l’air.
Le voyant si mal accroché, le père Celestino alla l’aider ; et s’étant approché
de lui, le fusil se retourna, l’orifice en l’air ; il se déchargea et alluma la
poudre qui lança sa flamme contre le visage
du père. Il n’eut qu’une légère lésion.
Entre-temps, le coup partit, et la balle,
passant à travers son capuchon y fit deux
trous ; cependant, une partie du bandeau, qui liait le capuchon
sous
la tête, se retrouva brûlée. Tous s’émerveillèrent que la balle ne l’ait pas
touché au front, ainsi qu’il aurait dû arriver si, au moment où le fusil fit
feu, il n’eut pas incliné, quelque peu, la tête et retourné le visage, pour
appeler les servants en aide au marchand. Cet incident, qui délivra le père
Celestino de la mort, fut attribué, par tous, à une particulière protection du
Seigneur et de sa très Sainte Mère. Sans mettre en compte que, par hasard, notre
missionnaire l’ait mérité en n’accomplissant pas ce que règle son institut qui
exempt nos religieux de satisfaire, durant les voyages, aux deux heures
quotidiennes de l’oraison mentale, et le marchand qui descendit de cheval
pour accomplir plus dévotement ses dévotions envers la très Sainte Vierge. De
cette même protection expérimentée, notre Padre retira des sentiments bien
vertueux exprimés dans son rapport. Cependant, réfléchissant à ce grave danger,
il se répandit en action de grâces au Seigneur et à sa glorieuse Mère, pour un
aussi insigne bienfait. Son humble reconnaissance l’excita à repenser aux années
écoulées de sa vie, lui paraissant les avoir dépensées, tièdement, au service de
sa Majesté
Divine, et avoir été coupable de nombreuses fautes ; il versa d’abondantes
larmes et exerça de fervents actes de contrition. Avoir été sur le point de
mourir se présenta à son esprit, et de là
il conclut, combien il est nécessaire de vivre toujours préparé à cet extrême et
effrayant évènement, certain de ne pas pouvoir l’éviter et incertaine l’heure
prescrite pour sa rencontre ; les mésaventures dans la vie sont assez
nombreuses, alors que ses laps de temps sont
mesurés. Ces considérations et d’autres pareilles firent jaillir, en sa volonté,
de fermes résolutions de se donner, plus sérieusement,
au service de notre Seigneur et au culte de la
Vierge Mère et particulière protectrice de notre Ordre carmélitain. D’où,
presque nouveau-né, il projeta d’entamer une vie plus sainte. Finalement, ce
bienfait valut de l’encourager, davantage, dans l’entreprise de la nouvelle
fondation. Cependant, ayant, au début du voyage, invoqué avec une foi profonde
l’assistance du Seigneur, l’intercession de la Vierge et notre père saint
Elisée, et jugeant les avoir implorés afin de l’effectuer, il conclut : j’étais
déjà persuadé que la fondation du Mont Liban, pour laquelle m’avait envoyé la
sainte obéissance, fût certainement décrétée et conclue au ciel.
Aussi, plein de confiance, poursuivit–il avec joie le
voyage et, au lendemain de l’accident, le 14 mars, il arriva avec les susnommés
marchands
à Tripoli, tôt, le matin du courant jour du
samedi. Il alla se caser dans la maison du consul de France qui était, en ce
temps-là, Angelo Avelli, un monsieur de très affables manières, et avec
celles-ci, il accueillit notre missionnaire et les marchands français. Ils ne
s’arrêtèrent pas longtemps, et ne se perdirent pas en compliments, car notre
Padre se prépara, immédiatement, à célébrer la messe de Notre-Dame à la chapelle
du dit consul, voulant rendre grâce à Dieu et à sa glorieuse Mère
pour leur protection
durant tout le voyage écoulé. L’ayant terminée,
il ne tarda point à traiter de sa mission, s’enquérant où retrouver le
patriarche des maronites, Giorgio Amira. Ils lui dirent qu’il était descendu, du
Mont Liban, par le chemin qui conduit à Tripoli ; cependant, il ne
se
trouvait pas dans cette ville, mais dans l’un de ses villages, appelé Zgharta et
distant de la même d’environ quatre milles. S’étant, entre-temps, restauré à la
table apprêtée par le consul, il partit, le même jour, pour le susnommé village
où il le retrouva. L’ayant salué avec une affectueuse déférence, il lui exposa
l’objet de son voyage et sa confiance de l’obtenir, estimant que sa Seigneurie
ait persévéré dans son aimable volonté de lui céder le couvent de saint Elisée,
comme il l’avait signifié, il y a déjà trois ans. Il ne manqua pas de lui
ajouter un nouveau stimulant avec les lettres de recommandation qu’il portait
avec lui et qu’il lui offrit pour l’assurer, néanmoins, de combien les
supérieurs de l’Ordre désiraient que leurs missionnaires aient une résidence en
son Liban pour s’y employer au profit spirituel des âmes.
Le patriarche, déjà bien avancé en âge, à l’instar
d’un nouveau Jacob dans sa vénérable vieillesse, à la vue de son
bien-aimé
Joseph, le reconnut de tout son esprit et, avec
une joie inexplicable, l’accueillit, sachant lui, combien de profit spirituel,
ses maronites auraient rapporté
de
notre missionnaire. Alors que ce dernier demeurait à Alep, il avait établi avec
lui une correspondance par de fréquentes lettres écrites durant l’espace
d’environ deux ans et demi ; il lui avait donné pleine faculté d’administrer les
sacrements et orienter sur les chemins de l’esprit tous ses maronites qui
habitaient en la ville susdite. Aussi, à le voir arrivé ici avec l’intention de
demeurer au Mont Liban et au couvent de saint Elisée, il lui renouvela, avec la
plus grande joie, ses propositions. L’établissement des carmes déchaux au
couvent susnommé
convenait à son inclination,
vu que dans le temps où il étudiait à Rome,
alors qu’il était élève au collège de sa nation, ils les avaient connus comme
pratiquants exemplaires de leur institut. Cependant, non seulement ils
coopéreraient à réformer les mœurs des laïcs et à améliorer
celles des ecclésiastiques, mais aussi à faire
refleurir, chez ses moines, l’exactitude de l’observance régulière. Aussi, pour
tout cela, il se montra prompt à accorder à notre Réforme le couvent de saint
Elisée, ajoutant dans sa bienveillance très humaine, ne pas octroyer, par son
consentement, une grâce mais plutôt en recevoir. Il devait, toutefois, traiter
certaines conditions à poser dans son autorisation écrite, non pas pour
interposer des difficultés, mais parce qu’il les jugeait indispensables à
l’établissement permanent de la résidence. Il dit qu’en premier lieu, il ne lui
était absolument pas possible d’aliéner le dit couvent en donnant l’entière et
absolue possession à nos religieux, puisque sa possession réelle appartenait aux
habitants du pays de Besciarrai, non seulement parce qu’il est situé dans les
limites de sa juridiction, mais parce qu’il avait été construit, dès ses
fondations, avec l’argent de leurs ancêtres, comme il en avait été réparé à
plusieurs reprises. Ceci, cependant ne ferait pas obstacle à la concession utile
et gratuite du même couvent avec l’important terrain adjacent sans être obligé
d’en payer le moindre loyer, concourant à cette concession libérale, soit sa
volonté, soit celle des fondateurs de la terre susnommée, étant donné que tout
le monde le désirait vivement. Les pères ne devraient pas se persuader que, pour
n’être pas possesseurs absolus du couvent, ils rencontreraient quelque
empêchement ou ennui en tout ce qui concernait la résidence au temporel comme au
spirituel, parce que dans le permis ou instrument d’une telle concession, par
les moyens les plus efficaces, il interdirait à ses Biscerani de s’immiscer dans
son gouvernement et les inquiéter dans les affaires spirituelles. On lit tout
cela exprimé dans l’écriture avec laquelle la possession du couvent fut cédée à
notre Réforme. Il ajouta, toutefois, à la manière d’un conseil, que cette
condition apparaissait peu favorable aux missionnaires, mais qu’elle était, tout
à fait, utile pour les exempter de graves dépenses et ennuis ; d’où il leur
convient de ne pas avoir la possession absolue pour la simple raison, que le
pays des maronites est sujet à la tyrannique domination du Turc et à l’inique
exaction de ses ministres. Ceux-ci, par des manières violentes, exigeaient des
patrons, propriétaires de terrains fruitiers, d’intolérables impôts ; d’où,
souvent, il arrivait que s’étant, pendant toute l’année, fatigués à les
cultiver, ou bien à nourrir les vers à soie,
ils
étaient contraints, comme des esclaves achetés, à payer tant d’argent, de façon
à n’en garder aucun bénéfice ou bien un trop mince. D’où, il s’en suit que si
nos religieux possédaient, à la manière de propriétaire absolus,
ils
seraient toujours inquiétés, par les mêmes exactions iniques. Il n’en serait pas
de même, s’ils vivaient à leurs propres frais, en étant simplement
administrateurs du couvent et de ses biens fructifères.
Celle-ci engendrait l’autre condition proposée par le
patriarche, celle, pour les missionnaires de cette résidence d’assurer une
annuelle et convenable rente pour leur subsistance, n’étant pas possible que des
religieux de nations étrangères la retirent des aumônes seules
offertes
par les maronites habitants du Liban, gémissant opprimés par les fréquentes
extorsions des Macomettani, par qui ils étaient réduits à une extrême pauvreté.
Aussi, au lieu de pouvoir secourir, ils avaient besoin d’être secourus. Cela
était clair chez les moines natifs du Liban auxquels, à cause de l’état
catastrophique de leur propre nation, incombait le besoin de se procurer la
nourriture et le vêtement à la sueur de leurs propres mains, labourant, tissant
et se fatiguant à d’autres travaux de plus pénibles souffrances. Devant ces
conditions, notre Padre ne fit pas marche arrière dans sa résolution ; et se
trouvant satisfait de la première, appuyé sur le sage conseil du patriarche, il
répondit à la seconde : avoir espoir en la Divine Providence, que les religieux
ne manqueraient pas d’un subside convenable pour leur entretien, prise en
considération la pauvreté prescrite par leur institut. Il reconnaissait la
vérité de ce qu’il lui exposait à propos de ses diocésains, mais qu’il n’était
pas
dans l’intention de nos supérieurs de les aggraver.
S’étant entendu à propos des deux conditions, le patriarche le renvoya avec sa
bénédiction et lui promit de traiter avec le peuple, habitant aux environs du
couvent, de tout ce qui pourrait concerner l’établissement des religieux et leur
paisible séjour ; d’où, sans entrave, ils pourraient s’adonner à la direction
spirituelle et à l’observance régulière qu’ils professaient.
Avec cette bénédiction et cette autorisation du
patriarche, le père Celestino rentra bien content à Tripoli, où il s’appliqua
soigneusement à préparer le nécessaire pour entrer en possession du couvent.
Mais afin que les œuvres faites pour Dieu reçoivent du mérite et ne soient pas
défaites par les contradictions, elle ne fut pas légère la contradiction qui
s’éleva à peine sut-on que le patriarche avait cédé le couvent
de saint Elisée à notre Réforme. Quelques
missionnaires d’un autre Ordre[33]
et qui avaient une maison à Tripoli, disaient avoir obtenu, il y a trois mois,
le dit couvent pour eux-mêmes, aussi avaient-ils
la préférence aux nôtres. Preuve à l’appui, ils
exhibaient une certaine écriture qu’ils assuraient être du patriarche et qui
contenait l’octroi invoqué. Et bien qu’ils firent du tout pour empêcher ou au
moins retarder le départ de notre missionnaire, lui, cependant, ferme dans sa
décision, répondit
qu’il lui paraissait étrange que le patriarche ait oublié un octroi écrit si peu
de temps auparavant, et quoiqu’il en soit, il ne pouvait, en aucune manière,
différer son départ et interrompre ce qui est déjà décidé. Il était obligé à le
poursuivre soit par la mission qui lui avait été donnée par ses supérieurs, soit
par la claire volonté du patriarche dont il avait reçu l’ordre de se transférer,
sans retard, au couvent de saint Elisée et d’en prendre possession. S’ils
avaient quelque opposition à faire, ils pourraient la présenter au patriarche
qui demeurait dans un lieu à peu de distance de Tripoli. Il affirma, cependant,
qu’il était tout à fait dépendant d’un signal du même patriarche ; aussi
était-il tout à fait prêt à abandonner le couvent ou bien à le troquer contre un
autre, comme il lui plairait d’en disposer, et avec cela, il poursuivit les
préparatifs de son départ. Sa constante décision calma, quelque peu,
l’excitation provoquée par les opposants, se rendant compte de la
non-consistance de ce qu’ils affirmaient, comme nous l’exposerons mieux à
l’avenir. C’est pourquoi, le père Celestino se hâta de partir dès qu’il put,
désireux de prendre possession et de célébrer la première messe, à la nouvelle
résidence, pour la prochaine fête du patriarche saint Joseph, protecteur
particulier de notre Réforme. Il ne manqua pas, comme il le dit lui-même,
d’expérimenter son assistance favorable pour parvenir à son objectif. Etant
sorti de Tripoli en direction du Mont Liban, il rencontra un maronite de noble
condition et de première autorité dans le pays de Besciarrei. Dans son
territoire, se trouvait le couvent de notre père saint Elisée. A peine entamée
conversation avec lui, il se convainquit qu’il était puissant dans ce pays qu’il
dirigeait à sa guise. Il se rappela, également, que le fils aîné de celui-ci,
étant allé, peu de temps avant, du Mont Liban à Alep, où il demeurait alors, non
seulement l’avait invité au couvent de saint Elisée, mais aussi, avec des
instances pressantes et nombreuses, il l’avait sollicité à en prendre
possession, lui montrant l’accord total de sa famille. C’était le désir, surtout
de celle-ci qu’il soit confié aux carmes déchaussés, et il
était fâcheux que les pères aient tellement
tardé à y fixer leur habitation. Par ces réflexions, il se persuada qu’il devait
lui exposer l’objectif de son voyage ; et l’ayant démontré, il ajouta que les
instances faites par son fils à Alep, l’encourageaient à requérir sa protection.
Il était, pourtant, certain qu’il partageait le même sentiment de son fils vu
que celui-ci ne se serait
hasardé
à lui offrir le couvent s’il ne savait pas se conformer au bon vouloir de son
père. Tous deux, d’ailleurs, partageaient le sentiment du patriarche dont il
avait déjà obtenu l’autorisation et la bénédiction ; il avait, cependant,
rencontré l’opposition de quelques religieux qui prétendaient au même couvent
alléguant qu’il leur avait été cédé par le patriarche, quelques mois avant la
concession faite à ses supérieurs et à lui-même. Ayant entendu cela, le noble
maronite voulut aller, immédiatement, avec notre Padre, chez le patriarche ; et,
introduit en sa présence, il lui dit que ses parents, qui habitent à Alep,
connaissant le père Celestino, ses mœurs exemplaires, son fervent zèle à exercer
la charge de missionnaire apostolique, ses manières certaines dans la direction
spirituelle des âmes, lui avaient écrit et chaudement recommandé de l’assister
de la façon la plus efficace, affirmant qu’il se refléterait en abondant profit
des âmes, si le couvent de saint Elisée était confié aux carmes déchaussés,
puisque à Alep, ils étaient en vénération, en tant qu’excellents ouvriers de
l’Evangile. Il le supplia, cependant, de les préférer à ces religieux qui,
alléguant sa concession précédente, prétendaient au même couvent. Fort surpris,
à la nouvelle de cette contradiction, le patriarche se rappela que, réellement,
il avait donné l’autorisation invoquée à ces religieux, mais qu’elle n’avait pas
été obtenue sans quelque astuce.
Cependant, il est bon de savoir qu’environ trois mois avant le départ de père
Celestino d’Alep, deux de nos missionnaires, les pères Pietro et Barnaba avaient
débarqué à Sidon... Ceux-ci, avant de rejoindre Alep, par où ils devaient
passer, avaient répandu à Berrito et Tripoli que le père Celestino, dans peu de
temps, sur l’ordre des supérieurs, serait venu au Mont Liban pour y établir une
résidence pour nos missionnaires, retenant comme certaine l’autorisation du
patriarche dont ils étaient fort voulus. Excités par ces paroles, les susnommés
religieux décidèrent de prévenir les nôtres et leur interdire l’entrée au Liban
ou, pour le moins, de les exclure du couvent de saint Elisée. Dans cet objectif,
ils se hâtèrent d’aller chez le patriarche et, par de chaudes instances, le
supplièrent de leur octroyer le dit couvent.
Le patriarche montra qu’il n’était pas, tout à fait,
disposé à le céder, alléguant la raison suivante. Son prédécesseur dans le
patriarcat leur avait octroyé au Liban un autre ancien couvent sous le titre de
saint Thomas, et ils y avaient habité pendant quelque temps. Mais, n’ayant point
de subside annuel et ne pouvant compter, pour leur subsistance, sur les seules
aumônes des maronites,
ils
s’étaient retrouvés obligés de l’abandonner. Aussi conclut-il que, s’ils étaient
munis de subside annuel et suffisant, ils devraient retourner au couvent déjà
abandonné ; et si cela leur manquait, il ne convenait pas
de
leur octroyer le couvent de saint Elisée, vu que,
pour
la même raison, ils allaient l’abandonner. Ces pères répondirent qu’ils avaient
été obligés d’abandonner
le couvent de saint Thomas, non point par
l’impossibilité de se nourrir, mais plutôt, pour l’incommodité intolérable de
son site et autres inconvénients qu’ils avaient expérimentés. Les mêmes
inconvénients, n’apparaissant pas dans le couvent de saint Elisée, ils y
auraient, cent pour cent, persévéré. Sous une vive insistance en vue de cette
concession, et ne se souvenant pas du permis octroyé au père Celestino, de sa
vive voix dans la précédente année de 1639, comme nous l’avons dit plus haut, le
patriarche se plia, quoique à contrecœur, à céder par écrit, à ces pères, le
couvent de saint Elisée. A cette manière peu sincère d’agir s’ajouta ce qui fit
cesser tout à fait l’opposition. Le supérieur des religieux prétendants
affirmait avoir demandé au patriarche ladite autorisation, non seulement, sans
en être chargé par ses supérieurs de l’Europe, mais expressément contre leur
volonté, vu qu’il avait reçu de ses supérieurs, qui résidaient en France,
l’ordre de ne pas accepter ou fonder une autre nouvelle résidence en Syrie et
Palestine et particulièrement au Mont Liban, à raison de la grande pauvreté de
ses habitants qui ne pouvaient pas lui fournir d’aumônes suffisantes au maintien
des missionnaires ; il
n’était
pas digne de l’institut qu’ils professaient qu’ une rente annuelle leur soit
accordée. Il est tellement sage le conseil de ne pas déclarer le dessein de
nouvelles fondations, avant qu’elles ne soient établies, d’où notre Mère sainte
Thérèse le recommanda, à plusieurs reprises, dans son livre des Fondations.
Partant de tout cela, le patriarche décida de ne pas prendre en considération la licence, la jugeant subreptice, contraire à sa première promesse faite au père Celestino, et obtenue contre la volonté des supérieurs de ces pères. Il se détermina à livrer, à notre Réforme le couvent de saint Elisée, et il se confirma dans cette décision pour les raisons suivantes. Premièrement, il savait que telle était la volonté de ces maronites à qui appartenait la possession territoriale du site où le couvent était érigé, et eux-mêmes lui faisaient, expressément, instance en faveur des carmes déchaux. En second lieu, il disait que l’institut de notre Réforme s’adaptait plus à ce que professaient les religieux de saint Antoine dont il y en avait beaucoup sur la même montagne. Ceux-ci jeûnent perpétuellement et se privent des viandes, et, en cela, nos religieux quand ils ne sont pas malades, leur sont totalement égaux ; quant au premier point, ou bien ils les dépassent ou bien ils ne leur sont pas inférieurs, jeûnant plus de sept mois l’année, bien que non point de la même extrême rigueur des Orientaux, comme nous aurons à en référer. La troisième raison comportait, en elle-même, une convenance assez plausible, le couvent était dédié, comme on l’a dit, à saint Elisée, et tout l’Ordre carmélitain, se prévalant de la succession de ce saint prophète, était reconnu, d’une façon particulière, héritier de son institut et de son esprit. Pour ces motifs donc, le patriarche révoqua la licence donnée à ces religieux, la déclarant obtenue d’une mauvaise façon, et renouvela celle déjà délivrée au père Celestino ; aussi, celui-ci, avec sa bénédiction, accéléra son départ pour le Mont Liban, au cours du dix-huitième jour de mars, désireux de célébrer la première messe à la nouvelle résidence, le jour suivant, où l’on célèbre la fête de notre protecteur et patriarche saint Joseph.
Photo: Deir Mar Licha, Qannoubine
L’opposition soulevée, tout à fait calmée, et une fois
obtenue la concession renouvelée du couvent, le père Celestino se dirigea, tout
heureux, au Mont Liban. Le susnommé notable maronite voulut l’accompagner pour
le seconder, à l’occasion, de son autorité respectée, avec un autre maronite,
natif de Besciarrei lequel, pendant diverses années, avait été domestique de
notre résidence d’Alep et, avec beaucoup d’instance, il avait sollicité nos
missionnaires de se transférer au Mont Liban. La raison en est que, dans ladite
terre, habitait un grand nombre de ses parents, et il désirait qu’ils jouissent
de la direction spirituelle de nos missionnaires. Durant ce voyage, les peines
qu’ils souffrirent furent bien grandes ; étant temps de carême, les orientaux,
en ces journées, jeûnent
avec une extrême rigueur, ne déjeunant que trois ou quatre heures après-midi,
estimant,
comme une transgression
du
jeûne, de se nourrir d’un peu de pain ou boire un peu d’eau. En cela, ils sont
tellement tenaces que même les voyageurs l’observent, alors même qu’ils marchent
à pieds. Ce qui est le plus considérable, dans la piété chrétienne, n’est pas la
seule abstinence des aliments mais, plutôt, le jeûne des vices. Saint François
disait : ‘’La charité seule rend vraiment saint, non les œuvres pénales avec
lesquelles les méchants, aussi, peuvent se mortifier’’. Vers trois heures de
l’après-midi, quoique fortement gênés, ils parvinrent à un couvent assez célèbre
de saint Antoine où, dans les siècles passés, vivait un grand nombre de moines
qui observaient avec rigueur la règle de ce saint Abbé.
Leur vertu exemplaire
leur
avait mérité soit la dignité patriarcale soit des mitres inférieures à celle-ci
et auxquelles ils avaient été élus.
Dans le temps, cependant, où passèrent nos
voyageurs, on déplorait la décadence de la discipline monastique et le nombre
des religieux était très restreint, les ayant réduits à un état aussi
déplorable la tyrannie turque désolatrice d’une grande partie du monde. C’était
bien à cause de l’avide avarice de celle-ci même que ces quelques peu nombreux
moines étaient contraints à se nourrir du travail de leurs propres mains.
Néanmoins, avec des signes de grande charité, ils reçoivent les hôtes qui
passent par là. Avec les mêmes expressions, ils accueillirent notre Padre avec
les deux maronites ; comme la pénurie du temporel ne correspondait pas à la
grande bienveillance, tout le servi à table fut une soupe de lentilles et une
salade. Les voyageurs, encore à jeun, exténués par le voyage, se restaurèrent à
ce pauvre déjeuner ; toutefois, remerciant grandement,
ils voulurent immédiatement poursuivre le
voyage pour arriver au couvent de saint Elisée dans la matinée suivante et y
célébrer la sainte messe. Mais, peu de temps après, ils rencontrèrent deux
janissaires envoyés au Mont Liban par le gouverneur de la ville[34]
pour percevoir ce qui manquait au payement complet des taxes. Ceux-ci avaient
l’air des soldats dont parle saint Ignace martyr, les qualifiant de léopards,
car se jetant sur le maronite qui, comme nous l’avons dit plus haut, était le
plus respecté sur la terre de Besciarrai et, de façon insolente, ils lui
demandèrent huit Balleri, monnaie propre du pays. Le maronite s’excusait,
humblement, disant qu’il n’avait pas sur lui, l’argent demandé ; et il les
priait d’attendre, seulement, deux jours, après quoi, il aurait satisfait la
taxe qui lui était imposée. Mais rien ne servit à plaquer les deux bêtes sous
apparence humaine ; aussi, le frappant avec les bâtons portés toujours par les
ministres de la justice, ils le jetèrent à terre, cruellement meurtri.
Effectivement, le maronite, n’ayant pas l’argent, ne pouvait pas les satisfaire,
mais ces barbares, ne lui prêtant pas foi, dégainèrent le cimeterre, le menaçant
de mort. Le maronite maltraité se taisait ; aussi les janissaires, persuadés que
vraiment il n’avait pas l’argent, lui lièrent les mains par derrière pour le
conduire au gouverneur de Tripoli. Emu d’une aussi
impitoyable
barbarie, le père Celestino, par d’affables manières, intervint auprès des
janissaires, les suppliant de ne pas torturer une personne aussi importante,
d’autant plus que le terme dans lequel il promettait de les satisfaire était
très bref, ne pouvant pas donner l’argent qu’il n’avait pas. Le maronite, étant
son compagnon de voyage, et ne pouvant le poursuivre s’il n’allait pas avec lui,
il leur demanda la faveur de ne pas l’en priver. Devant cette prière aussi
humble, l’un de ces impitoyables, fort loin de se calmer, se tourna à regarder
le Padre d’un visage courroucé, et l’assaillant à coups de bâton et de poing,
menaçait de le précipiter de la montagne. Il l’aurait, par hasard, exécuté si
l’autre, moins cruel, ne fût accouru à le lui arracher des mains. Notre
missionnaire accepta avec sérénité de cœur et de visage un affront aussi
injurieux et l’offrit à sa Divine Majesté, comme il l’affirme lui-même, en
préparation à la fête du jour suivant, et pour l’heureuse réussite de la
nouvelle résidence, sachant que les peines souffertes par amour du prochain,
sont le sacrifice le plus agréable à Dieu. Son cœur ne supportait pas de voir
son bienfaiteur si maltraité ; aussi, interrogea-t-il l’autre maronite, son
compagnon, sur la façon de le libérer. Il pensait, d’ailleurs, que
gagner
la bienveillance du notable maronite lui serait d’un grand profit dans son
projet de fondation. Son compagnon lui répondit que l’unique moyen était de lui
donner l’argent requis ; et que s’il l’avait, il ne perdrait rien à le lui
prêter ; et par cet acte de charité, il gagnerait la bienveillance de
beaucoup de gens, le maronite étant fort estimé dans son pays. Notre
missionnaire sauta sur l’occasion, et lui passant, secrètement, l’argent, il lui
dit de le donner aux janissaires comme si c’était le sien. S’étant exécuté, le
maronite fut relâché ; aussi, poursuivirent-ils le voyage ; et arrivé, à
Besciarrai, le maronite restitua ponctuellement l’argent à notre Padre, en lui
rendant grâces. De l’événement rapporté, on constate combien était inhumaine la
manière turque de traiter les chrétiens, alors qu’ils s’acharnent tellement pour
toucher si peu d’argent, non pas nié, mais non immédiatement payé. Sortis des
mains des barbares, et bien qu’ils aient été meurtris, ils reprirent rapidement
le voyage, non peu retardés, par ladite malheureuse rencontre.
Cette nuit-là, il leur fut impossible de rejoindre le
couvent de saint Elisée. Toutefois, ils ne purent avancer, d’un pas accéléré,
comme ils le désiraient, à cause d’un autre
sinistre incident. Le soleil était déjà sur le
point de se coucher, dans un ciel obscurci par des denses nuages, quand une
tempête se déchaina assez furieuse ; fortement terrorisés, ils pensèrent que
l’enfer voulait leur interdire le voyage, entrepris en vue d’un projet aussi
saint. On entendait des grondements de tonnerre retentissants, suivis d’un grand
nombre de foudres déchaînées, alors que tombait une abondante pluie, un mélange
de neige et de grêle ; des vents opposés, luttant impétueux entre eux,
paraissaient vouloir ébranler et déraciner la montagne même. Ils marchaient,
entretemps, à grande difficulté, et non sans grave danger, surtout lorsque
survint l’obscurité de la nuit. Se rendant, enfin, compte, qu’il
aurait été téméraire de vouloir atteindre le
dit couvent, au risque de s’égarer, ou de s’exposer au danger manifeste d’être
précipités de l’escarpement de la montagne ; ils décidèrent de s’arrêter dans un
village voisin,[35]
et de se réfugier dans la maison du curé où ils furent hébergés avec une très
pauvre nourriture, mais avec une riche affection. La matinée suivante, réveillés
à temps, ils poursuivirent leur voyage. Désireux d’atteindre le couvent à une
heure opportune pour apprêter et orner, en quelque sorte, l’église pour y
célébrer la première messe, ils laissèrent la voie commune, plus longue ;
et par une autre plus brève, mais non pas moins dure, et qui, à première vue,
semble impraticable et précipitée,
ils descendirent dans la vallée où le couvent
est situé. Etant parvenus, après un voyage désastreux, ils virent la tristesse
passée compensée par les applaudissements et la joie inattendue des habitants de
l’entourage. Ils accouraient tous, pour baiser le scapulaire de notre
missionnaire se félicitant de son arrivée, tellement désirée et attendue de leur
part. Mais, se tirant d’aussi joyeuses acclamations, le père Celestino se mit,
immédiatement, à préparer le nécessaire pour célébrer la sainte messe. Il orna
l’église autant que le temps le permettait, non pas avec un apparat somptueux,
mais avec des verdures et diverses manières. Bien qu’en ce temps-là, la fête du
saint patriarche n’était pas célébrée, par les maronites, comme fête de
précepte, néanmoins, tout le monde voulut assister à la messe de notre
missionnaire ; à la fin de celle-ci, notre Padre, bien versé dans le langage de
ce pays, prononça un sermon
à la louange
du saint patriarche. Que personne ne s’étonne
qu’il pût le dire à l’improviste, et tout à fait meurtri qu’il était, soit par
les coups reçus, soit par la tempête précédente et la fatigue du voyage. Le père
Celestino était doué d’un esprit très fervent et d’une éloquence, non apprise
selon des
préceptes rhétoriques, ni étudiée dans les livres, mais insufflée du Seigneur
dans l’oraison et les saintes méditations. Cela m’est manifeste non du rapport
d’autrui, mais pour l’avoir écouté, lors des sermons domestiques prononcés par
lui à l’oratoire de notre couvent de ‘’La Madonna della Vittoria ». En les
disant, il s’enflammait d’une telle ardeur, que ses paroles paraissaient,
ouvertement, être autant de flammes ou étincelles jaillissant du feu de l’amour
de Dieu qui lui brûlait le cœur. Les maronites, à l’écoute de ce sermon,
commencèrent à s’enflammer dans la dévotion du très saint époux de la Vierge ;
et notre missionnaire, en véritable héritier de l’esprit de notre mère sainte
Thérèse, décida, à l’imitation de la sainte réformatrice, de faire du tout pour
propager, dans le Mont Liban, le culte du Saint. Dans cette perspective, il alla
en traiter avec le patriarche Joseph[36]
et lui représenta les raisons les plus efficaces pour l’induire à faire célébrer
la messe, à la manière aussi solennelle qu’en usage dans l’Eglise latine,
c’est-à-dire, de précepte. Il lui représenta les éminentes vertus du nourricier
du Verbe incarné, non inférieur en mérite et dignité
aux saints Apôtres, vu que la sainteté et l’abondance de la grâce justifiante
des élus de Dieu, se mesure à l’objectif et ά la charge dont ils sont
mandataires de sa Divine Majesté. Saint Joseph,
ayant été
élevé à celle de père putatif du Verbe incarné,
les Evangélistes n’hésitèrent point à écrire qu’Il lui fut sujet, témoignant
d’une façon inexplicable de sa prééminence. Le Seigneur, en outre, l’ayant
choisi comme époux de la Vierge qui, de par sa dignité de Mère de Dieu, jouit
d’une grandeur
infinie, que Dieu ne peut en communiquer de plus grand à une simple créature, on
ne pouvait douter que son époux lui fût aussi semblable. Il lui parla de sa
toute puissante intercession célébrée, avec la plus haute vénération, par notre
mère sainte Thérèse, puisque, comme il lui dit, le Fils de Dieu daigna vouloir
lui être sujet sur terre, il lui conserve la même intimité au ciel en
exauçant ce qu’il lui demande. Aux autres saints, le Seigneur a fait don de
porter secours dans certaines nécessités particulières, comme à l’abbé saint
Antoine de délivrer du feu, mais à saint Joseph, il a tout donné. Dans ses
entretiens familiers avec les maronites, il parla des mêmes prérogatives, et ses
raisonnements furent tellement efficaces, qu’il obtint que la fête soit célébrée
comme de précepte, avec beaucoup de solennité et de concours. Notre missionnaire
se réjouit, surtout,
d’avoir donné principe à l’établissement de
cette nouvelle résidence en propageant la dévotion au saint époux de la Vierge.
Si ceci avait été le seul fruit spirituel de son action, et qu’il en ait eu des
souffrances majeures, il se serait estimé récompensé. Il en aurait, même,
embrassé de plus dures pour répondre, au moins en quelque sorte, aux
innombrables bénéfices, avec lesquels, ce saint a obligé toute notre Réforme à
l’élire et à le vénérer comme protecteur extraordinaire, en célébrant une fête
particulière, avec office et messe propres et rite de double majeur, au
troisième dimanche après la Pâque de la Résurrection.
Cependant, avant de rapporter combien cette résidence
de nos missionnaires fut utile au profit spirituel des âmes, la description du
site
et de la fabrique de ce couvent apporterait du mérite à l’œuvre, ayant entre les
mains, des informations particulières, tout à fait distinctes, laissées par le
père Celestino, lui-même, dans son rapport latin original. Commençons par les
débuts. C’est une profonde et très agréable vallée ; s’étirant en longueur, elle
descend sur une très grande distance. Des deux côtés s’élèvent des rochers très
hauts
et inaccessibles ; et en sa partie orientale, à la
distance d’environ six milles, on voit les nombreux arbres de cèdres dont il a
été question plus haut. Dans la partie occidentale opposée, et à la distance
d’environ quatre milles, se situe le couvent patriarcal appelé Canobin. Assez
supérieure est la distance de Damas, métropole de la Syrie, laquelle, à midi,
est loin de l’espace de trois journées de voyage ; au nord on voit la ville de
Tripoli dont elle est éloignée d’environ trente milles. La partie la plus basse
de cette vallée sert de lit à un torrent très rapide, appelé par les habitants
« Saint ». Quelques-uns pensent que la sainteté lui fut attribuée du fait que sa
source se trouve au-dessous des racines des susdits cèdres, arbres qui ont la
réputation
d’être sacrés, étant, par hasard,
fréquemment,
nommés dans les Ecritures Saintes, et honorés en tant que symboles des justes,
ou bien d’autres éminentes et divines prérogatives et dons surnaturels. D’autres
estiment que ce titre leur a été donné de par la
sainteté de la vallée même, vu que, dans les
temps les plus éloignés, elle était sanctifiée par un grand nombre d’églises,
couvents et ermitages qui étaient fabriqués avec une merveilleuse architecture,
sur les deux rives du fleuve, sur une longueur de cinq ou six milles et,
particulièrement, en diverses cavernes de la montagne. Ceux-ci étaient habités
par un pareil nombre de religieux et ermites qui, à l’instar des bienheureux
anges du ciel, jour et nuit, chantaient les louanges du Seigneur, et avaient
changé les solitudes du Liban en paradis terrestre de mœurs innocentes. Quelques
maronites, au seuil de l’extrême vieillesse, affirmaient, qu’aux jours du
dimanche et autres fêtes de l’année, on y célébrait un si grand nombre de messes
solennelles que,
par suite de l’épaisse fumée de l’encens et
autres arômes qui se condensait dans l’air, un très grand et odoriférant
brouillard recouvrait, en grande partie, la vallée. Cela est dû particulièrement
à ce que les Orientaux, à n’importe quelle messe, consument beaucoup d’encens,
surtout au Liban, où on l’extrait des cèdres, en grande quantité. Les eaux du
même fleuve sont de parfaite et salubre qualité ; et le murmure continuel de son
cours incite à lui correspondre, de vive voix, en louanges
divines. En ce qui a rapport à sa construction,
elle est, sans doute, très ancienne et, nous l’avons dit plus haut, souvent,
elle a été refaite par les habitants des environs. Elle est toute incluse dans
une très vaste caverne à laquelle sert d’appui un rocher de majeure ampleur ;
aussi,
le même rocher sert de toit à l’église et, surélevé à
une grande altitude, il lui sert de rempart contre le vent du nord. Il y a dans
son intérieur sept autels ; le premier de ceux-ci, est dédié à notre père saint
Elie, le second, et il est le principal, est érigé en honneur de son premier
fils spirituel, et c’est notre père saint Elisée. Il n’est pas fait mention des
autres, aussi, me convient-il de le taire. Près de la porte de l’église, est
située la fabrique du couvent qui s’étend sur soixante palmes en longueur, quant
à la largeur, elle est inégale, car, à l’entrée, elle n’est pas plus de quatorze
palmes ; et, tout en croissant, elle se dilate jusqu'à trente. La hauteur ne
dépasse pas vingt-huit palmes. Aux temps les plus éloignés, soit l’église soit,
l’habitation des religieux, se trouvaient au premier étage ; aujourd’hui, elles
sont dans l’autre. Il y avait, de même, au plus intime, d’autres ateliers et
diverses remises pour le bétail. Dans la partie supérieure, qui donne à midi,
cinq arcades perçaient le mur externe où la place évidée pour les fenêtres fut
fermée pour se préserver du froid. Il y avait de l’espace suffisant pour y
construire cinq cellules, selon les dimensions prescrites par notre institut,
avec d’autres ateliers. A la dilection des regards, se déploie une perspective
si agréable que la parole est impuissante à exprimer puisque, à largeur de
regard, on admire des jardins, des champs, forêts, fleuve, collines, qui, par la
variété des objets présentent un charme riant et caractérisé. Il y avait,
également, sur l’autre flanc de l’église, une autre construction plus grande, le
double de celle déjà décrite, laquelle servait comme demeure soit au séculier à
qui échouait l’entretien du couvent, soit aux pâtres et cultivateurs des
propriétés appartenant à celui-ci. Elle servait, pareillement, à l’élevage du
ver à soie, et à la réception des étrangers. Celle-ci, aussi, aurait été cédée à
nos religieux s’ils avaient voulu s’obliger à restaurer une autre maison de
campagne voisine, fort en ruine, et qu’on pouvait la
réparer, disait-on, pour seulement vingt-cinq
écus. A ces deux constructions s’ajoutaient, à peu de distance du couvent,
quelques cavernes jadis habitations des anciens ermites, et parmi celles-ci, il
y en avait une de trois ou quatre chambres, qui avait une église ou chapelle
contigüe. Le père Celestino jugea, entre temps, qu’elle aurait été bien à propos
pour les exercices spirituels, auxquels nos religieux ont l’habitude de s’y
retirer, chaque année. Le père Celestino se fixa dans le couvent décrit en
premier lieu, sans aucun compagnon ; et s’écoulant le temps de carême, où il y
avait le jeûne, il y endura une extrême pauvreté et un jeûne extrêmement
rigoureux ; tous
les ustensiles nécessaires à un couvent lui manquaient ; et, pour enlever toute
ombre de scandale, il voulut se soumettre au rigoureux modèle de jeûne observé
par les Orientaux, spécialement, les moines et les solitaires. Ceux-ci ne
prennent le moindre repas sinon que quelques heures avant le coucher du soleil ;
et, s’abstenant du vin et du poisson, ils mangent, seulement, légumes et herbes
cuites, et presque rien d’autre. Plus sévère, fut l’abstinence de notre
missionnaire, soit qu’il jugeait convenir de se montrer exemplaire en austérité,
soit, manquant de toute provision, il ne voulait pas commencer à demander
l’aumône, craignant d’en être importuné en retour. Il arriva donc que jusqu'à
Pâques qui, en cette année de 1643, tomba au cinquième jour d’avril, il n’alluma
jamais de feu, souffrant un très grand froid, et se nourrissant seulement de
noix et figues sèches dont il avait fait provision de son propre argent. Le
Seigneur disposa, cependant, qu’une aussi extrême rigueur de son serviteur fut
tempéré, étant donné que l’un des habitants voisins, se rendant compte de
ses peines, lui portait, chaque jour, une soupe de légumes ou d’herbes
champêtres ; et avec cela, il se contentait comme d’une table somptueuse.
Cependant il ne se serait pas satisfait d’une aussi frugale nourriture, surtout
au milieu de tant d’occupations laborieuses qu’il eut à traiter immédiatement,
s’il n’eut été nourri, intérieurement, avec les douceurs de l’esprit par le
Seigneur qui, aux dires de David, ne dédaigne pas de nourrir, de la rosée du
ciel, les petits du corbeau. Les éminentes vertus de ce père, connues de moi et
admirées pendant de nombreuses années, servirent, également, à lui faire
souffrir un jeûne aussi rigoureux ; qu’on pense, d’ailleurs, qu’il était
hollandais, nation qui a, en grand horreur, de boire de l’eau crue. D’ailleurs,
cela ne convenait point au climat du Liban, alors que la neige, quasi
continuelle, le rend très froid. Vivant dans une aussi pénible rigueur, on lui
rapporta que la prochaine fête de l’Annonciation de Notre-Dame, était célébrée,
solennellement et à grand concours de peuple, en l’église de Canobin, couvent
patriarcal. Le fils de la très Sainte Vierge, se réjouit à cette nouvelle, et
décida de ne point négliger une conjoncture aussi opportune pour donner principe
à satisfaire
à sa charge de missionnaire apostolique. Dans
les quelques jours qui manquaient à ladite fête, il composa un sermon dans le
langage du pays, en honneur de la Vierge Marie, prenant en considération le
mystère sublime de l’incarnation du Verbe Divin, et dans la matinée de la même
solennité, il se rendit à l’église susnommée, à une distance de plus de quatre
milles. Là-bas, il assista à la messe solennelle, et après le chant de
l’évangile, il prononça
son sermon, en présence de tout le clergé et du peuple. Il en recueillit un
fruit bien grand, ayant été l’un de ceux qui avaient voix de la vertu, laquelle,
pénétrant par l’oreille, arrive jusqu’au cœur des auditeurs ; aussi, se
termina-t-il, non seulement par un vain applaudissement au prédicateur, mais
bien plus, par leur componction. Tout cela fut reconnu aux effets, puisque du
prêche, les maronites se rendirent compte que notre père était un homme de Dieu,
comme il avait la poitrine pleine de l’Esprit, qui se diffusait tellement dans
ses paroles. Aussi, plusieurs le choisirent-ils comme directeur de leur propre
conscience, de leur vie, et des exercices spirituels auxquels ils se dédièrent
sérieusement. Il s’appliqua lui, d’assez bon grès, à leur administrer le
sacrement de pénitence, et à leur enseigner l’exercice de la piété et des vertus
chrétiennes, soit dans des sermons publics, soit dans des exhortations privées.
Et cela, dans deux objectifs : premièrement, pour avoir jugé
convenable,
dans ces débuts, de capter la bienveillance des maronites, et de les attacher
aux religieux de notre Réforme, sachant que la pieuse affection est un moyen
pour les induire à exécuter les salutaires orientations des directeurs des
âmes ; car, aux dires des théologiens, elle est une bonne disposition pour
attirer les hommes à embrasser les mystères de la foi catholique et s’y engager.
D’ailleurs, se voyant offrir une très abondante moisson, il réfléchit à
l’immense pénurie d’ouvriers
évangéliques,
puisque, en ce temps-là, aucun couvent de religieux mendiants n’était, encore,
fondé
au Liban ;[37]
et au surplus, dans les quarante, entre terres et villages qui s’y trouvaient,
pouvait-on, à peine,
trouver quelqu’un, même médiocrement instruit,
qui pût y exercer l’office de curé et y fût habile à prêcher la parole de Dieu,
et enseigner les ignorants et les gens de la campagne. Il lui paraissait,
entretemps, s’avérer les paroles du prophète Jérémie, ‘’ les petits réclamèrent
du pain et il n’y avait personne pour le leur rompre ‘’ ; c’est-à-dire, les
ignorants réclamèrent
la nourriture de la parole
de Dieu, pour être animés
à
œuvrer vertueusement ; et, en l’absence de maîtres spirituels, ils n’étaient pas
instruits des mystères des Ecritures Divines. Emu de cette pieuse affection, il
voulut, durant la prochaine Semaine Sainte, bien qu’il fût seul, faire de son
mieux pour célébrer les fonctions
de ces jours saints. Auparavant, dans les jours
précédant le jeudi de la Scène du Seigneur et l’institution du très Saint
Sacrement de l’autel, il se consacra à écouter
les confessions, souffrant en cela la plus
grande incommodité qui puisse être imaginée. Arrivé le jour susnommé, ils
reçurent, tous, le saint sacrement de l’Eucharistie. Celle-ci demeura
exposée
au sépulcre, durant toute la nuit suivante et la matinée. A l’exhortation de
notre missionnaire, ils y assistèrent, à tour de rôle, comme il est de coutume
chez les latins. Il ne manqua, non plus, que certains se donnent la discipline
jusqu'à l’effusion du sang. D’autres montrèrent leur vénération par de
nombreuses inclinaisons et prostrations qu’ils ne cessèrent
qu’épuisés et baignés de sueur. Il ne voulut,
non plus, omettre la fonction sacrée du lavement des pieds, et l’exécutant avec
une fervente humilité, notre missionnaire les lava à plusieurs donnant à chacun
une dévote image, ou une croix ou une médaille. Tout cela fut exécuté, à la
grande consolation et joie de l’esprit ; les maronites en restèrent émus, vu la
nouveauté et la sainteté des rites sacrés. Notre missionnaire rejoignit son but,
puisque dès ce jour et plus haut, ils augmentèrent de vénération pour les
religieux de notre Réforme, et par conséquent, ils mirent à profit leurs
salutaires orientations comme il nous conviendra d’en rapporter.
Le jour suivant de la Résurrection du Christ notre
Seigneur, le père Celestino alla à ‘’ la terre première ‘’ à laquelle, au
temporel, notre couvent est sujet, pour célébrer avec les habitants, le très
solennel jour, et les disposer à recevoir les saints sacrements de l’Eglise.
Entre-temps, on lui fit savoir qu’il y avait parmi quelques-uns, des dissensions
déclarées, et qu’ils y persistaient déjà depuis quelques mois ; s’en sentant
très attristé, il s’appliqua immédiatement à remettre la paix. Il exhorta, en
public et en privé, à se réconcilier dans la paix de la charité chrétienne,
devise unique et propre de ceux qui professent l’Evangile. La paix étant
l’hérédité laissée par notre Seigneur à
ses disciples et Apôtres, d’où tant de fois il
la leur avait annoncée ;
personne,
d’ailleurs, ne peut se réclamer du caractère et titre de chrétien, s’il nourrit
la discorde. Terminé le sermon avec d’autres motifs efficaces et la messe
solennelle, une démonstration
publique de réconciliation eut lieu ; puisqu’ils allèrent à la maison du chef
principal du pays et, par un amiable échange, ils se souhaitèrent la fête tout
heureux. Ils s’embrassèrent et, s’étant donné le baiser de paix, ils mangèrent
tous, à une même table. Les félicitations déjà faites au père pour la concession
du couvent furent renouvelées, et ils se réjouirent de ce qu’il avait choisi
celui qui est voisin de leur terre alors que, de débuts aussi saints, on se
promettait des progrès spirituels supérieurs. Heureux pour cela de voir les
pères établis,
ils décidèrent de supplier le patriarche, à nouveau, de confirmer par un
authentique écrit, le permis déjà accordé. Le patriarche répondit, de bon gré, à
leur requête et, par une autorisation signée et régulièrement formulée, il
réaffirma la possession donnée, en plus des autres facultés ajoutées.
Ayant donné une aussi solide initiation à cette nouvelle résidence, et les
festivités de Pâques terminées, il vint à l’esprit de père Celestino d’aller au
Mont Carmel, visiter le père Prospero, vicaire de notre couvent.
En décidant de réaliser ce projet, il avait deux
buts : l’un pour s’entretenir avec ce missionnaire tellement accrédité et déjà
marqué par l’âge, homme plein de Dieu, et qui l’avait soutenu jusqu'à ce moment,
puisqu’il ne doutait point de recevoir, de sa prudence plutôt divine qu’humaine,
des conseils salutaires pour promouvoir ce qui était déjà commencé. En cela, il
était tout à fait sagement humble de ne pas se confier, dans une œuvre aussi
importante, au service de Dieu, à son propre sens ; l’Esprit Saint conseille de
ne pas s’appuyer sur sa propre prudence. Et en plus, pour lui demander quelque
mobilier à fournir à la nouvelle résidence, poussé par l’extrême absence de tout
le nécessaire et convaincu de le recevoir du charitable serviteur de Dieu. Parti
en voyage, il parvint à Sidon où, par un bonheur inexplicable, il rencontra le
père Basile de saint François, déjà fondateur de notre maison de Bassora et
missionnaire de très célèbre renom. Ce dernier se trouvait en compagnie de
Michele Condoleo ;
étant parti de Babylonie sur Damas, peu de
jours avant, il était arrivé à Sidon, en vue de visiter le saint Mont Carmel, et
profiter de quelque navire pour repasser en Europe, ayant été substitué au
procureur de notre mission de
Perse.
Etant amis depuis belle lurette, la rencontre fut des plus joyeuses à désirer,
s’entendant parfaitement dans la vertueuse propension à promouvoir les missions,
et coopérer au salut des âmes. Ils s’entretinrent de tout cela avec grand
plaisir, échangeant mutuellement ce qu’ils
avaient opéré au service de notre Seigneur et à l’exaltation de la foi. Immense
fut la joie de père Basile, à la nouvelle de l’établissement déjà fait de la
résidence du Mont Liban, mu d’un certain espoir qu’il allait être de grand
profit spirituel à la nation maronite, en extrême pénurie de sages maîtres pour
la direction des âmes, comme on vient de l’indiquer. D’accord, également, dans
le dessein de visiter le saint Mont Carmel, ils y montèrent ensemble. Accueillis
avec beaucoup de joie et
de
bienveillance par le père Prospero, ils entrèrent à la chapelle de la très
Sainte Vierge et, prostrés devant l’image sacrée, ils lui rendirent grâce pour
sa favorable protection ; et le susnommé père Vicaire, exultant d’une joie
intérieure, entonna, à haute voix, l’hymne Te Deum Laudamus. Poursuivant tous,
avec des expressions de tendre consolation, ils ne purent retenir leurs larmes.
Ils retrouvèrent, là-bas, deux marchands français, originaires de Marseille, qui
y étaient parvenus, deux jours auparavant, au retour du pèlerinage sacré à
Jérusalem. Les marchands étaient exceptionnellement affectionnés à cette sainte
Montagne, reconnaissant dans ses vestiges, encore en ruines, combien Dieu, aux
siècles révolus, fut glorifié par une multitude de religieux, et déplorant la
désolation qu’on y voyait, effet de la barbarie turque et
de
la superstitieuse secte de Macometto. Ils n’étaient pas moins édifiés par
l’exacte observance régulière qui s’y observait par nos religieux, bien qu’en
nombre réduit, de l’austérité, la vie retirée et l’exercice de l’oraison vécus.
Le père Prospero était particulièrement admiré de tous ; il superait tout le
monde en mortification et vertu, nullement inférieures à celles des plus
célèbres et anciens ermites de la Nitrée et Thébaïde. L’un des susnommés
français, exalté par la sainteté du lieu, et la conversation édifiante des
pères, avait décidé de satisfaire à sa dévotion, en s’y attardant plusieurs
jours, le calme de la
solitude
silencieuse se révélant être plus recherché que les divertissements bruyants des
villes surpeuplées. Saint Jérôme appela celle-ci prison, et celle-là paradis
terrestre. Le père Celestino écrit, dans son rapport, de cette même exacte
observance régulière et de l’austérité de la vie pratiquée par nos religieux ;
mais, en ayant déjà parlé en son propre lieu, il ne convient pas de le répéter.
Nos deux pères, Celestino et Basile, recréés, plutôt, par une spirituelle
consolation de l’âme que par le repos du corps, le premier manifesta au père
Prospero, les objectifs pour lesquels il s’était transféré au Carmel, et il en
reçut des salutaires conseils et promesses d’être aidé pour autant que le lui
permettait sa pauvreté. Entre-temps, on avisa le père vicaire que, le père
Thomas et deux autres de nos religieux étaient parvenus à Chypre et que, de là,
ils s’embarqueraient pour la Syrie et la Palestine. A cet avis, le père
Celestino décida de partir, le jour suivant, pour la Ptolemaïde. Et cela parce
qu’il voulait regagner le Mont Liban en compagnie des deux susnommés marchands
qui étaient déjà partis pour visiter Nazareth et le Mont Tabor. Par contre, le
père Basile qui s’était plu beaucoup dans la solitude du Carmel, et dans
l’exacte observance du couvent, voulut y rester les dix jours des exercices
spirituels auxquels, chaque année, nos religieux ont l’habitude de se consacrer.
Et en plus de cette coutume, il désirait, par ce recueillement, se préparer à
son long voyage en Europe. Cela étant, le vicaire voulut aller, le jour suivant
avec le père Celestino à Ptolemaïde, et là-bas, gardant quelques objets sacrés
pour son couvent, il en donna quelques-uns à la résidence du Mont Liban, parmi
lesquels, ce qui immédiatement servait au sacrifice de la messe, avec d’autres
pauvres ornements pour l’église. Il lui donna, également un peu de livres et
quelques rares ustensiles pour les religieux. Sa charité, non satisfaite de tout
cela, il le pourvut d’une bonne aumône pour le voyage. Ayant fait cela, il
voulut, le même jour, retourner à son couvent du Mont Carmel ; aussi, bien que
vieux et extenué de souffrances et de fatigue, il marcha plus de vingt-cinq
milles. Tellement était ardent, son désir de se cacher dans la solitude, et la
ferveur de s’exercer à
l’observance
régulière. En partant, il recommanda chaudement le père Celestino, au procureur
séculier du couvent, afin
de le pourvoir et de le régaler, aimant pour
soi la rigueur et exerçant avec le prochain la tendre affection d’une mère. Le
père Celestino s’y arrêta pour cette seule nuit ; et le matin suivant, il
partit, avec les marchands susnommés, sur Sidon, distante de Ptolemaïde deux
journées de voyage. Etant arrivés à la distance d’environ neuf milles de Sidon,
ils rencontrèrent le père Thomas de saint Joseph, le père François de Jésus et
frère Avertano, convers, dont nous avons déjà annoncé la venue. Ils allaient au
saint Mont Carmel puisque, notre père Paul-Simon de Jésus Marie, Préposé Général
de ce temps-là, avait envoyé le père Thomas, son visiteur général, au Carmel et,
soit lui, soit le frère Avertano, devaient, au terme de la visite, se fixer dans
notre résidence d’Alep. Le père François avait été destiné à la résidence du
Mont Liban, à laquelle il désirait s’amener immédiatement avec le père
Celestino. Néanmoins, s’enquérant de ce qui était le plus expédient, ils
déterminèrent qu’il poursuive son voyage avec les autres et qu’il aille au saint
Mont Carmel ; aussi, avec de tendres embrassements de charité, ils se
séparèrent. Le père Celestino rejoignit Sidon, et poursuivant son voyage, il
parvint à Tripoli. Là-bas il retrouva, également, deux autres de nos
missionnaires qui rentraient des Indes, les pères Charles et Thomas qui y
attendaient l’opportunité de s’embarquer pour l’Europe ; ils avaient été déviés
du voyage direct par lequel ils devaient passer par Alep, à cause d’une raison
d’importance. Exerçant dans cette ville, la charge de douaniers, les hébreux
sont persuadés que les venants des Indes portent sur eux-mêmes des diamants,
comme il arrivait parfois, et dont on s’est servi chez nous autrefois ; aussi, à
cause de l’avidité douteuse du gain, avec des manières qui ne manquaient pas de
violence importune, rudoyant les passagers, et parfois surtout les religieux,
persuadés qu’ils voulaient, sous la pauvreté professée, pratiquer le transport
de ces pierres précieuses dont profitent les marchands pour leur propre
bénéfice, en se dérobant à la paye de l’énorme taxe. Nos missionnaires, voulant
échapper
à si insolentes vexations, s’amenèrent directement à Tripoli. D’autant plus, que
de cette diversion, ils se trouvèrent joyeux de la rencontre de père Celestino ;
les retrouvailles inattendues de ses propres frères bien aimés, sont tellement
heureuses dans des pays aussi éloignés, tellement la charité est plus forte que
l’amour de la chair et du sang. Le père Thomas désirait aller à Jérusalem pour
visiter et vénérer les lieux saints, habituellement vénérés par les pèlerins ;
pour ce voyage, il avait non seulement l’autorisation, mais aussi, l’argent
nécessaire, et, sous les menaces de la chaleur de l’été, il pria le père Charles
de partir avec lui, le plus vite possible, pour la Ptolemaïde ; vu qu’à partir
de cette ville ou du saint Mont Carmel, dans un voyage de trois jours on
parviendrait à Jérusalem. Son compagnon répondit à son désir de bon gré ; ayant
déjà, lui, lors d’un premier voyage au Levant, visité ces lieux, et voulant
s’arrêter au saint Mont Carmel jusqu’au retour de père Thomas, ils partirent,
donc, le jour suivant ; et pour montrer leur propre affection à la nouvelle
résidence du Liban, ils firent don au père Celestino, d’un tapis pour s’en
servir pour l’église. Ayant, en outre, quelques ustensiles de cuisine
supplémentaires, qui avaient servi durant le voyage ; les voyageurs aux pays les
plus éloignés, sont tenus d’emporter avec eux, non seulement les provisions
alimentaires mais aussi
le matériel nécessaire à les cuire ; ils les
lui abandonnèrent pour être déjà, tout près, de rentrer en Europe. Les ayant
reçus avec beaucoup de remerciement, le père Celestino se prépara au retour au
Mont Liban, en ayant une excellente conjoncture. Puisque, les deux susnommés
marchands français, avec qui il était parti d’Alep et qui, rentrés du pèlerinage
de Jérusalem, devaient regagner la même ville, ils voulurent, avant d’y
retourner, visiter le Mont Liban. Etant parvenus au couvent de Canobin et s’y
arrêtant pour un seul jour, comme nous l’avons dit plus haut en rapportant les
nouvelles de cette Montagne, il partit pour son couvent de saint Elisée qu’il
rejoignit sur la fin de mai, courant encore l’année 1643. Autant, il se
réjouissait en pensant aux débuts heureux de la nouvelle résidence et au fait de
savoir combien il allait être profitable à la direction spirituelle des âmes,
autant il s’attristait à se voir encore seul et insuffisant à satisfaire
au surplus
qui
était requis, soit à la réparation
de la maison, soit aux fonctions visant la
culture et le salut des âmes. L’habitation devait être réduite à une forme, au
moins en quelque sorte, proche des concepts de notre Réforme, et être fournie
des ustensiles indispensablement nécessaires ; et se retrouvant dans une
solitude, entouré de pauvres gens, il n’avait pas les moyens de le réaliser. Il
ne pouvait, également, s’y mettre personnellement, le retenant occupé longtemps
ceux qui avaient recours à lui pour se confesser, pour recevoir conseil, et la
direction spirituelle des âmes. Les jours de fête, la charité et la charge de
missionnaire l’obligeaient à leur prêcher la parole de Dieu et leur administrer
les sacrements, non seulement dans sa propre église, mais aussi dans les terres
et villages des environs vu que, dans certains de ceux-ci, il n’y avait aucun
prêtre ; aussi, notre missionnaire s’y rendait-il pour célébrer la messe ; et il
fallait porter sur soi tout le matériel nécessaire. Il entendait pareillement
les confessions de ceux qui voulaient recevoir la sainte Eucharistie et d’autres
qui mettaient l’occasion à profit.
Se rendant compte de la nécessité de les instruire
dans la piété chrétienne, il leur disait un sermon, immédiatement après
l’évangile, ou bien à la fin de la messe. Après les vêpres, il faisait réunir
les enfants et les personnes le plus ignorantes
pour leur dévoiler les mystères de notre sainte foi, leur enseignant ce qui
était nécessaire pour obtenir le salut éternel. Quand il y avait des malades, il
allait leur rendre visite, les consoler et leur donner des conseils spirituels
et ainsi, il les disposait à se confesser. Il faisait de même avec les pauvres
et les affligés, et si jamais il y avait des inimitiés, parmi quelques-uns, il
s’efforçait, par toute manière, de les ramener à l’entente. Il ne se fatiguait
pas moins pour arracher certains abus pernicieux et parmi ceux-ci, il y avait
le fait de différer, quelques mois, le baptême
des enfants, invoquant pour cela, des excuses frivoles. Déjà, nous l’avons dit
plus haut, Léon X les avait réprimandés et ordonnés de ne pas différer le
baptême jusqu’au quarantième jour, comme ils en avaient l’habitude, c’est
pourquoi, ils paraissaient retenir encore quelques vestiges de cette antique
erreur.
Contre ceci, notre missionnaire s’écria ardemment,
soit en public soit en privé, le reprouvant pour être contraire aux canons et
aux coutumes de l’Eglise Romaine, et parce qu’ils exposaient les enfants au
grave danger de se perdre éternellement, étant à cet âge aussi tendre, sujets à
mourir. L’ayant exagéré avec son habituelle ardeur d’esprit, il remarqua que
l’abus était émondé en grand partie ; c’est pourquoi il s’anima d’autant plus à
l’extirper radicalement. Il prit à cœur, pareillement, de les induire à corriger
une autre habitude dépravée. Et ceux-ci autant que les autres Orientaux, comme
nous l’avons écrit dans la Mission d’Alep, ont l’habitude, fréquemment et pour
toute légère raison,
de jurer ou proférer en vain le très saint nom
de Dieu ; et ils conservent à l’état adulte, d’autant plus enracinée, une
habitude aussi irrévérencieuse vers Dieu, parce que dès leurs plus tendres
années, ils s’y accoutument, les enfants l’apprenant de leurs propres parents[38].
Notre missionnaire remarqua, par conséquent, qu’il lui fallait se fatiguer
beaucoup pour l’enlever, se souvenant que les Apôtres n’avaient pas pu délivrer
ce jeune homme possédé du démon pour le motif que, dès l’enfance, il s’était
emparé de son corps, et cependant, le pouvoir tout puissant de Jésus-Christ
l’expulsa. Dans ce but, en ses entretiens publics ou privés, il leur démontrait
combien cette habitude était détestable, et combien dangereuse pour les faire
tomber dans le grave péché du parjure ; et ils ne furent pas rares ceux qui
mirent à profit ses salutaires
avertissements en se corrigeant de cette
mauvaise habitude et de l’abandonner totalement. Il n’est pas donné de moyen
plus proportionné et efficace pour induire les chrétiens à la réforme des mœurs
dépravées, que la fréquentation des sacrements, veines à travers lesquelles leur
sont communiqués la grâce du Rédempteur, et le culte de sa très Sainte Mère qui
l’obtient par ses très puissantes intercessions. Sur ces deux points surtout, il
se donna beaucoup de peine. Du premier, il en
reconnut le grand besoin, étant non peu négligé des maronites, puisque nombreux
sont ceux qui, deux ou trois fois l’année se confessent-ils et reçoivent-ils la
Sainte Eucharistie. Notre missionnaire détesta une aussi pernicieuse négligence
à se valoir de remèdes tellement salutaires laissés par Jésus-Christ à notre
nature infirme et couverte de plaies par le péché ; et il leur démontrait, par
quelle abominable ingratitude, ils répondaient à ce divin bienfait. Ses paroles
ne furent pas vaines, aussi, en grand nombre, se confessaient-ils et
communiaient-ils une fois le mois, alors que d’autres, appliqués plus
sérieusement au commerce de leur éternel salut, fréquentaient souvent les Saints
Sacrements. En ce qui concerne le second, les maronites étaient bien disposés,
étant éduqués à la dévotion envers la très Sainte Vierge. Ceci est manifesté par
les nombreuses églises et les nombreux autels dédiés, depuis les plus anciens
temps, en son honneur, et un jeûne particulier dont on parlera un peu plus tard.
Profitant donc d’aussi bonnes dispositions, notre missionnaire donna d’abord, à
plusieurs qui le demandèrent spontanément, le saint scapulaire de Notre-Dame du
Mont Carmel, leur enseignant les prières,
récitées habituellement par les confrères, pour
acquérir les indulgences accordées par les souverains pontifes, et les devoirs
qu’ils ont pour jouir de l’insigne protection de la Vierge même. Il introduisit
également la majeure fréquence de réciter le rosaire de la glorieuse Mère de
Dieu, leur prescrivant les manières particulières de le réciter dévotement ; et,
à sa grande consolation spirituelle, il vit son culte répandu, plusieurs
récitant, chaque jour, la troisième partie du rosaire, ou son chapelet. Notre
missionnaire, voulant, en outre, réparer l’ignorance de ces pauvres gens,
obligés à l’exténuant travail des mains et surtout à celui de la campagne pour
se nourrir, sous les violentes extorsions des Turcs, il traduisit, en langue
arabe, quelques prières appropriées de la Sainte Eglise à la Mère de Dieu,
s’avisant qu’en comprenant le sens des paroles, ils les réciteraient avec une
affection majeure.
D’autant plus que chez les maronites,
la
messe, encore, et autres prières publiques ne sont pas récitées en latin,
suivant, eux, le rite de la Syrie. Parmi les susdites oraisons furent
particulièrement la Salve Regina,
le Sub tuum praesidium, ses litanies[39]
et autres prières semblables. Il arrivait donc qu’ils les récitaient plusieurs
fois durant le jour et, d’une façon particulière, dans les malheurs, les dangers
et les afflictions. En vue de les enflammer dans la vénération de la Vierge,
tous les samedis de l’année, dans sa propre église, il introduisit qu’on chante
solennellement en langue arabe les litanies de la Vierge Marie, et il faisait de
même, lors des grandes solennités de l’année, dans les autres églises, quand il
allait y célébrer la messe et prêcher. La même sainte coutume fut adoptée par
les maronites avec un grand profit spirituel, car elle fut, grandement, répandue
parmi eux. Cette nation, ayant également, de temps immémorial, la coutume
d’offrir à la Sainte Vierge beaucoup de prostrations, de jeûnes, d’aumônes et
autres exercices dévots, et de même, de s’obliger par des vœux à sa particulière
vénération alors que notre missionnaire, par ses exhortations et ses fonctions
sacrées, les eut enflammés en son culte, ceux-ci se multiplièrent. Les maronites
retirèrent tout cela et autre utilité spirituelle, de notre fervent ouvrier de
l’Evangile ; ce profit augmenta quand d’autres missionnaires arrivèrent pour
l’aider, comme on le dira.
Cependant, on ne peut aisément expliquer combien
furent graves ses souffrances du temps où étant seul, et il le fut pendant de
longs mois, il se vit obligé de satisfaire à tout ce que nous avons rapporté.
Très fréquemment, soit dehors soit à l’intérieur de sa résidence, il se
retrouvait privé de n’importe quel secours et nourriture ; surtout, durant ses
continuelles et fatigantes occupations d’âme et de corps, alors qu’il avait à
parcourir les villages de son entourage, partout où l’appelait le besoin
spirituel des âmes. Cela n’arrivait pas rarement puisque, comme on l’a dit, il y
avait tant de villages qui n’avaient pas de prêtre.
Et ceux où il y en avait, ils étaient presque
tous mariés et obligés à maintenir la famille par le travail des champs. Les
évêques n’en étaient pas exempts. Ils pouvaient, peu ou du tout, s’adonner au
service des âmes. Il arriva donc, et ce ne fut pas rare, que notre missionnaire,
à son retour de ses fonctions à sa résidence, grandement extenué et à jeun, de
ne trouver autre chose à manger que pain et olives, des herbes crues, macérées
dans du vinaigre, ou du lait acidulé et longtemps conservées. Il en faisait afin
de n’être pas contraint à perdre du temps pour allumer du feu et y cuire sa
nourriture. Et quel que soit le sujet que nous traitons, je n’ai pas à omettre
de le relater, afin de mettre en relief, combien fut pénitente la table de notre
missionnaire ; et avoir pu souffrir, sans une aide particulière du Seigneur, une
aussi austère façon de vivre ; et combien ses nombreuses et fatigantes
occupations demandaient que sa nourriture fût meilleure et de plus grande
consistance.
Les habitants de la Syrie, et particulièrement ceux
qui vivent à la montagne,[40]ou
hors du pays, ont l’habitude, donc, au début du printemps, de cueillir, quand
ils pointent, les tendres surgeons des arbres, de térébinthe en particulier. Ils
font de même, des premières pousses de diverses herbes qui naissent à la
campagne. Cela fait, ils les plongent dans l’eau afin que, macérées, elles
abandonnent l’âpreté de leur propre saveur. Les lavant ensuite et les essorant
diligemment, ils les assaisonnent avec du sel et lait acidulé, ou mieux avec du
vinaigre ; ils les mettent, ensuite,
dans
des vases en terre cuite, où elles se conservent pendant longtemps. De la même
manière, ils assaisonnent quelques espèces d’origan vert, fenouil, rave et
autres racines d’herbes forestières. En en faisant provision, ils les ont
toujours prêtes pour en offrir aux hôtes selon la diversité des temps, vu que,
durant les jours où sont interdis les produits laitiers, ils offrent de celles
assaisonnées dans le vinaigre.
Cet usage est, en particulier, propre aux
couvents religieux, l’hospitalité[41]
y étant observée avec plus d’exactitude, d’où, à n’importe quel hébergé, ils
offrent cette nourriture. Pour telle raison, ils en ont toujours une abondante
provision, d’où, à n’importe quelle heure on y va, ils peuvent en donner à huit
ou dix personnes. Par ce pauvre présent, sans être obligés de leur faire
attendre la cuisson de la nourriture, ils estiment avoir satisfait à
l’hospitalité tellement vénérée chez eux. Ceci également, comme nous y avons
fait allusion, formait fréquemment tout le menu de notre missionnaire, d’où,
chacun reconnait combien était-elle austère sa mortification, alors qu’une telle
nourriture pouvait très peu restaurer les forces abattues du missionnaire
épuisé. Il se plaisait pourtant, lui aussi, à se conformer aux maronites en
cette nourriture, en faisant provision pour ceux qui lui rendaient visite. En
cela, elle est digne de considération une aussi céleste politique, observée par
le serviteur de Dieu, malgré ses extrêmes peines, ayant appris de l’éminent
missionnaire apostolique et docteur des gentils, saint Paul, à se conformer à
tous, pour acquérir tous à Dieu.
Se faire au goût des autres, pour des raisons
d’intérêt temporel, est digne de blâme ; le faire, par contre, pour coopérer au
salut des âmes est méritoire de beaucoup de louange[42].
Pendant le temps où il fut, particulièrement, seul, sachant ne pas donner
d’embarras aux compagnons, notre missionnaire s’efforçait, en tout ce qui est
permis, de se conformer aux maronites dans leurs coutumes vertueuses ; pour
cela, outre l’hospitalité déjà mentionnée, cette nation étant habituée, durant
les jours du jeûne, à faire beaucoup de prostration, il n’omettait pas de les
imiter.
Les mercredis et vendredi, les maronites ne mangeaient
pas d’œufs et de produits laitiers par abstinence prescrite, lui aussi s’en
abstenait. Jeûnant eux, pendant quinze jours avant les fêtes des saints Apôtres
Pierre et Paul et de l’Annonciation de Notre-Dame, il observait les mêmes
jeûnes, pratiquant de même l’austérité du jeûne quadragésimal déjà décrit
ailleurs. Il ne se comportait pas ainsi, quand il avait avec lui quelqu’un de
nos religieux, observant avec eux ce qui est prescrit par notre institut et
l’Eglise Romaine, soit parce que, n’étant pas vu des
maronites, le but prétendu par lui cessait,
soit parce qu’il estimait que ses compagnons n’étaient pas tenus à suivre son
exemple. Mais si quelqu’un voulait, spontanément, s’accommoder aux habitudes des
maronites, il jouissait de le servir à majeure édification, en observant non
seulement ses propres jeûnes mais les leurs aussi. De cette façon de se
conformer à la nation maronite, il s’ensuivit que beaucoup d’entre eux se
prirent d’affection pour notre Padre et s’entretinrent avec lui, avec plus de
confiance. Le patriarche, également, pour la même raison, et toujours plus
confiant en lui, le chargeait de beaucoup de missions graves et lui déléguait
d’amples facultés
sur ses sujets ; aussi, pouvait-il encore administrer les sacrements qui, selon
les canons sacrés, reviennent aux seuls curés ; et lors des fêtes les plus
solennelles de l’année, il l’invitait à prêcher en sa présence. Quand il lui
arrivait, parfois, de diminuer les facultés à certains missionnaires, il
déclarait ne pas inclure le père Celestino dans sa restriction. Et il ajoutait
vouloir qu’il jouisse de cette exemption privilégiée, car il le comptait parmi
les fils de sa nation maronite, et parmi les plus fidèles et zélés défenseurs de
son siège patriarcal. De cette affection sincère au père Celestino et aux
religieux de notre Réforme, l’attestation la plus manifeste et autorisée fut
l’authentique écriture par laquelle, sous forme de bulle ou d’instrument, il
accorda la possession du couvent de saint Elisée au père susnommé et à ses
successeurs ; sa teneur, traduite du latin dans notre italien, est comme suit.
(‘’Mais il était déjà temps que notre missionnaire, quasi opprimé par les
nombreuses et grandes occupations de sa charge, ait reçu quelque réconfort ; et
à le lui donner, arriva à la veille de la Pâque de Pentecôte, à notre résidence
du Liban, le père Thomas de Jésus’’) Georgio Amira, de par la Divine providence,
patriarche d’Antioche, à tous ceux qui verront nos présentes, bénédictions et
salutations sempiternelles dans le Seigneur.
L’année 1643, le onzième jour de mai, comparurent en
notre présence Abu keiruz, Principal de la terre de Besciarrai, et le plus
ancien Hanna ; avec eux il y avait le diacre Odom et sciamas Joufet fils de
Sciaqut, et autres habitants du pays de Besciarrai. Ils nous ont présenté la
lettre de leur communauté Besciarrense, demeurant en la cité d’Alep. Tous les
susdits, et également les habitants à Alep, demandèrent, par un sentiment
unanime, comme chose de leur volonté spontanée, que le père Celestino de sainte
Ludvina, religieux carme déchaussé, et tous les autres qui seront religieux
carmes déchaux
de la Congrégation de saint Elie et de l’Ordre
de la Bienheureuse Vierge du Mont Carmel, habitent au couvent de saint Elisée,
situé au Mont Liban, tout près de la susdite terre de Besciarrai. Ils convinrent
tous également que les susnommés religieux, pour leur majeure paix et
tranquillité, ne doivent pas s’immiscer dans l’administration temporelle et les
rentes du prénommé couvent ; mais, seulement s’appliquer au culte de sa Divine
Majesté, au service de l’Eglise et aux autres exercices spirituels qui leur sont
prescrits par leurs Règle et Constitutions, et soient totalement occupés à
promouvoir la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ils pourront, cependant,
construire, à leur gré, dans le même couvent ; mais ils ne devront, en aucune
manière, reconnaitre les ministres et percepteurs des Turcs, ni payer les
charges (ragipesi), ou impositions, comme tributs au Sultan, touchant la même
terre de Besciarrai ou n’importe quelque autre charge imposée à la même terre.
De tout ce que nous avons dit, nous faisons appel, en témoignage, à Dieu le
meilleur et le plus grand. Déjà nous avions donné notre autorisation et notre
bénédiction patriarcale à tout ce que nous avons rapporté, et de nouveau, nous
voulons que les susnommés religieux habitent, à perpétuité, au susdit couvent ;
et ordonnons que personne ne leur cause aucune gêne. Que personne ne s’oppose à
leur habitation dans le même couvent ou les contrarie, ou qu’il ait l’audace ou
présomption, sous n’importe quel prétexte, de les expulser ; leur dessein étant
de coopérer au culte du Très-Haut, au salut du peuple et à la construction du
couvent. En foi de tout cela, nous avons délivré la présente, scellée
de notre cachet et soussignée de main propre.
Donnée au Mont Liban, en notre monastère de Canobin, le onze du mois de mars[43],
1643.
Par l’émission de cette bulle patriarcale, la possession du couvent de saint Elisée resta totalement confirmée à notre Réforme ; et le fait de ne pas avoir accordé la domination des propriétés tournait en avantage de nos missionnaires, restant pour cela exempts des perturbations et extorsions des ministres macomettani. Il manquait seulement que quelque notre missionnaire vienne soulager le père Celestino presque totalement écrasé par les nombreuses et graves occupations de sa charge, et par la grande gêne qu’il souffrait à cause de l’extrême pauvreté et besoin de tout le nécessaire. Le Seigneur ne tarda pas à le consoler puisque, peu de jours plus tard, y arriva le père François de Jésus,[44] c’est-à-dire, la veille de la Pâque de l’Esprit Saint laquelle, cette année-là, tomba le vingt-trois de mai. D’une lettre écrite de cette Montagne, il est évident qu’il a été religieux de notre province de Genova. Ce nouveau missionnaire apporta au père Celestino, non seulement une grande joie, mais un plus grand soulagement. Puisque, outre qu’il était religieux d’éminente vertu et fervent esprit, sa Divine Majesté l’avait doté de multiples et industrieuses manières pour l’accommodation décente et propre de la maison et de l’église. Pour cela, dans une pauvreté quasi extrême, il faisait briller le décor, enrichi de la seule beauté de la disposition harmonieuse et du partage ajusté. Les jours de fête, il ornait l’église avec la seule pompe d’une exquise propreté, par laquelle elle apparaissait d’autant plus considérable, que la simplicité ressemble à la pureté de l’esprit. Profitant de la même habileté dans l’arrangement de la maison, il divisa, avec quelques nattes composées de cannes fines, quatre petites cellules, pour la réduire en forme d’habitation religieuse. Aussi, les séculiers, entrant à l’église et à la maison, admiraient-ils, dans cette pauvre propreté, l’esprit des fondateurs des religieux dont toute la pompe des couvents était estimée violation profane de la pauvreté évangélique professée des religieux. Ils s’affectionnèrent pareillement à notre Réforme qui, à l’imitation des anciens, prescrit à ses religieux de se régler aux mêmes ordonnances. La maison et l’église étant arrangées, autant que ces débuts le permettaient, les deux missionnaires ne furent pas moins soucieux de l’observance régulière. Ils établirent celle qui est prescrite par notre institut aux maisons d’études, où l’on est dispensé de la récitation de matines à minuit, et s’accordèrent sur son exacte satisfaction. Les heures canoniques étaient récitées à temps fixe, et avec les pauses propres aux maisons susdites, comme s’il s’agissait d’une nombreuse communauté de religieux ; et ils se réunissaient pour les deux heures quotidiennes de l’oraison mentale. Ils avaient fixé une partie du temps de chaque jour pour le consacrer à l’étude de la langue arabe, ne pouvant, sans celle-là, satisfaire à la charge de missionnaire. Les dimanches, ils s’entretenaient de ce qui était considéré opportun au profit des âmes et, en particulier, ils traitaient des cas de conscience, pour ne pas tomber en erreur dans le ministère du sacrement de pénitence, dans les conseils qui leur étaient demandés, et dans les doutes qu’on leur proposait. Tout cela ne les dispensait point du service de la cuisine, puisque n’ayant pas de frère convers, et voulant épargner les dépenses en engageant un séculier, ils la faisaient à tour de rôle, à chacun une semaine. Lors des fonctions externes comme missionnaires, pour lesquelles ils allaient dans les villages des alentours, pour autant qu’il était possible, ils ne se séparaient pas l’un de l’autre, mais ils l’exerçaient ensemble afin que, avec l’aide mutuelle, ils réussissent plus profitables et plus exempts de danger, se rappelant que pour une raison semblable, le Seigneur Jésus envoya ses disciples à prêcher, deux à deux. De cette exactitude de l’observance régulière, de ce mode d’agir, cauteleux et charitable, il se fit chez les maronites une grande conception de la sainteté de notre institut, et étant promptement servi dans les besoins spirituels, on ne peut exprimer combien ils en étaient édifiés, et avec quelle révérence ils se comportaient envers les deux missionnaires ; et cela servait merveilleusement à ce qu’ils profitassent d’une façon majeure de leurs salutaires orientations. Etant toujours vrai, que l’estime du maître se reflète en valorisation de la matière, l’esprit humain raffiné embrasse le plus splendide du génie. Alors que, heureusement, la résidence établie tendait au profit spirituel des maronites, la fête de notre père saint Elisée, titulaire du couvent, allait être célébrée le 14 juin, c’est pourquoi, nos missionnaires se préparèrent à la solenniser ; et à défaut d’apparat somptueux, ils décidèrent de lui substituer le profit spirituel des âmes. Aussi, convient-il de savoir que les maronites, et en particulier les habitants de la terre voisine de Besciarrai, cultivent une intense dévotion à ce saint prophète et ceci, soit pour être natif du très vaste pays de la Syrie où Abelmeula, sa propre patrie, est située, étant connaturel aux hommes de vénérer de plus, ceux dont la sainteté qui les orne, apporte une nouvelle splendeur au propre pays ; soit parce qu’une telle dévotion fut léguée aux maronites par nos ermites carmes habitants du Liban et fils de l’esprit du saint prophète. Aussi, arriva-t-il, que beaucoup de cette nation affirmèrent, à notre père Celestino, s’être réjouis au maximum, que l’ancien couvent de saint Elisée ait été remis aux carmes déchaux qui reconnaissent comme fondateurs de leur propre Ordre, les saints prophètes Elie et Elisée, cependant que beaucoup d’églises ont été élevées au Liban en honneur de ces saints. Ladite dévotion est aussi attestée par le nombreux concours de gens venus participer à sa fête ; et en celle-ci, le père Celestino, par un sermon dit à sa louange, les enflamma à le vénérer. Notre missionnaire rapporte aussi, à son intercession, le fait d’avoir enfin conduit à sa fin son dessein ; et pour se la mériter, dès qu’il commença à traiter de la fondation de cette résidence, il s’était obligé, par un vœu, à jeûner à pain et eau en sa vigile, et il l’accomplissait ponctuellement. Pour se montrer pareillement reconnaissant, il fomenta chez les maronites la même dévotion, et il la vit grandement favorisée ; puisque, dans leurs nécessités et dangers, ils avaient recours au saint prophète ; et pour se rendre dignes de profiter de son intercession, lors de sa fête, ils se confessaient et recevaient la sainte Eucharistie. Quelques-uns, pour obtenir quelque grâce, s’obligeaient par vœu à lui vouer des hommages particuliers. D’autres, l’ayant invoqué avec confiance, pour leurs malades et autres grâces particulières, après avoir récupéré leur santé et le bienfait demandé, ils lui offraient de l’huile pour la lampe, de la cire, de l’encens ou quelque parement pour son autel selon les possibilités de chacun. Ceux qui, également, du Mont Liban, partaient sur Alep, avaient l’habitude d’offrir quelque don à l’église du saint ; mais puisque cette dévotion, ainsi qu’on est en train de rapporter, s’était quelque peu profanée, nos missionnaires s’employèrent à extirper l’abus introduit. On doit aussi savoir qu’outre ladite fête, on en célèbre une chez les maronites, en honneur du même saint, telle que celle qui est propre de ce couvent, introduite de temps immémorial, au douzième jour d’octobre. Pour cette fête, un office propre est assigné, assez long, composé avec un rite particulier et de multiples louanges au saint, et ils ont l’habitude de le chanter. De même est instituée une solennelle et nombreuse procession dans laquelle quelques reliques de saints sont portées. A cette fonction suivait le dîner, pour lequel on dépensait les rentrées du couvent, y participant tout au plus, quelques centaines de personnes. Pourtant ce banquet n’est pas aussi plantureux à requérir une dépense exorbitante, puisque outre le pain, la nourriture qu’on apprête pour tout le monde est la suivante. Ils prennent trois ou quatre brebis ou chèvres, et divisées en quatre parties, elles sont déposées dans quelques chaudrons où ils bouillent toute la nuit jusqu’à ce que la viande soit séparée des os. Etant ainsi cuite, on y met du blé épluché, en proportion, et ceci, se mijotant et se mélangeant à la viande désagrégée, se condense sous forme de soupe qu’ils appellent Harise[45]. Ils l’estiment une nourriture délicieuse et elle forme le plat principal apprêté en cette solennité comme en d’autres de l’année, et lors des funérailles publiques. Personne ne fait exception à cette même nourriture, comptant ce geste de charité à mode de suffrages pour le repos du défunt. Habitude, à peu près semblable en usage en Europe, qui consiste à distribuer une soupe plus ordinaire. Comme il n’y a pas d’œuvre aussi sainte fut-elle, que la malice humaine, sous incitation de l’astuce diabolique, ne puisse dépraver, nos missionnaires s’avisèrent que beaucoup de gens se rendent à cette deuxième fête par avidité de cette nourriture appréciée des maronites plus que par dévotion à notre père saint Elisée, ils décidèrent de faire de leur mieux pour améliorer la coutume introduite, et l’échanger contre la nutrition spirituelle de l’âme. Pour cela, voyant beaucoup de monde s’y rendre, le jour précédent et avant le coucher du soleil, ils récitaient les litanies et autres prières vocales. Ils leur disaient quelques sermons familiers dans lesquels ils leur racontaient la vie des saints à la fête desquels ils s’étaient rendus ; ils leur proposaient leurs vertus et les incitaient à les imiter. Par un autre sermon, dit durant la vigile de la fête, ils les exhortaient à se confesser et recevoir, le jour suivant, la sainte Eucharistie, leur enseignant ainsi, la véritable manière de célébrer les fêtes ; à être modérés dans le manger, à ne pas se divertir dans des vaines réjouissances, mais à imiter les vertus des saints. En ce dessein, les fêtes ont été ordonnées par la sainte Eglise, pour épurer sa propre conscience par le sacrement de pénitence et nourrir l’âme avec le divin sacrement de l’autel. Leurs temples matériels sont ornés pour rappeler à ceux qui s’y rendent que les temples spirituels des âmes des fidèles ne doivent pas être moins ornés. Cela étant, ils se mettaient à entendre leur confession, et à grandes peines, ils s’employaient, durant la majeure partie de la nuit, afin qu’ils soient prêts à communier le matin suivant. Durant le temps également de la messe solennelle, l’un d’eux prêchait en honneur du saint ; et par ces manières, non moins saintes qu’industrieuses, ils obtenaient que cette fête fût célébrée, ainsi que les autres, avec l’esprit propre aux vrais fidèles. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils interdirent que ladite nourriture soit donnée. Le père Celestino relate, à ce propos, un événement particulier, auquel il n’attribue pas le titre de miracle, bien que persuadé, vu les circonstances, qu’il fut une grâce particulière obtenue du Seigneur, grâce à l’intercession de notre père saint Élisée. Quelques jours avant la fête, qui était célébrée en octobre, la femme du gouverneur du Mont Liban tomba gravement malade. Ne rapportant aucune amélioration, à la suite des remèdes appliqués par les médecins, ils eurent recours aux divins. A cet effet, ils envoyèrent appeler le père Celestino en vue d’écouter la confession de la malade. Notre missionnaire y alla, et l’ayant confessée, il l’encouragea à recourir, avec beaucoup de confiance, au Seigneur par l’intercession de notre père saint Elisée, dont la fête était toute proche. La malade s’exécuta de tout son cœur et s’obligea, par un vœu à Dieu et au saint Prophète, que si elle recouvrait la santé, de coopérer avec son argent à célébrer la fête du saint à laquelle manquaient environ dix jours. La guérison suivit le vœu, à l’étonnement du médecin, et on estima que l’intercession du saint y avait collaboré. Aussi, aux frais du gouverneur, fut-il préparé pour ladite fête, un plantureux banquet. Le concours des gens des alentours fut supérieur à l’ordinaire, ayant été prévenus par la nouvelle de la grâce obtenue. Aussi, la fête fut-elle célébrée avec plus de joie et de profit spirituel des âmes, ayant été plus abondant le nombre de ceux qui se confessèrent et communièrent, et plus abondante l’aumône dispensée aux pauvres, et non moins accrue la dévotion à l’égard du saint. La veille de sa fête célébrée, comme nous venons de le dire, le 14 juin, les deux missionnaires de cette Montagne avaient reçu une grande consolation spirituelle, ayant été rejoints par le père Basile de saint François que, là-haut, nous avons laissé au saint Mont Carmel où il attendait l’opportunité de quelque navire faisant voile vers l’Europe, voulant se transférer à Rome pour avoir été élu en remplacement du procureur de nos missions en Perse. Mais, ayant attendu, en vain, pendant deux mois, la commodité de s’embarquer, il décida de quitter le Carmel pour aller au Liban, non pas pour y rester, mais pour le visiter et passer de là en Europe. Il s’y arrêta, néanmoins, pour un mois, non point sans un très grand profit aux maronites. Le père était très versé en langue arabe, ayant été fondateur de notre maison de Bassora en Arabie ; et, y étant resté pour de nombreuses années, il n’avait pas moins de connaissance des mœurs des chrétiens orientaux à cause du long temps durant lequel il avait exercé la charge de missionnaire. C’est pourquoi, pendant les quelques jours qu’il y resta en bonne santé, il acquit grandement l’affection des habitants du Liban ; il s’y dépensa beaucoup pour le salut de leurs âmes et aussi fut-il, d’eux- mêmes, intensément désiré et prié de rester en permanence, mais pour la raison susnommée il ne put leur faire plaisir. Les maronites s’en attristèrent beaucoup, et leur déplaisir devint bien majeur pour la grave maladie qui lui survint. Le mal croissant, le chagrin des deux pères Celestino et François ne fut pas moindre, craignant sa mort. Tout en l’assistant de toute leur attention, ils étaient grandement édifiés des actes de ses exemplaires vertus. Faute d’aide médicale dans cette solitude, de soulagement d’aliments et de remèdes proportionnés à son mal, et dont il aurait joui dans d’autres couvents, il souffrait en toute humilité et résignation admirables ; il était heureux, qu’il lui soit offert l’exercice et l’expérience de sa pauvreté religieuse. Un certain prêtre maronite qui s’était affectionné à lui, venu le visiter durant cette maladie, lui fit cadeau de quelques-uns de ses premiers fruits ; et bien que le présent apparût tout à fait inconvenable à son infirmité, néanmoins, notre Seigneur s’en servit pour répandre sa bénédiction, d’où il résulta être un remède salutaire pour son mal. Parmi ces fruits, il y avait quelques petits melons,[46] assez supérieurs et plus salutaires que ceux de notre Europe, et pourtant les maronites ont l’habitude d’en apporter aux malades. Le malade les accepta avec des expressions de grande joie ; et étant don du charitable prêtre, il se persuada que la Divine Providence les lui envoyait pour le guérir. Aussi, bien que beaucoup eurent-ils jugé qu’ils lui apporteraient une aggravation du mal, il voulut y goûter ; et à la stupéfaction de tout le monde, il s’améliora immédiatement, et dans peu de jours il retrouva la santé. N’ayant pas encore récupéré ses forces, et à défaut, de nourriture convenable pour le remonter, au Liban, il partit avec le père Celestino sur Tripoli. Là-bas, avec une nourriture appropriée et salutaire, il réacquit des forces suffisantes pour poursuivre son voyage et partit sur Chypre, d’où il s’embarqua pour l’Europe et nous, déjà, écrivant le récit de la mission du Saint Mont Carmel, nous le vîmes y mourir dans la charge de vicaire de ce couvent, s’avérant ainsi la prédiction de notre père Prospero, et réalisant son désir de mourir sur cette Sainte Montagne. Quelques jours après le départ de père Basile arriva au Liban, sur la fin de juillet de la même année, père Paul de Jésus Marie. Celui-ci était membre de notre province de Paris, et dix mois auparavant, père Paul-Simon, Préposé Général de notre Réforme, l’avait envoyé comme missionnaire à Alep, ensemble avec père Bruno du Sacré-Cœur de la même province ; les exemples et les orientations de cet héroïque ouvrier de l’Evangile l’avaient grandement favorisé ; et s’appliquant d’une façon assidue à apprendre la langue arabe, il y avait fait un si grand progrès que, comme nous en parlâmes plus haut, avant le départ de père Celestino pour fonder la résidence du Liban, c’est-à-dire, en six mois, il avait réussi à prêcher en cette langue ; un miracle tout à fait singulier et qui fit s’apercevoir, clairement, qu’il jouissait de quelque participation à ce don que l’Esprit saint, de toute plénitude, communiqua aux saints Apôtres. Cependant, pour la posséder il n’avait point omis le zèle le plus attentionné, puisque à Alep, il prêchait en sa langue française maternelle à la chapelle du consul du Roi très Chrétien, en en remportant beaucoup de louange, il ne suspendit jamais l’étude de cette langue orientale pour s’y rendre mieux préparé à la conversion des infidèles et la formation des chrétiens orientaux plus nécessiteux de ses enseignements. Il employa, également, l’ardeur de son esprit apostolique pour réduire à l’obéissance de la sainte Eglise Romaine les schismatiques, et détromper les hérétiques. Du fait d’avoir converti l’un de ceux-ci, je garde un souvenir certain, et l’événement fut comme je me mets à le rapporter. Un certain français de la famille Estoile fut à Alep mais, de passage seulement, puisqu’il voulait se transférer en Perse où demeurait l’un de ses frères qui, par le moyen du trafic mercantile, avait amassé beaucoup de richesses. Ils étaient tous deux infectés des erreurs de Calvin, hérésiarque d’abominable mémoire. Il lui arriva, toutefois, de s’arrêter à Alep pour être tombé gravement malade. Le mal s’aggravant, on désespérait déjà de son salut corporel et, afin que son âme ne périsse éternellement, quelques missionnaires d’autres Ordres qui demeuraient dans ladite cité, firent l’impossible pour l’amener à la connaissance de la vraie religion. Mais le malheureux hérétique entêté, persistant dans ses erreurs, déçut leur espérance de le convertir. Père Paul, toutefois, ne désespéra point d’en remporter victoire, et voyant l’état du malade empirer, il supplia le Seigneur, avec des prières ferventes, d’illuminer avec les lumières de la véritable connaissance, l’esprit de l’hérétique et briser d’un coup de son bras, tout puissant, le cœur pétrifié du calviniste en prêtant à sa langue une pénétrante efficacité. De cette manière, confiant dans son assistance, il parla au malade, il lui démontra les duperies de sa doctrine erronée, et le Seigneur daigna le disposer à la détestation de son hérésie. L’ayant abjurée, et professé la religion catholique, il le réconcilia avec l’Eglise ; et lui ayant administré les sacrements, il le vit expirer avec certains indices de son éternel salut. L’acquisition de cette âme, beaucoup plus précieuse qu’un monde, l’encouragea à des entreprises plus distinguées. Quand il lui parvint l’ordre de notre Préposé Général de se transférer au Mont Liban soit pour se perfectionner en langue arabe, soit pour se consacrer à la formation des maronites, le serviteur de Dieu obéit promptement, préférant la volonté des supérieurs aux nombreux applaudissements dont il jouissait dans la cour du Consul de France ; et, en y allant de bon gré, il rencontra de graves dérangements qu’il prévoyait souffrir dans la nouvelle résidence du Mont Liban. Il écrivit tout cela dans une lettre originale datée du Mont Liban le huit août de cette année, 1643. Etant arrivé aux environs du début du mois susnommé, peu de jours suffirent pour le rendre fort aimé des habitants de cette Montagne. C’étaient ses manières, dit le rapport, toutes diffuses d’une douce placidité et d’humble civilité, il traitait tous ceux qui recouraient à lui avec un affable sérieux, il les formait avec des orientations salutaires. Il avait une façon singulière de consoler les affligés, encourager à souffrir les difficultés et à enseigner les ignorants. On ne doutait point de l’éclat qu’il aurait rendu à la splendeur de la nouvelle résidence, et de sa grande coopération au profit spirituel des maronites. Mais, qui peut sonder la profondeur des dispositions divines! Alors que, d’aussi heureux débuts, on espérait beaucoup de grandes réalisations et, dans sa saine et robuste constitution aucun signe n’indiquait qu’il allait manquer de sitôt, un mois à peine s’était écoulé depuis son arrivée quand, au début de septembre, un brusque flux de sang commença à lui retirer ses forces ; le mal, au lieu de cesser, s’accrut minant sa vigueur naturelle. Réfléchissant, dans cette solitude, soit au manque d’assistance médicale, soit à l’absence de tout remède capable de lui redonner des forces, le malade pria père Celestino de lui permettre de se transférer à Tripoli où trouver tout le nécessaire pour se soigner. En ces jours-là, père Carlo qui, durant le triennat précédent, avait exercé la charge de visiteur général, et qui du Carmel, où il avait en vain attendu l’occasion de s’embarquer pour l’Europe, s’était transféré au Liban, fut consulté à ce propos par père Celestino et, avec son approbation, il l’envoya à Tripoli avec père François de Jésus. Ils partirent le cinq septembre à la tombée du jour, et arrêtés pour la nuit suivante au village voisin, le matin bien tôt, ils reprirent le voyage et parvinrent à Tripoli avant la montée des chaleurs. Ils allèrent immédiatement parler au médecin qui était français et natif de Marseille, il était à la fois chirurgien et spécialiste comme il était de coutume dans les pays orientaux. Il habitait alors dans ce qui était appelé Camp des Francs[47], c’était une habitation assez grande construite à la manière des cloîtres religieux avec de nombreuses chambres soit au premier soit à l’étage supérieur et séparées entre elles. Celles- ci étaient louées aux marchands et gens de passage. Dans le même camp et dans une chambre voisine à lui, le médecin le fit héberger et s’appliqua de toute son attention à le soigner. Pourtant ses soins ne lui profitèrent point puisque, deux jours après, ils se rendirent compte que son mal avait empiré et, se manifestant assez en danger, ils décidèrent entre-temps d’envoyer aviser père Celestino et l’appeler pour assister le malade. Père François partit dans ce dessein laissant le malade aux soins des pères Capucins. Il voyagea à grande rapidité, et au huitième jour du mois susnommé, il atteignit la terre d’Eden. Par une inspiration particulière du Seigneur, le père Celestino s’y était transféré pour prêcher la fête de Notre-Dame, puisqu’elle y était célébrée en grande solennité par les habitants qui y participent en grand nombre, aussi, reçu-il l’annonce avec beaucoup plus de rapidité que s’il avait été à la résidence saint Elisée. Cela était requis pour une majeure consolation du malade pressé par la maladie déjà bien aggravée. Il prit le départ le même jour et arrivé à Tripoli, il retrouva le malade réduit à l’extrême faiblesse et presque au bout de sa vie. Père Paul se consola outre mesure de l’arrivée de notre missionnaire parce qu’ayant contracté avec lui une confiance particulière, il lui ouvrit toute son âme, et s’étant confessé à lui, il s’occupa à se préparer à la mort imminente. Deux étaient les dispositions de l’infirme, dans la première, il s’offrait, avec une parfaite résignation, à l’accomplissement des vouloirs divins, acceptant de mourir avec une humble résignation, si le Seigneur l’avait décrété. L’autre exprimait le désir de recouvrer la santé dans le seul but de servir sa Divine Majesté et sa gloire avec plus d’ardeur, et de dédier tout le temps qu’il vivrait à la charge de missionnaire, et particulièrement, au Mont Liban. Il se voyait réaliser une particulière impulsion interne à s’engager dans la formation spirituelle des âmes des maronites et, espérant dans l’aide divine, de coopérer beaucoup à leur salut, ayant eu une preuve d’être satisfait de son service par la remarquable bienveillance démontrée à son égard dans le peu de temps passé au Liban, étant celle-ci, une disposition excellente à profiter de ses conseils spirituels. Mais, parce que le Seigneur avait disposé autrement, à l’extrême abattement de ses forces, lui survint un autre accident plus grave et fâcheux. Une douleur âpre et extrêmement piquante l’aiguillonnait au côté du cœur, aussi, pour le soulager et alléger sa douleur le médecin lui administra une confection de jacinthe, et lui appliqua un autre remède pour le libérer des humeurs pernicieuses. Mais sa vigueur naturelle n’étant pas suffisante pour le supporter, il resta immobile au lit, de façon qu’ils le crurent mort. Mais les pouls le révélant encore vivant, ils lui administrèrent le sacrement de l’Extrême-Onction. Ce paroxysme le retint immobile pendant une demi-heure environ, après quoi, presque réveillé d’un profond sommeil, avec un visage illuminé d’une joyeuse sérénité, il ouvrit les yeux et les fixant vers le haut il s’exclama : « Voici que je vois les cieux ouverts, je vois le soleil, la lune, les étoiles, je vois ma patrie à laquelle je m’en vais pour y jouir éternellement de mon Dieu. Oh combien sont aimables, O Seigneur des Vertus, nos tabernacles, déjà mon âme me manque de l’ardent désir d’y être transféré. Ainsi, ce cerf assoiffé aspirait à s’abreuver et éteindre ses amoureuses ardeurs à la source de l’eau vive de son Dieu. Néanmoins, il voulut à nouveau accuser ses fautes pour recevoir l’extrême absolution sacramentelle pour y rendre l’envol plus libre vers la patrie tant désirée. Répétant, ensuite, des fréquents et fervents actes de contrition et d’amour de Dieu, il expira, placidement, laissant, dans ceux qui l’entouraient, une sainte envie d’une mort tellement vertueuse. Pour ensevelir le cadavre, il fallait en avoir une autorisation écrite du kadi ou juge des Mahométans (aggravation dont sont exempts ceux qui meurent au Mont Liban et y sont ensevelis) et pour l’obtenir il fallait payer environ douze écus de monnaie romaine. Cet argent se le partagent les ministres des Turcs, la goinfrerie de leurs intérêts ne pardonnant point, même aux morts, aussi il fallut la satisfaire. Comme lieu de sa sépulture fut choisie l’église, dédiée depuis des temps reculés à l’Apôtre saint Thomas[48], église maronite, située à la distance d’environ un mille de la cité. Le défunt y fut transféré en cortège funèbre solennel, y participant en plus des religieux, le chevalier Consul de la couronne de France et tous les marchands de la nation française. Les obsèques célébrées, nos deux missionnaires s’en retournèrent au Mont Liban, fort attristés de la perte d’un si éminent ouvrier de l’Evangile. Heureux, cependant, de l’avoir vu mourir avec des signes certains de son éternel salut. Les maronites ne le pleurèrent pas moins, s’étant fort affectionnés à ses aimables manières non moins exemplaires de vertu et de douceur.
Hermitage Saint Michel, wadi Qannoubine
Cette mort de père Paul de Jésus que nous venons de
rapporter, une autre l’avait précédée, faisant quelque peu douter, si cette
résidence du Mont Liban n’allait pas être abandonnée, comme on le dira. Le
vingt-sept juillet de cette année, mourut, dans notre couvent de Notre-Dame de
la Scala, notre père Paul Simon de Jésus Marie alors qu’il exerçait, pour la
troisième fois, la fonction de Préposé Général à laquelle il avait été élu au
chapitre général de 1641. De cet éminent religieux, missionnaire et prélat,
j’ai écrit plusieurs fois, particulièrement
dans la mission de Perse ; aussi, en ce lieu, seulement j’y fais allusion, comme
ayant, sans aucun doute, surpassé tout le monde, à promouvoir les missions ;
avant sa mort, il projetait d’en instituer d’autres, en particulier, une au
grand Le Caire, célèbre et populeuse cité de l’Egypte, celle qui occupe la
seconde place, parmi les plus célèbres villes en possession du Grand Seigneur.
La nouvelle de cette mort parvint au Mont Liban à la suite de celle de père Paul
de Jésus-Marie, et le père Charles qui s’y trouvait comme nous venons de le
dire, et qui avait exercé la charge de Vicaire général, l’ayant entendu, se
disposa immédiatement à partir sur l’Europe. Reconnaissant dans le père François
de Jésus, une grave indisposition corporelle dont il se serait difficilement
soigné au Mont Liban, avant de s’embarquer, il conseilla à père Celestino de
l’envoyer à Alep afin de pouvoir y être soigné avec des remèdes appropriés. En
s’attardant au Liban, ce dernier craignait d’encourir une sérieuse maladie et sa
peur augmentait à l’idée
de l’approche de l’hiver durant lequel, les rigueurs du climat lui seraient très
nocives. Le subside nécessaire
à l’entretien de deux religieux manquait ; aussi, la pénurie du temporel rendait
impossible le soulagement du père fatigué. Le retenir, là-bas, mal portant, lui
serait non seulement de nulle utilité, mais il lui apporterait une surcharge. A
savoir que le père Thomas de saint Joseph, qui demeurait à Alep, avait été
destiné au Mont Liban, avant la mort de notre Préposé Général, le persuada de ne
pas manquer d’aide dans les multiples occupations de la nouvelle résidence. Le
père Celestino ne répugna pas à ce sage conseil, et le père Charles déjà parti,
il permit au père François de Jésus de partir sur Alep, et celui-ci, sur la fin
d’octobre, se mit en route. Là-bas, il n’évita pas, avec le changement de
climat, la grave maladie qui le menaçait au Mont Liban, vu qu’elle lui revint
peu de temps après son arrivée. Les médecins s’appliquèrent à le soigner, et
avec l’assistance charitable des pères de cette résidence, avec les remèdes
profitables prescrits, notre Seigneur fut servi en lui rendant la santé. Il s’y
attarda pour une année s’adonnant avec un infatigable zèle à se perfectionner
dans l’apprentissage de la langue arabe. Après ce temps, il attendait d’être
renvoyé au Mont Liban, mais le vicaire de cette résidence, pour quelques
émergences graves, l’envoya à Rome en vue d’en traiter avec nos supérieurs.
Etant donc parti, le père Celestino resta seul en sa résidence, se consolant
avec l’espoir d’être rejoint le plutôt possible par le susnommé père Thomas.
Mais s’attardant, et l’urgence faisant pression, le père Celestino lui écrivit,
le sollicitant de venir lui apporter le réconfort nécessaire. La considération
de la résidence nouvellement fondée
s’était tellement accrue que les maronites y recouraient toujours en nombre plus
grand pour y recevoir les sacrements et y être instruits dans la piété. Il
convenait aux
pères d’aller dans les villages des alentours
où les réclamaient les besoins spirituels des âmes, quelques villages étant
privés de prêtres. Aussi,
à ceci et à d’autres besognes, se sentait-il obligé
par la charité du missionnaire, tout en réfléchissant à l’impossibilité de s’en
acquitter tout seul. Le père Thomas était un religieux de grande vertu ; et,
quant au zèle
d’ouvrier évangélique, il était très estimé,
comme on le dira au moment où nous le verrons arrivé à cette résidence. Aussi,
répondit-il qu’il était fort disposé à faire plaisir au père Celestino, mais ce
qui le retenait à Alep c’est qu’il n’avait pas encore reçu l’ordre de partir
pour le Liban bien que l’intention de l’y envoyer en ait été exprimée,
précédemment, par le défunt Préposé Général.
Il nourrissait l’espoir de quitter, bientôt, Alep pour
le Liban, désireux d’y jouir, à nouveau, de la compagnie de père Celestino,
de
profiter de ses exemples et, à son instar, s’enflammer dans l’accomplissement de
la fonction de missionnaire. La mort, cependant, du Préposé Général retarda son
désir ; ce dernier lui avait écrit qu’il pensait l’envoyer au Mont Liban,
mais il ne lui avait pas dit d’y aller ; il
devait, par conséquent, attendre les dispositions du Vicaire général qui lui
avait succédé à la direction. IL regrettait, entre-temps, intensément, de ne pas
pouvoir aller lui rendre service, pensant qu’il était là- bas tout seul et
oppressé par les occupations de sa charge. Il devait se consoler en
réfléchissant aux dispositions divines, règles certaines de nos vouloirs ; et,
entre-temps, suivre et exécuter ce que sa Divine Majesté lui inspirerait au plus
grand avantage de sa mission. Par cette réponse, le père Celestino se vit plongé
dans de graves angoisses. Il lui manquait le réconfort et l’aide de n’importe
quel religieux, le subside en argent nécessaire pour se nourrir et pourvoir la
résidence de tout ce dont elle avait besoin. Avec la menace de la saison de
l’hiver, très rigide dans cette montage, il commença donc à tituber dans le
dessein d’y persévérer, bien qu’il n’ait nullement résolu d’abandonner le Liban.
Pourtant il se sentait peiné de l’avoir entendu de quelqu’un des nôtres ; et
c’était celui-là même, dont il espérait le soulagement, qui faisait du tout
auprès des supérieurs afin de les persuader d’abandonner tout à fait cette
mission. Il décida pour cela, d’écrire une lettre à notre Vicaire général qui
était alors le père Germano ; et de sa
lettre originale qui est assez longue, moi,
j’en rapporte l’essentiel. En elle il reprenait, dès le début,
à rappeler l’objectif affirmé du défunt Général
en l’envoyant fonder la résidence du Liban, à rapporter la mort de
père Paul, l’un des compagnons envoyés pour
l’aider, le départ pour Alep de père François à raison de ses indispositions et
le manque de tout subside. Il disait qu’il était resté seul et obligé d’avoir
recours à un religieux maronite. Il avait entendu que quelques-uns jugeaient ne
pas convenir de poursuivre cette mission, basant leur avis, soit sur
l’incommodité du site, soit sur d’autres raisons. Pour ce qui
revenait au premier, il allait en envoyer un
rapport fidèle, et, pour ce qui concernait le second, au terme de sa lettre, il
leur proposerait et leur répondrait. Au reste, il était prêt à exécuter ce
qu’ils détermineraient. Il leur signifiait, entre-temps, que s’ils décidaient de
la soutenir, il convenait d’assigner à chaque missionnaire vingt écus annuels,
lesquels ajoutés à sa messe quotidienne seraient suffisants, mais le subside
susnommé est indispensable pour être contenu dans l’entente avec le patriarche.
Il continuait à leur donner des informations à propos d’une autre affaire et
poursuivait à les prier de satisfaire à une dette contractée au bénéfice de la
résidence ; au moment de quitter Alep, il s’était servi de cinquante écus
envoyés par son frère pour lui acheter quelques livres arabes ou syriaques
manuscrits. Il concluait en écrivant ce qu’il pensait de la fondation d’une
maison au grand Le Caire, que le feu Préposé Général lui
en
avait révélé l’intention de
fonder.
A la lettre, il avait joint le rapport sur le site dont il est question plus
haut, et quelques raisons par lesquelles il essayait de persuader de la
convenance de poursuivre la mission du Liban. En dernier lieu, il exposait et
résolvait les arguments de celui qui pensait être opportun de l’abandonner, et
moi (succinctement) je les traduis du latin.
Il disait, en premier lieu, que la résidence du Liban
ne pouvait être maintenue si l’on n’établissait pas un hospice à Tripoli,
puisque les dépenses seraient multipliées alors que les rentes manquaient. Le
père Celestino réclamait ouvertement la nécessité de l’établissement du dit
hospice pour la commodité des religieux qui allaient et venaient ; il niait,
cependant, que les dépenses se multiplieraient, étant donné que, dans d’autres
voyages, nos religieux étaient obligés de passer par cette ville ; l’expérience
avait démontré que l’on dépensait plus d’argent en l’absence d’hospice qu’en son
existence. A Tripoli, les maisons se vendent à très bas prix, de manière qu’au
prix de quatre-vingts écus, on pourrait en acheter une assez commode, une vaste
habitation dans laquelle, l’hiver, la majeure partie des religieux pourraient y
rester, alors que la mineure serait au Liban. Durant l’été, par contre, les deux
maisons serviraient à une même communauté de missionnaires, ce qui équivaudrait
à deux missions, ne manquant pas à Tripoli et dans les villages des alentours
beaucoup de maronites, d’où la possibilité de s’engager dans la formation
spirituelle de leurs âmes. Une raison de plus pour soutenir l’utilité de cet
hospice, c’est la commodité de cette ville pour les
missions
du Levant, puisque les religieux envoyés d’Europe pourraient immédiatement y
aborder. On objectait, en second lieu, le fait que le Mont Liban est infesté de
Druses, restes des Normands déjà possesseurs de la Terre Sainte ; on craignait
fort que, à savoir que nos pères y ont un couvent, de leur causer des ennuis
intolérables. Le père répondait que l’objection naissait de faux rapports ; ces
peuples étaient calomniés ne s’étant jamais vérifié causer de tracas à aucun
couvent. Dans d’autres rapports, il révélait que ceux-ci étaient en bonne
entente avec les maronites[49]
pour réprimer l’arrogance des Turcs ; et pour cette raison, ces derniers n’ont
jamais pu s’emparer du Liban. Il disait qu’il avait lu une lettre du Prince des
Druses écrite au patriarche, dans laquelle il lui promettait que personne de ses
vassaux ne causerait d’ennuis ni aux couvents, ni aux individus religieux. Sans
doute, les Druses sont
d’un penchant féroce, mais qu’ils n’en faisaient usage, que contre les
Macomettani du fait qu’ils les haïssaient fortement, pour leur avoir, dans les
siècles passés, usurpé la domination de la Terre Sainte ; aussi, ne
cessaient-ils point de leur susciter des tribulations de la manière la plus
hardie.
Il ajoutait, en troisième lieu, que les couvents
situés au Mont Liban, ainsi que toutes les institutions, en dehors de la ville,
avaient des impôts relatifs à payer aux ministres du Turc ; et qu’ils étaient,
souvent, obligés d’accueillir des hôtes et des passagers ; ceci exigeait par
conséquent des rentes démesurées pour satisfaire, soit à l’avarice gloutonne des
turcs, soit à satisfaire les hôtes. Le père Celestino ne cachait pas
l’obligation de payer les susnommés impôts ;[50]
il ajoutait, cependant, ne pas dépasser la somme de quarante écus et qu’on
pouvait s’en acquitter avec les rentrées du couvent. Pour payer cela, on pouvait
retirer cette somme des seuls mûriers et des vers à soie ; il possédait,
en outre, cent cinquante chèvres dont il recevait beaucoup de produits
laitiers ; non moins abondantes étaient les récoltes de grain, des olives, et
autres fruits. Ceux qui estimaient revenir aux religieux l’accueil et
l’entretien des étrangers, se trompaient, vu que la charge de ceux-ci retombait
sur le procureur séculier du couvent qui habitait dans la demeure contigüe à
notre résidence, comme il a été dit là-haut ; et ensuite la dépense n’en est pas
une grosse somme, puisque tout compte fait, on consommait, au couvent, environ
cinq boisseaux de froment, chaque année. Quantité assez légère vue la récolte
des champs que possède le couvent, qui recueillait de ceux-ci, à peu près, plus
de cent. Il voulait par-là corriger la fausse estimation de celui qui enflait,
tellement, les dépenses. Dans la quatrième opposition, on invoquait l’ennui que
les religieux auraient reçu des maronites eux-mêmes, étant donné que, tourmentés
par les extorsions des Turcs, ils étaient, en majorité, très pauvres, d’où ils
auraient, fréquemment, demandé à emprunter de l’argent ;
à le refuser on risquerait d’essuyer leur
malveillance qui causerait majeure inquiétude, alors que le leur accorder
tournerait en grave embarras aux religieux ; ils ne pourraient le récupérer
sinon au moment de la récolte, et en recevant des grains au lieu de l’argent. Et
si jamais, sous l’injure de la saison, la récolte résulterait mince, ils
resteraient exposés au danger de le perdre, obligés de le recouvrer par les
moyens bruyants de la justice. Le père Celestino réfutait cette objection en
exprimant son expérience, affirmant que très peu avaient demandé d’emprunter de
l’argent et ceci avait été donné à un nombre mineur, et seulement
à l’approche des récoltes ; non plus en somme
supérieure à ce qui était suffisant pour acheter le grain dont on avait besoin
pour nourrir les religieux. Mais déjà cet ennui n’était plus à craindre vu que,
presque tous les cultivateurs des champs, en une journée entière, et avec douze
paires de bœufs auraient labouré et semé une grande partie de terrain dont on
recueillerait du grain suffisant à la nourriture annuelle de quatre religieux.
Par contre on lui avait promis de le pourvoir de tout le nécessaire, vivres et
vêtements pourvu qu’il reste au Mont Liban. De cette façon, l’ardent
missionnaire essaya d’éliminer tout empêchement à la résidence déjà établie. Il
avait été parcimonieux de ses graves souffrances et le Prophète de dire : ‘’Ce
qui est semé dans les larmes, est recueilli dans la joie ‘’ ; aussi, ne peut-il
être perdu sans regret correspondant. Mais notre missionnaire fut exempt de
cela, comme nous en parlerons, l’année suivante. Présentement, il est, à bon
escient, de référer le récit soit du réconfort que, par d’autres voies, lui fut
envoyé, soit de son œuvre alors qu’il était seul avec le religieux maronite. Il
attendit, six mois, le père Thomas de saint Joseph. En ce temps-là, le prieur de
notre couvent à Malte, était le père Isidore de saint Joseph, de nationalité
flamande, et connu de moi, plus tard, dans la charge de Définiteur général ; mis
au courant des détresses dans lesquelles se trouvait le père Celestino, il
décida de satisfaire à un zèle ardent, toujours nourri, de promouvoir les
missions. Aussi, lui envoya-t-il, non seulement, l’aumône pour sa messe
quotidienne mais beaucoup de mobiliers servant à pourvoir cette résidence. Ayant
eu le consentement des religieux de son couvent, il lui envoya un apparat
complet pour la célébration de la messe, quelques ustensiles nécessaires aux
religieux, et non peu de livres choisis, parmi lesquels figurait toute l’œuvre
du docteur de l’Eglise saint Jérôme.
Il poursuivit également son action charitable en le
secourant avec d’autres aumônes en monnaie et mobilier. Il conserva la même
affection envers cette résidence durant les années suivantes, ayant été élu et
confirmé dans la fonction de Procureur général. Son inclination y contribuant,
cette charge l’obligea à promouvoir, avec sollicitude, les missions ; il n’omit
aucun soin, il n’épargna aucun industrieux effort pour satisfaire à sa charge.
Il rechercha des subsides pour l’entretien des missionnaires, il les réconforta
par les paroles et les incita à se dépenser ardemment dans la conversion des
infidèles et le salut des âmes ; aussi, de par son infatigable et vigilante
attention, se virent-ils bien favorisés. Moyennant ces aumônes généreuses et les
subsides dont il fut aidé, le père Celestino, manquant de tout autre
missionnaire, reprit grand courage pour s’adonner aux fonctions propres du
missionnaire. Réfléchissant, cependant, à l’imminent hiver, tel que fut le
premier de son séjour au Liban, il resta quelque peu perplexe à l’égard de la
façon de se comporter pour coopérer au salut des âmes. Il craignait l’obstacle
causé par les rigueurs du froid et l’abondance de la neige qui tombe dans
plusieurs parties du Liban, durant ladite saison, et les rend impraticables.
Ceci fait que quelques villages et terres de la Montagne seraient totalement
abandonnés, et les habitants iraient à Tripoli où les rigueurs de la saison sont
plus modérées. A leur instar, notre missionnaire pensait quitter le Liban, mais
n’ayant pas, en ce temps-là, d’hospice propre dans ladite cité, il ne savait pas
où se réfugier. Il ne s’attarda pas dans cette perplexité, les habitués du pays
lui ayant dit qu’il pouvait rester dans son couvent de saint Elisée, peu touché
par la rigueur de l’hiver et l’abondance des neiges autant que les autres
parties de la Montagne. Car, protégé du vent du nord par les hautes montagnes
qui dominent la vallée où il est situé, il jouissait, dans la même saison, d’un
continuel aspect de soleil[51].
Leurs dires étaient confirmés par les nombreuses familles qui, des plus hauts
escarpements de la montagne, descendaient dans la même vallée du couvent pour se
dérober aux rigueurs excessives. Se fiant au témoignage de ces maronites, notre
Padre décida de ne pas quitter son couvent et de coopérer
autant que possible au salut des âmes.
L’expérience correspondit au témoignage précédent. Durant l’hiver suivant, en
confrontation avec les autres parties de la Montagne, il y souffrit un froid
tolérable et se réjouit plus encore en se rendant compte que l’hiver était le
temps le plus opportun pour satisfaire à la charge de missionnaire: En raison de
la neige et du gel, les maronites, ne pouvant s’occuper de la culture des
champs, étaient plus libres de s’adonner aux exercices de la piété chrétienne.
Notre missionnaire poursuivit à y rester durant les saisons suivantes de
l’hiver, non seulement pour ladite fin, mais parce qu’il y jouissait de beaucoup
de quiétude dans sa solitude, et s’en servit pour l’exercice de la contemplation
divine. C’est pourquoi, à la façon d’une conque laquelle, se remplissant dans
l’oraison de l’eau vive versée de la source de la grâce sanctifiante, épandait
son excédent sur le prochain par les exercices de la vie active. Demeurer au
couvent rendit, également, beaucoup de consolation spirituelle à notre
missionnaire ; aussi, pendant de longs mois, à peine une fois, se rendit-il à
Tripoli pressé par d’urgents motifs. La majeure commodité dont il pouvait jouir
en ville ne l’allécha point à y demeurer ; ayant expérimenté les nombreuses
distractions causées par le vacarme de la cité et l’abstention du service de sa
Divine Majesté, il
expédiait ses affaires avec toute célérité et s’en retournait à la solitude de
son couvent, où ne lui manquaient point les occupations propres à sa charge
qu’il exerçait à majeur profit de son âme et de celle du prochain, vu que, non
seulement, les jours des fêtes, mais aussi durant les jours de la semaine, les
maronites s’amenaient à notre église,
pour
se confesser et plus fréquemment recevoir la Sainte Eucharistie ; d’où l’offre
d’une majeure opportunité pour les instruire, soit dans les mystères de la foi,
soit dans l’accomplissement des commandements divins et l’exercice des vertus
chrétiennes. L’affluence était plus nombreuse, les dimanches et jours de fête,
pour cela, le matin, il leur disait un sermon, et après les vêpres, il leur
dispensait le catéchisme, y participant non seulement les enfants et les jeunes,
mais aussi les plus âgés, chantant, ensuite, les litanies de la très Sainte
Vierge. Il s’était convaincu, d’après expérience, combien était grand le profit
spirituel qu’offraient les dits exercices, la fréquentation des sacrements et
les avertissements salutaires, quand sur la fin de l’automne, à l’entrée de
l’hiver craignant qu’il ne voulût quitter pour la cité, où le froid était plus
tempéré, instantanément ils le priaient de rester au couvent pour ne pas les
priver de la consolation spirituelle et du fruit qu’ils rapportaient de la
fréquentation de l’église. Durant les années suivantes, l’affluence des fidèles
croissant, et les habitations voisines ne suffisant point à les recevoir, ils
souffraient l’incommodité que suscite le fait d’habiter, nombreux, dans une même
maison ; ils divisaient les grandes chambres avec des stores, préférant les
souffrances et la gêne en vue du profit spirituel de leurs âmes. Les maisons,
également, étant incapables de les recevoir, ils choisissaient plutôt d’habiter
avec leurs familles dans les cavernes et les grottes des alentours que rester
privés d’aussi fructueux et saints exercices. Notre missionnaire s’attendrissait
face à si grande dévotion et, pour y répondre, il ne s’épargnait devant
n’importe quelle fatigante œuvre pour coopérer à leur ardente piété. Cette
dernière, servira, au dernier jour, de remontrance et faire rougir les chrétiens
d’Europe qui négligent, au milieu de tant de confort, le profit spirituel de
leurs âmes. Les maronites profitaient pareillement de la saison d’hiver durant
laquelle ils étaient empêchés de vaquer au travail de la campagne, pour
l’instruction de leurs enfants en les envoyant auprès de notre missionnaire,
soit pour leur enseigner à lire et écrire, soit pour les éduquer aux mystères de
la foi, et à cet âge tendre, imprimer dans leurs âmes les préceptes vertueux,
n’ignorant pas le profit de les former dans la sainte crainte de Dieu. Notre
Padre ne se fatigua pas en vain, puisque à l’âge adulte, plusieurs d’entre eux
continuaient à fréquenter les Saints Sacrements, et poursuivant leurs exercices
spirituels, s’ornèrent de mœurs vertueuses et servirent d’exemples aux autres.
Une nouvelle splendeur s’ajoutait à la gloire du Liban, par ces exemples de
perfection chrétienne ; et, étant parvenu à l’année 1644 qu’englobe notre
narration, et pieusement persuadé que ses admirables vertus le(52) feront
briller parmi les étoiles de l’éternité auxquelles sont comparés les justes, je
ne dois pas négliger le récit de sa vie merveilleuse de sainteté. Et bien qu’il
ne fut pas religieux de notre Réforme, néanmoins, avoir vécu, dans notre couvent
de saint Elisée, en habit d’ermite, pendant quelques mois avant sa mort, me
persuade qu’un tel récit n’est point étranger à mon histoire. En l’écrivant, je
suis le comportement de deux de nos religieux missionnaires qui l’ont connu et
familièrement traité ; ce sont le père Philippe de la Très Sainte-Trinité, dans
la troisième partie de son livre intitulé «Decoro del Carmelo», et le père
Celestino qui, dans son rapport sur cette mission et résidence, relate
minutieusement les événements de sa vie sur trois chapitres entiers. Etant
quelque peu prolixe je me retiens de l’enregistrer, cette gratitude étant due à
celui qui, par son affection envers notre Réforme, vécut les derniers mois de sa
vie dans ladite résidence et l’édifia par les exercices de ses vertus héroïques.
Le récit de cette vie résulterait utile à susciter chez les lecteurs le dédain
des vanités, pompes et plaisirs du monde, auxquels l’Evangile est préféré. La
pauvreté, la mortification et l’abandon de tout le sensible, étant, celui-ci, un
grand écueil pour atteindre le salut éternel, alors que, comme a déclaré Christ
notre Seigneur, c’est la voie qui y mène ;
et, étant extrêmement étroite et austère, sont
peu nombreux ceux qui y marchent.
(A
qui revient ce pronom personnel ? La suite de la lecture révèle qu’il s’agit du
saint ermite François de Chasteuil.
S’agit-il d’n creux dans le texte ?)
Dans la province de France, située aux pieds des Alpes
et Dauphiné et dont le nom est Provence, se dresse Aix, cité de titre
archiépiscopal, et dans laquelle siège le Parlement[52].
Dans celle-ci naquit le Serviteur de Dieu, - j’ignore en quelle année - de la
très célèbre famille de Gallup où son frère de Chasteuil remplit l’honorable
charge d’avocat royal parmi les sénateurs du dit Parlement. Au baptême, on lui
donna le nom de François, presque en présage d’imiter le séraphique saint dans
le dédain de tout le temporel, l’une de ses plus éminentes vertus. La même
prémonition se fit discerner durant les années de son enfance, puisque répondant
à la vertueuse éducation de ses parents, il l’orna par de dévots exercices de
piété chrétienne. Ayant appris, avec une diligente application, les lettres
humaines, il s’appliqua à acquérir les sciences les plus nobles et, devenu
excellent philosophe et mathématicien, il y obtint le doctorat. Ne se contentant
point des sciences naturelles, il s’adonna à l’étude de la Sainte Bible, minière
des plus hauts enseignements de la théologie sacrée. Pensant en outre, à
l’instar de saint Jérôme, que pour une parfaite compréhension de ce divin livre,
il fallait surtout la possession des langues grecque et hébraïque il s’adonna à
leur étude et ajouta ce noble ornement aux sciences déjà acquises. Il poursuivit
avec le même zèle, l’étude de la Sainte Ecriture et de la théologie positive et,
lisant avec une attention infatigable ses exposants et commentateurs, il en
retira une parfaite connaissance. C’est pourquoi dans le cas où il fut interrogé
à propos des passages les plus difficiles de ce très profond livre, avec une
admirable et facile clarté, il y satisfaisait en fournissant le sens vrai. Mais,
doté de ces richesses d’esprit, sa soif d’en savoir plus ne s’assouvit pas, et
de nouveau imitant saint Jérôme, il désira visiter les lieux de la Palestine et
de la Terre Sainte où s’effectua notre Rédemption, et qu’il savait être
profitable à une plus parfaite compréhension des Ecritures Saintes. Ce qui le
poussait en outre à entreprendre ce voyage c’était le dessein d’apprendre, dans
ces pays, les langues chaldéenne, syriaque et l’arabe, avec cela posséder six ou
sept langues, le français maternel, le latin, le grec, l’hébreu, le chaldéen o
syriaque et l’arabe, avec lesquelles, sur ce champ, il aurait égalé le grand
docteur dans l’exposition des Ecritures Saintes. En vue de réaliser ce dessein,
une coïncidence propice lui fut offerte, puisque en cette saison, le Roi très
chrétien de France envoya, comme son ambassadeur à la cour de l’Ottoman,
monsieur de Marcheville ; François ne perdit pas l’occasion, étant chevalier de
naissance et orné de tant d’éminentes qualités et langues, fut admis par
l’ambassadeur de très bon gré en qualité de l’un de ses familiers. Arrivé dans
la ville impériale de Constantinople, il déplora l’état catastrophique de la
puissance grecque écroulée laquelle, aux siècles passés, avait couronné la
religion catholique d’étoiles de première grandeur par ses sujets fort saints et
savants. Dans cette capitale, il reprit l’étude de la langue grecque et l’acquit
avec une perfection majeure. De l’hébreu déjà acquis, il se servit pour
débattre, avec les maîtres ou rabbins des hébreux, les textes de la Divine
Ecriture, qui démontraient, ouvertement, leur vaine attente du Messie, celui-ci
étant déjà venu et il n’est
autre que Jésus Christ. Aussi, dans quelques
disputes enflammées, tenues avec ces gens perfides, il leur en remontra combien
ils vivaient dans l’erreur. S’arrêtant pendant quelques mois dans cette ville,
et ayant compati à ses temples magnifiques, et en particulier à l’auguste sainte
Sophie, profanés en mosquées mahométanes, il décida de partir pour vénérer les
lieux de Terre Sainte. Dans cet objectif, obtenu du Grand Seigneur, Amurât IV[53],
un large sauf conduit, il partit pour ladite visite. Durant ce voyage il monta
également au Mont Liban vers l’année 1630, et son premier dessein était
d’apprendre la langue syriaque sur Giorgio Amira, alors archevêque de Eden,
ensuite patriarche d’Antioche des Maronites, célèbre pour avoir promulgué en
imprimé une grammaire de cette langue, livre qui fut hautement apprécié. Mais,
sa Divine Majesté l’orientant vers un autre but, il entreprit un autre mode de
vie plus parfait tout en satisfaisant à son dessein projeté.
Séduit par l’agréable solitude de cette Montagne, il décida de s’y fixer pour le
reste de sa vie ; et, en habit d’ermite, de s’adonner uniquement
à la contemplation de l’Eternel. Pour cela, déposés
ses précieux vêtements et vêtu d’un habit de pénitent, et congédiés ses
serviteurs en leur distribuant son argent, il se retira au couvent de saint
Jacques l’Interciso (découpé), à peu de distance de la terre d’Eden, et se
soumit à la direction de Elia(55), moine maronite de l’institut de saint
Antoine, s’adonnant avec une infatigable assiduité à apprendre la langue
syriaque sous le magistère du susnommé archevêque ; il en profita jusqu'à la
posséder parfaitement. Son application à l’étude de la perfection monastique ne
fut pas moindre, à commencer par la mortification dont se purifient les
débutants pour se rendre dignes des divines communications qui se diffusent
seulement dans les cœurs purs. Bien qu’éduqué dans la délicatesse, il se
prescrivit d’abord l’abstinence de la viande et, s’adonnant à plus de rigueur,
il abandonna les produits laitiers et les poissons, se nourrissant seulement
d’herbes, légumes et fruits secs ou frais selon la diversité des saisons. Du
vin, il en buvait rarement, mettant en pratique ce que l’Apôtre a écrit à son
disciple Timothée, quand il lui prescrivit d’en boire un peu, non par plaisir,
mais pour soutenir la faiblesse de l’estomac. Allant plus en avant, il prenait
un seul repas autour de midi, et persista dans ces rigueurs plusieurs années
sans en excepter un seul jour. Il s’habillait de laine sur la chair nue, d’une
autre tunique de tissu bas et grossier et d’un manteau. Il avait changé toutes
les douceurs séculières. Assez plus graves furent ses souffrances, et ses
abstinences plus rigoureuses. Quand les habitants d’Eden, suite à l’intolérable
tyrannie des Maomettani furent obligés de l’abandonner(56), il se nourrit,
pendant longtemps, de seul pain et eau, et il s’estimait s’asseoir à une table
délicieuse quand il y ajoutait quelques noix et olives apportées par des
étrangers. Il se retrouvait, parfois, dans une extrême nécessité, ayant manqué
même de pain, d’où le Seigneur, compatissant son serviteur, l’en approvisionna
d’une façon merveilleuse inspirant quelques maronites, habitant à la distance de
six milles, de lui en apporter. Dans ces difficultés fort dures, sa constance
insurmontable le fit tenir, n’ayant jamais voulu quitter l’emplacement choisi ;
aussi, y persévéra-t-il l’espace d’environ quatorze ans. Au bout de cette
période, le Seigneur prédisposa qu’il le change et se transfère à notre couvent
de saint Elisée selon le mode que nous sommes en train
de
rapporter. Le père François de Jésus, étant parti du Liban sur Alep, comme
l’avons dit, et passé environ un mois depuis que le père Celestino était resté
seul sans aucun de nos religieux, il arriva que deux notables des maronites du
Liban vinrent lui rendre visite. Dans leurs entretiens, ils lui firent savoir
que le saint ermite François, ( on ne l’appelait pas d’un autre nom), se
trouvait dans les environs de Eden dans l’extrême besoin de tout le nécessaire,
non seulement matériel, mais aussi spirituel, vu que tous les habitants
avaient
abandonné leurs terres sous les insupportables et violentes vexations des Turcs.
Il leur paraissait, par conséquent, un geste digne de sa charité, d’aller
l’inviter chez lui, dans son couvent, où il jouirait d’une nourriture, non pas
délicieuse, mais au moins suffisante. Ils ne pouvaient pas suffisamment admirer
son héroïque constance et confiance en Dieu, sa quasi indiscrète mortification,
alors qu’il persévérait dans un lieu, où il manquait précisément de tout le
nécessaire. Notre missionnaire, qui était au courant des éminentes vertus de
l’ermite, répondit que c’était un grand honneur pour lui de l’héberger dans sa
résidence, mais il craignait, cependant, d’en être empêché par les habitants de
Eden et ses environs, alors qu’ils avaient joui, pendant quatorze ans de ses
salutaires enseignements, et admiré l’éminente perfection de sa vie. Cependant,
il ne voyait pas convenable de les priver d’un si vivant exemple de saintes
mœurs et spirituelle consolation sans le consentement du patriarche. Les deux
maronites lui répliquèrent qu’ils se chargeaient, eux-mêmes, d’en traiter avec
le patriarche et en obtenir l’autorisation. Ils s’offrirent, également, à
vaincre toute opposition de ceux d’Eden ; et l’ayant effectué, les deux
maronites et notre missionnaire s’accordèrent sur le jour où ils iraient
l’inviter. Au jour fixé, ils s’amenèrent au susnommé monastère où il s’était
enfermé et le père Celestino lui offrit son couvent et tout majeur confort que
sa pauvreté et assistance pussent lui réserver. Connaissant l’extrême pauvreté
dont il souffrait, il désirait grandement lui venir en aide, dans la seule
récompense de profiter de sa sainte conversation. L’invitation fut vivement
appréciée par l’ermite François, et avec beaucoup d’actions de grâces et
d’humble reconnaissance du bienfait, il l’accepta. Ils se mirent d’accord
cependant, sur le jour où il allait se transférer avec tout son mobilier. Ceci
consistait en un très pauvre lit composé d’un seul matelas, d’une couverture et
de trois caisses remplies, en grande partie, de livres, délices sacrées de ses
études. Ce transfert s’effectua sur la fin de novembre de 1643. En route,
l’ermite confia à notre missionnaire, avoir reconnu dans la proposition qui lui
avait été faite, la singulière Providence de sa Divine Majesté. Il était sûr, en
effet, de ne pouvoir survivre longtemps puisque, suite à l’extrême inanition,
déjà ses forces extrêmement affaiblies, lui venaient à manquer. Pendant de
longues semaines, il n’avait pas goûté ά quelque chose de cuisiné, il avait
mangé seulement quelques morceaux de pain endurcis par le temps et très peu
d’olives. Il reconnaissait, d’après quelques conjonctures et indices, que ce
changement d’habitation était une disposition du Seigneur, vu qu’il avait été
invité par des pulsions intérieures à changer de lieu. Il ne voulait
pourtant
pas, lui cacher ce qu’il lui était arrivé quelques jours auparavant ; et il
pensait qu’il ne
devait pas dédaigner comme un vain songe, soit
pour en voir l’effet réalisé, soit pour ne pas être quelque chose d’inouï, que
sa Divine Majesté avait daigné lui révéler pendant le sommeil, quelques futurs
événements. Alors qu’il dormait, il avait vu un religieux vêtu de l’habit des
carmes déchaussés lui dire d’une voix claire : ‘’ Que fais–tu là ? Lève-
toi et viens avec moi ‘’. Cet incident accrut en lui l’impulsion d’abandonner ce
lieu. Aussi a-t-il accepté de bon gré l’offre faite par notre père. A cette
nouvelle, le père Celestino se réjouit fortement,
se rendant compte d’aller à la rencontre des
désirs d’un ermite tellement vertueux, et surtout de concourir au bon vouloir de
sa Divine Majesté. Ils arrivèrent à notre résidence tout joyeux, et plus joyeux
furent les habitants de la voisine terre de Besciarrai et de ses environs pour
la venue d’un homme aussi saint ; aussi l’accueillirent-ils avec une longue
ovation. Une caverne près de l’église de notre père saint Elisée lui fut
assignée comme habitation ; on disait qu’elle avait été la première habitation
du même couvent, et qu’elle avait été la propre chambre de l’évêque. Elle en
portait le nom parce qu’il y avait demeuré de nombreuses années. On constata,
quand il mourut,
six mois après, que sa Divine Majesté
avait
disposé qu’il soit venu à notre résidence afin de jouir d’une plus grande
quiétude et pouvoir, avec plus de commodité, fréquenter les Saints Sacrements,
et ainsi mieux se préparer à mourir saintement. Aussi le serviteur de Dieu ne
négligea pas cette conjoncture propice à atteindre le salut éternel. Son emploi
de temps le plus assidu fut l’étude et la méditation profonde de l’Ecriture
Sainte. Rencontrant des passages d’intelligence plus difficile, il s’arrêtait à
les méditer ; et pour en pénétrer le sens vrai, il priait humblement le Seigneur
de l’éclairer. Pour se rendre digne de cette lumière divine, il lisait avec une
grande révérence la Sainte Ecriture, gardant la tête à découvert, restant à
genoux ou s’essayant à terre à la manière des Orientaux. Et puisqu’il y
consacrait plusieurs heures, soit de jour, soit de nuit, trouvant son agrément à
y méditer la loi du Seigneur, aussi lui arrivait-il de garder la tête presque
toujours découverte, non sans une grande
souffrance, l’hiver battant justement son plein. Il lisait toujours l’Ancien
Testament en langue hébraïque, il en avait trois exemplaires différents avec la
Bible de Paganini. Il l’avait lue, plusieurs fois, du début jusqu’ à la fin, en
y réfléchissant avec beaucoup d’attention. Cependant il lisait, le plus souvent,
le Nouveau Testament en langue grecque, chaldéenne ou arabe, estimant être les
plus fidèles. Avec la lecture assidue du texte hébreu il en avait acquis une
grande pratique, aussi, pour n’importe quelle occasion offerte, il alléguait des
versets entiers et des textes de l’hébreu, en gardant la mémoire pleine et
prompte ; et dans le même idiome il récitait tout le psautier composé de cent
cinquante psaumes. En traitant les passages difficiles de l’Ecriture Sainte il
combinait les textes, expliquant l’un par l’autre. Il se faisait un devoir d’en
lire les commentateurs ou exposants, les ayant déjà lus, avant de se transférer
en Orient. Cependant, à toute difficulté de l’Ecriture Sainte, posée soit par
nos religieux soit par d’autres, il était tellement prompt à répondre et à
résoudre les plus embrouillées, de manière à étonner celui qui l’écoutait. Dans
ses entretiens familiers, il déclarait, à propos de certains doutes expliqués,
que l’exposition adoptée par lui, se retrouvait chez les saints Pères et chez
d’autres exposants ; cependant, il ajoutait que d’autres passages resteraient
sans explication, s’il ne l’avait, lui, déduite d’autres textes hébreux,
auxquels il les avait confrontés. Tout cela fit que le père Celestino se rendit
compte que l’ermite avait un riche trésor de notices rares et cachées ; aussi
jugea-t-il qu’il
ne convenait pas de les laisser ensevelies, mais qu’un tel trésor devait être
exposé pour le profit du public. Là-dessus, plusieurs fois, il le pria de
vouloir le divulguer par écrit, afin que plusieurs puissent s’en valoir. Le
serviteur de Dieu répondit qu’il nourrissait, depuis longtemps, un profond désir
de l’effectuer, et qu’il avait décidé, au cas où le Seigneur aurait prolongé ses
jours, de laisser à la postérité quelques-uns de ses commentaires et
industrieuses expositions. Pour cela, il avait besoin de l’assistance de quelque
écrivain bien versé en langues chaldéenne et hébraïque pour mettre par écrit
ce qu’il voulait exprimer dans ces langues. Il avait, de même, insisté
avec empressement auprès de père Celestino d’œuvrer en
vue de faire venir d’Alep quelqu’un de bonnes mœurs et bien calé, car il aurait
cherché, auprès de ses amis, assez d’argent pour le payer. Notre missionnaire ne
s’attarda pas à le satisfaire ; et déjà, il s’etait mis d’accord avec un homme
qui, par l’œuvre de nos missionnaires d’Alep, avait abjuré les erreurs
d’Eutychès et Dioscures[54]
et, avec beaucoup de zèle, il s’était dédié aux exercices spirituels. Il ne
manquait pas d’une éminente compréhension des dites langues et il
les
écrivait, en leurs caractères, avec la même perfection ; mais quand il arriva au
Liban, notre ermite était déjà mort. Cependant, tout resta enseveli avec son
cadavre ; car il était tellement assidu à la lecture et méditation de l’Ecriture
Sainte, et ses forces tellement épuisées, qu’à grand peine s’obligeait-il à
écrire de sa propre main, et rarement répondait-il aux lettres familières de
quelques-uns de ses amis. Trouvant son agrément surtout dans cette méditation de
la Sainte Ecriture, il était un exact gardien de sa cellule ; il n’en sortait,
jamais pour se distraire en se promenant à la campagne, mais seulement pour une
nécessité inévitable, et quand il devait aller à l’église. Bien que la saison
fût très froide il ne quitta jamais sa cellule à la recherche du feu. Il ne
parlait que très peu et rarement aux domestiques, aux étrangers seulement, quand
il était obligé, et alors il s’en tirait à bref entretien. Dans cette retraite
et ce silence rigoureux, il gardait sa conscience très nette ; et, néanmoins, il
allait à confesse deux fois par semaine en plus des fêtes occurrentes,
c’est-à-dire, le samedi et le dimanche, il se confessait et recevait la Sainte
Eucharistie avec des sentiments de très tendre dévotion. Il poursuivit,
également, durant les mois passés dans notre couvent, ses rigoureux jeûnes et
abstinences qui étaient plus austères durant l’Avant et le Carême. Il renonçait
tout à fait au vin ; les mercredis et vendredis il jeûnait au pain et à l’eau.
Il ne consentit jamais à prendre quelque soulagement malgré les instances faites
par le père Celestino, son confesseur, en raison de son extrême faiblesse.
Durant le carême suivant, seulement les dimanches, et dans son unique repas, il
admit une soupe d’herbes ou légumes, et les autres jours, au seuls pain et eau
et fruits secs, renonçant encore aux fruits le mercredi, vendredi et samedi. Son
lit était posé à même le sol, et à cause de la grande humidité, seulement, il se
servait d’un matelas unique ; et il ne s’y posait à dormir que poussé par
l’extrême besoin, se suffisant de trois ou quatre heures de sommeil. Par suite
de cette austérité il s’était tellement épuisé que la pâleur de ses traits
représentait le portrait d’un mort vivant.
Arrivé à la fin du Carême, il lui survint une fièvre lente qui, dégénérant en
fièvre hectique le consumait peu à peu. Le père Celestino s’en avisa ; et,
prenant en compassion ses forces déjà quasi totalement abattues, il essaya de le
persuader de se restaurer par une meilleure nourriture. Pouvoir sans scrupule
manger des viandes, toutefois se contenter de tempérer, par quelque soulagement,
l’excessive rigueur, et manger quelque soupe permise à tout le monde en temps de
carême. Il répliqua, néanmoins, avec une constance aussi humble qu’invincible,
et supplia notre père de ne pas l’obliger à interrompre son habituelle
austérité. Déjà Pâques est tout proche, et il espérait que le Seigneur lui
donnerait des forces suffisantes pour poursuivre son dessein. Il avait entrepris
cette manière, aussi rigoureuse, pour le seul amour et inspiration de Jésus
Christ et il était résolu à y persévérer jusqu'à la mort, aussi le suppliait-il
de lui permettre de continuer son projet. Il dit tout cela avec une grande
ardeur d’esprit que notre père, pour ne pas le contrister lui permit de
poursuivre jusqu'à Pâques. En celle-ci, bien qu’il ait mangé des œufs et du
laitage, il ne voulut pas goûter à la viande et au bouillon gras ; et avec cette
mince nourriture il s’améliora quelque peu, mais il ne reprit jamais ses
premières forces. Il était également tourmenté par une toux assez aigüe et
véhémente, ce qui indiquait que la fièvre n’avait pas cessé, d’autant plus qu’à
chaque amélioration, se considérant vigoureux, il reprenait ses rigoureuses
abstinences. La fièvre lente et incessante, l’obligeait à garder le lit, bien
qu’il fît pression sur lui-même, se sentant assez robuste dans l’ardeur de
l’esprit plus qu’il n’eut la vigueur du corps affaibli. Cette ferveur le
poussait, chaque matin, à rejoindre l’église, voulant assister à la messe ou
bien la servir ; et la grande faiblesse faisant son affaire, et ne pouvant se
tenir debout, parfois il y allait marchant, ou plutôt se trainant, à quatre
pattes. Il garda cette flamme de l’esprit jusqu’ à la fin de sa vie, ne voulant
point perdre la couronne promise seulement à celui qui persévère jusqu’au bout,
comme on le dira bientôt.
On remettra le récit de sa maladie et sa mort à plus
tard, devant, auparavant, rapporter la consolation reçue du Seigneur, quelques
jours avant son départ. Comme nous venons de le dire plus haut, le père Germano
avait succédé au défunt père Paul Simon, Préposé général, sous le titre de
Vicaire général, suivant la prescription de nos constitutions que le premier
Définiteur prenne la place du défunt sous le titre de Vicaire. Cette mort fit
craindre au père Celestino la prépondérance de l’opposition, de ceux-là qui
jugeaient de l’inconvenance de persévérer dans la résidence du Liban. Pour cela,
sur la fin de l’année écoulée, il avait écrit une lettre au susnommé notre
Vicaire, dans laquelle il essayait de soutenir la résidence déjà établie. Nous
l’avons rapportée plus haut, remettant à cette année le récit de son effet, et
nous nous exécutons. Le susnommé Père, satisfait des motifs invoqués par le père
Celestino, et suivant la voix de son zèle, vivement enclin à favoriser et
promouvoir les missions, il décida par conséquent
de faire tout son possible pour venir en aide à
la résidence du Mont Liban. Dans ce but, il ordonna que soit envoyé un subside
convenable pour l’entretien des religieux. Il fit également peindre un grand
tableau,[55]
où était représentée la Sainte Vierge en train de remettre à notre père saint
Simon Stock le saint scapulaire, les saints Prophètes et Fondateurs de notre
Ordre, Elie et Elisée, et notre glorieuse Réformatrice, sainte Thérèse. Il
l’envoya plus tard à notre résidence, chargeant les pères de l’exposer dans leur
église. Il voulut pareillement réaliser le dessein du feu Préposé général
d’envoyer au Liban le père Thomas de saint Joseph qui demeurait en notre
résidence d’Alep, et il lui envoya la patente. De cet éminent missionnaire nous
avons déjà donné une information, quand nous avons écrit sur la fondation de
notre résidence d’Alep, et bien que le père Celestino, dans son rapport,
parle longuement de ses vertus uniques, nous le
laissons tomber jugeant de son inopportunité. Je signale seulement qu’il avait
été envoyé de Rome avec le père Prospero pour fonder notre résidence d’Alep et y
avoir vécu, se soumettant, comme un novice, à l’esprit quelque peu austère de ce
père-là, jusqu’ à son départ en vue de récupérer le saint Mont Carmel. A la
suite de ce départ, il gouverna, en charge de vicaire, pendant de longues
années, d’une façon digne de louange, la même résidence ; et, rendu très calé en
écrire et parler arabe, il fut un missionnaire d’une grande renommée. Il arriva
à cette résidence du Liban, le vingt-deux avril de l’année en cours, 1644,
vingt-cinq jours après Pâques célébrée le vingt-sept de mars. Soit le père
Celestino, qui l’avait connu à Alep, soit l’ermite François, se réjouirent de
son arrivée d’une façon particulière. La consolation de ce dernier fut plus
grande durant les quelques jours qu’il eut à ses côtés le père Thomas, étant,
celui-ci, doté d’une admirable placidité et mansuétude, d’autant plus qu’ils
étaient natifs, tous deux, du même royaume, la France. Echangeant entre eux des
entretiens spirituels, ils s’enflammaient l’un l’autre dans l’amour de sa Divine
Majesté. Cette nouvelle réjouissance d’esprit réconforta beaucoup le malade
François ; et la joie se diffusant dans son corps, bien qu’extrêmement épuisé,
lui fit recouvrer un peu de force. On jugeait entre-temps que sa vie serait
prolongée de quelques mois, cependant, il était
vain
d’espérer la guérison de sa santé. Bien qu’en apparence
seulement, quelques indices de cette santé se
manifestèrent la veille de la Pâques de l’Esprit-Saint, le jour précédant sa
mort. C’étant, en effet, confessé et ayant, en notre église, reçu la Sainte
Eucharistie avec des sentiments de fervente dévotion, il parut
récupérer ses forces, exprimant cela par
l’épanouissement de ses traits. Le jour même, après les Vêpres, le père
Celestino avait quitté pour un village important du Liban, appelé Hassrona. Les
habitants l’attendaient, parce que, célébrant la fête de l’Esprit-Saint avec
beaucoup de solennité et un grand concours de fidèles, ils voulaient, le soir
même et la matinée suivante, se préparer, par la confession, à recevoir la
Sainte Eucharistie. Parmi ces derniers, l’archiprêtre, particulièrement
affectionné à nos religieux, exhortait les gens de sa paroisse à écouter avec
attention le sermon de notre missionnaire et aller à confesse chez lui. Ayant
rempli les fonctions propres à sa charge en écoutant les confessions et prêchant
lors de la messe solennelle, il quitta après les Vêpres. Mais il ne rentra pas
au couvent, il se dirigea vers un autre village appelé Béqua kafra ; le père
Thomas devait l’y rejoindre le lundi suivant. Un éminent bienfaiteur, gouverneur
de ce village, les avaient invités à célébrer la fête, étant donné qu’il
manquait de curé. Aussi, avaient-ils à y entendre les confessions et célébrer
les messes ainsi qu’ils en avaient l’habitude lors des autres fêtes de l’année.
En quittant le couvent, le père Thomas confia le soin de l’ermite malade à un
prêtre, religieux maronite, qui avait assisté à sa messe, et à d’autres
séculiers, bien qu’il n’ait eu aucune crainte pour sa mort. Il advint,
cependant, vers une heure environ de la nuit, le malade s’aperçût que l’heure de
sa mort menaçait, il interrogea le prêtre maronite où étaient les carmes
déchaussés, et lui ayant répondu qu’ils étaient partis pour le village voisin,
de Béqua Kafra, il s’informa de l’heure de leur retour. Le maronite répliqua
qu’ils avaient été invités par le chef du lieu pour y célébrer la fête du
lendemain, vu qu’il
n’y avait aucun prêtre ; mais qu’ils seraient,
sans doute, rentrés le même lundi. S’il désirait qu’ils retournent plutôt, il
enverrait les aviser. François répliqua qu’il n’y avait pas de quoi, pourvu
qu’ils retournent le lendemain. Mais quelque peu plus tard, il lui survint une
brusque défaillance, et se sentant plus aggravé il demanda de quoi écrire, et,
ne pouvant manier la plume, à cause de son extrême faiblesse, il disposa de vive
voix de son pauvre mobilier. Il le distribua à ceux qui l’avaient servi, en leur
rendant grâces. Ayant ensuite fait écrire que, par reconnaissance, il laissait
ses livres en héritage à nos religieux, il le soussigna.
La nuit bien avancée, il demanda aux assistants
de le laisser seul et d’aller se reposer, mais il pria le prêtre maronite
de retourner le voir peu de temps après minuit.
Il s’exécuta, et entré dans sa cellule, il lui parut dormir ; mais s’approchant
pour mieux l’observer, il le reconnut déjà mort. Il en avisa les autres. Autant
qu’ils s’attristèrent pour l’accident inattendu, autant ils furent édifiés à le
voir si placidement étendu, aussi versèrent–ils beaucoup de larmes de tendresse.
Dans la matinée suivante, d’assez bonne heure, ils envoyèrent aviser nos pères
et leur apprendre tout ce qui était passé. Interdits à cette funeste nouvelle,
ils quittèrent sur-le-champ ; et rejoint le couvent, tout en larmes, ils lui
baisèrent affectueusement mains et pieds. Alors qu’ils étaient occupés à
préparer les funérailles, la nouvelle de sa mort s’était répandue dans le Liban,
et l’afflux du peuple maronite à notre couvent fut très nombreux. Le vénérant en
tant que saint, ils demandèrent avec grande insistance à avoir quelque chose de
lui, voulant le retenir comme relique. Nos pères enlevèrent le vénérable
cadavre, et le revêtant de son habit d’ermite, ils le couvrirent de roses et
autres fleurs. Sa chair, néanmoins parut refleurie, son visage s’étant revêtu
d’une merveilleuse beauté et de couleur rose. Et, bien que pour ses insignes
vertus, il semblait ne pas avoir besoin que très peu ou rien comme prières de
suffrages, néanmoins ils voulurent célébrer ses funérailles
en
double
rite, latin et chaldéen, selon les normes de l’Eglise antiochienne. Pour
l’ensevelir, ils choisirent une petite caverne[56]
de notre église, qui se trouvait sur le côté occidental, réservée à la sépulture
des évêques ; cependant on ne le déposa pas étendu et sous terre, mais assis, le
visage tourné vers l’Orient, selon la coutume des Orientaux ainsi que voulurent
les prêtres maronites. Ce grand serviteur de Dieu, dédaigneux
des pompes et vanité du siècle, mourut le quinze mai de l’année 1644, aux
environs de minuit de la Pâque du Saint Esprit et de la Bienheureuse Vierge
Marie selon le calendrier maronite.
Il est utile de savoir qu’au jour
susnommé, les maronites célèbrent une fête
spécialement instituée en honneur de Notre-Dame pour la raison suivante. Il est
très répandu, parmi eux, avoir vu ce jour-là la Sainte Vierge marcher parmi les
champs et bénir les moissons. Aussi l’invoque-t-on pour qu’elle daigne leur
impartir sa bénédiction ; pour
l’en implorer, on lui célèbre une fête
particulière. En ce jour tellement renommé, mourut le vénérable ermite François
qui avait vécu, la poitrine brûlant des flammes de l’amour de Dieu, et d’une
ardente dévotion envers la Mère de Dieu ; aussi,
avant-nous dit, plus haut, combien fut
rigoureux son jeûne les samedis de l’année, et dans lesquels il allait à
confesse et recevoir la Sainte Eucharistie. La vénération et l’affection portées
par les maronites à notre ermite ne se
sentant pas assouvies, ils insistèrent auprès
de nos religieux pour lui célébrer, au neuvième jour après sa mort, d’autres
funérailles solennelles.
C’était celle- là une coutume chez la nation
maronite ; et en plus des messes on faisait un repas pour tous les présents,
comme on vient de le dire. Mais le défunt n’avait pas laissé d’hérédité.
Plusieurs des plus nantis contribuèrent à la dépense, mus par une affection
spontanée. Les habitants du Liban y furent invités. Pour
plus solenniser l’événement, nos religieux se
rendirent à Tripoli et prièrent le Consul de France, Lodovico Cavaliere, le
Boiselli, marchand natif d’Aix,
patrie du défunt, et tous les autres marchands
de la même nation, de les honorer de leur assistance. La veille du neuvième
jour, au soir, le Consul arriva avec le groupe des marchands. Beaucoup de
prêtres, de religieux et de séculiers de toutes conditions, vinrent des terres
et des villages du Liban ; aussi, des somptueuses obsèques lui furent-elles
célébrées ; et, durant la messe solennelle, l’un de nos susnommés pères
prononça, en langue arabe, une oraison funèbre en sa louange, et la fonction
termina par l’habituel dîner. Au moment de quitter, soit le consul, soient les
autres marchands, voulurent emporter, en signe de vénération, quelque chose du
défunt ; l’un saisit son Thomas de Kempis, l’autre le petit office de la très
Sainte Vierge, d’autres, quelques livrets de ses dévotions, et d’autres encore,
une parcelle de son habit. Mais celui qui se signala le plus, ce fut le
Boiselli, son concitoyen. Celui-ci, s’avisant que le cadavre de l’ermite
François, serait mélangé à ceux des évêques ensevelis, et pensant à ce que, par
hasard, ses conjoints de sang voulussent, dans le temps, faire transporter ses
ossements à la patrie, voulut qu’il fut colloqué séparément afin d’être reconnu.
A cet effet, il envoya, quelques jours plus tard, un tailleur de pierre au
Liban, et lui faisant couper au rocher de la montagne une plaque commémorative,
il fit replacer le corps dans un lieu séparé. Sur la même plaque, il fit graver
une inscription en langue française. D’autres composèrent, en son honneur, des
vers en latin ; et nos religieux composèrent en langue syro-arabique une autre
inscription, et toutes sont lisibles à présent, suspendues dans notre église de
saint Elisée ; et à fin qu’elles puissent être lues de tous ceux qui visitent
son sépulcre, elles furent écrites en quatre langues différentes. Ainsi il reste
admirable ce qu’a dit le Saint dans ses Proverbes, que la mémoire du juste
serait célébrée avec honneur. Il fut, de même, hautement loué par Elia,
archevêque de Eden, dans un rapport écrit en langue arabe et traduit en latin
par notre père Philipe de la très Sainte-Trinité, dans la vie brève du serviteur
de Dieu, éditée dans la troisième partie de son ‘’Decoro del Carmelo.’’ Notre
François vécut pendant de nombreuses années au monastère de cet évêque qui fut
son confesseur, aussi, à l’extérieur comme à l’intérieur, fut-il témoin de vue.
Mis à part ce que nous avons déjà raconté de ses rigoureux jeûnes et
abstinences, je traduis de ce même rapport, quelques grâces attribuées à
l’intercession du serviteur de Dieu.
Georgio, neveu du même archevêque, ayant perdu un
objet, évalué environ trois écus, offrit à notre François deux pains et deux
bougies s’il le retrouvait ; et bien qu’une année s’était écoulée, depuis qu’il
l’avait perdu, le jour même où il fit son offrande, il le retrouva. La femme de
son frère était tombée malade avec une fièvre persistante durant quatre mois, il
la recommanda aux prières de notre ermite, faisant dans son for intérieur le vœu
de lui offrir dix pains, et à l’instant même, la fièvre quitta sa belle-sœur. Un
certain mahométan, faisant voyage de toute une journée, vint à retrouver le
serviteur de Dieu et le pria de bénir un peu d’eau pour la faire boire à sa mère
gravement malade et sur le point de mourir, il emporta l’eau qu’il fit boire à
la malade, celle-ci retrouva immédiatement la santé. Beaucoup de malades, buvant
de l’eau bénite par le serviteur de Dieu, suivant le
témoignage de l’évêque, reçurent d’autres
grâces. Plus signalée fut la suivante : le même archevêque s’était enfoui, avec
notre ermite, dans une forêt lointaine, pour se libérer des infestations
tyranniques des Turcs. Souffrant d’une ardente soif, l’ermite François supplia
le Seigneur de leur venir en aide, ils virent alors jaillir du sol une source[57]
d'eau, dont ils se rafraichirent, rendant beaucoup de grâces au Seigneur ; cette
source, présentement, continue à couler. Surtout, cependant (ce sont les
dernières paroles de son rapport) Dieu soit à jamais loué, et à Lui soit gloire,
honneur et action de grâces pour les siècles des siècles. Dans ce que
j'ai raconté jusqu’à présent,
‘’la relatio latina’’, soigneusement écrite par
le père Celestino, m’a servi de guide sûr. Elle contient dix-huit chapitres,
elle est, cependant, manifestement défectueuse, aussi, une petite ou grande
partie, à mon immense désagrément, se trouve perdue. Pour plus d’informations à
propos de cette résidence, il me faut pourtant suivre d'autres rapports de lui,
ou bien d'autres nouvelles de nos missionnaires
contenues dans leurs lettres originales, et que
je citerai en marge ; et, bien qu'elles soient assez pauvres, confrontées à la
richesse de l'œuvre, elles ne font pas moins autorité, ayant été écrites par des
religieux d'éminentes vertus qui avaient en horreur le mensonge. Dès le début de
cette année, le père Celestino, aidé du susnommé ermite, s'était appliqué à
l’étude de la langue hébraïque l'ayant reconnue profitable à la perfection de
l'arabe et du syriaque qu'il possédait déjà, étant celle-là comme la mère des
deux autres. Il en avait grandement profité, et il demandait cependant des
livres pour mieux l'apprendre. Il jouissait encore du fruit de ses fatigues
apostoliques alors qu'il reconnaissait chez les maronites du Liban un grand
changement de mœurs, effet de sa prédication et de son application à instruire
les personnes simples et ignorantes des mystères de notre sainte foi et d'y
avoir introduit une majeure fréquentation des Saints Sacrements. Tout ceci était
fortement apprécié par les maronites qui, reconnaissants du profit spirituel,
offraient à notre missionnaire d'autres antiques couvents du Liban, si jamais il
estimait que celui de saint Elisée, déjà concédé, était incommode pour être
situé au fond d'une vallée. Sur ce même couvent quelques-uns avaient informé les
supérieurs d'une façon bien sinistre, aussi le père désirait-il se porter à Rome
pour éclaircir les choses, et leur démontrer le grand profit spirituel réalisé
par nos missionnaires parmi les habitants du Liban. Pendant le Carême passé, le
supérieur[58]
des missionnaires de la Compagnie de Jésus d'Alep était venu en cette Montagne,
et, frappé par la dévotion que les-uns vouaient singulièrement au Saint
Sacrement et à la glorieuse
Mère de Dieu, il avait déclaré que nos
supérieurs étaient obligés, en conscience, de maintenir cette mission. Ayant,
entre-temps, constaté combien la moisson était abondante et peu nombreux les
ouvriers, il avait résolu d'envoyer quelques-uns de ses religieux, missionnaires
à Tripoli et au Liban, afin de s'engager dans la culture spirituelle de tant
d'âmes lesquelles, faute de qui les orienter et instruire, s'étaient dévoyées
par beaucoup d'abus et mauvaises mœurs. Notre missionnaire ne tarda pas beaucoup
à se retrouver réconforté, étant donné qu'au mois d'avril de cette même année y
arriva, comme il a été signalé plus haut, le père Thomas de saint Joseph,
religieux de grande vertu et excellent missionnaire, parfaitement versé en
langue arabe, y écrivant avec une perfection admirable. Il y fut envoyé par le
père Germano, notre Vicaire général, sous le titre de vicaire de cette
résidence, l'ayant été pendant longtemps dans celle d'Alep. Le très humble père
Celestino l'accueillit avec des signes de grande joie, attestant dans sa lettre,
combien il était heureux de l'avoir eu comme supérieur. Ils s'en allèrent tous
deux
visiter le patriarche Giorgio Amira qui, très
affectionné à nos missionnaires, les reçut et les traita avec une immense
bienveillance. Il voulut, entre-temps, qu'ils retournent assister à la fonction
de collation des saints ordres qui allait être célébrée dans quelques jours. Il
n'y avait pas longtemps qu'il avait réintégré sa résidence d’où il s'était évadé
pour se soustraire aux tyranniques violences des Turcs. Cependant,
pour y retourner, il dut payer beaucoup
d'argent : ’’ Nourriture qui agace n'assouvit pas l'avarice turque ‘’. Nos deux
missionnaires ne négligeaient point de coopérer sans relâche au salut des âmes,
par le ministère des sacrements et l’annonce de la parole de Dieu, en
particulier dans les villages des alentours, parmi lesquels quelques-uns
manquaient de prêtres. Au vingt-huit août, selon le calendrier maronite, mourut
dans son monastère de Canobin le patriarche Giorgio Amira. Le père Celestino
célébra, dans un discours funèbre, les gestes vertueux du défunt prélat ; il ne
manquait pas d'abondante matière pour un grand
éloge. Nos missionnaires s’attardèrent à
Canobin
puisqu'on leur avait fait instance d'assister à
l'élection du nouveau patriarche. Celle–ci échut sur la personne de motran
Joseph
Al
kakouri[59].
Les électeurs y concoururent pour être religieux et déjà archevêque
de grande vertu. Il avait une grande affection pour nos missionnaires qui
espérèrent se consacrer, avec beaucoup de fruit, à leur ministère apostolique,
étant sûrs de jouir de sa protection.
Ils ne s'y trompèrent point. Ayant
notre Réforme en grande estime, et trouvant le
comportement des deux missionnaires tellement édifiant, il avait pris la
décision de s'en valoir non seulement dans la culture spirituelle des séculiers,
mais aussi dans la réforme du clergé,
des religieux et de tout le Liban sujet de sa juridiction. Il ne montrait pas
une moindre familiarité au père Celestino à qui, déjà du temps qu'il était
archevêque, il avait demandé une dévote image en peinture du patriarche Saint
Joseph[60],
étant celui- ci l'un de ses noms, aussi notre missionnaire en faisait instance à
notre Préposé général. Il lui recommandait également celui qui allait être
envoyé par le patriarche au Souverain Pontife pour lui attester sa soumission et
son obéissance et en apporter la confirmation dans sa nouvelle dignité
patriarcale. Il observait, en cela, la très ancienne coutume de l'Eglise
inviolablement observée par les évêques et patriarches de Constantinople pendant
les siècles, où la nation grecque n'était pas dépravée par le néfaste schisme,
et la révolte contre le Saint Siège romain. Alors que nos missionnaires
progressaient, avec une grande prospérité, dans l'accomplissement de leur tâche,
nos supérieurs ne négligèrent point de leur envoyer de Rome de nouveaux
ouvriers. C'est pourquoi dans la même année, y furent envoyés le père Urbano de
la très Sainte Vierge et le père Matteo de saint Joseph. Dans leur voyage, ils
jouirent des bénédictions de sa Divine Majesté puisque, en plus du vent
favorable et du calme de la mer, ils se virent libres de l'assaut des corsaires,
dont un soupçon avait circulé, précédemment, à cause de l'armée navale
vénitienne qui les assistait. Etant parvenus tout heureux à
Alep, ils expérimentèrent les manières très courtoises du consul -il m'est
inconnu s'il était de la couronne de France ou de la Seigneurie de Venise - mais
il est très certain qu'il les a traités avec une bienveillance fort
à point, qu'il n'en aurait fait usage avec ses propres
frères, effet de son zèle ardent envers les ouvriers de la sainte foi. Ils
parvinrent au Mont Liban autour de mi-septembre,
apportant de nouvelles dispositions : le père
Thomas avait été élu comme vicaire de notre résidence d'Alep, et à celle du
Liban, on avait substitué le père Celestino. Celui-ci venait à peine d'entamer
son gouvernement qu'il eut à affronter un très grave labeur. Etant donné que le
susnommé père Urbano, écoulés quelques jours à peine de son arrivée, fut
assailli par une ardente fièvre. Le père vicaire espérait qu'il s'en guérirait,
sachant par expérience que les nouveaux arrivés au Liban avaient l'habitude, en
majorité, de tomber malades. Le mal paraissait assez grave, ils s'appliquèrent
toutefois à le soigner avec beaucoup de diligence. Passés trois jours sur sa
maladie, le 27 septembre, l'infirme parut être atteint de peste. Il pria les
religieux de se retirer pour se soustraire au danger d'être contaminés. Le père
Matteo, cependant, prémuni d'un antidote, lui appliqua un certain remède estimé
fort efficace contre les infections pestilentielles ; mais ayant tardé plus du
convenable, il ne lui apporta point le soulagement désiré ; aussi le malade se
prépara-t-il à la mort imminente. À cette fin, il se
confessa au père Celestino qui admira beaucoup,
la parfaite résignation du pénitent aux dispositions de sa Divine Majesté, bien
qu’à peine entré dans un pays étranger,
il
fut près de mourir. Il supplia alors les pères de se retirer dans un lieu à
quelque distance, et eux lui firent plaisir choisissant un ermitage dédié à
l'archange saint Michel,[61]distant
d'environ soixante pas du couvent. Le père vicaire assigna, néanmoins, au
service du malade, un religieux maronite, prêtre, et un séculier. Le vingt-huit
septembre, s'étant tout à fait désespéré de sa vie, environ trois heures après
minuit, ils lui portèrent le Saint Viatique jusqu' à la porte de la cellule ; et
récitées les prières habituelles, ils le remirent au prêtre maronite qui le lui
administra. Il ne vit pas beaucoup après avoir reçu le Saint Sacrement,
puisqu'il passa à meilleure vie dans la matinée du vingt-neuf. Les habitants du
Liban disaient que, presque chaque huit ou neuf ans, cette Montagne était
infestée de la peste ; et l'expérience avait démontré, néanmoins, que seul en
mouraient les enfants de bas âge, et très rarement des adultes. La même chose
était arrivée cette année, un grand nombre était mort dans divers villages.
L'épidémie avait fait des ravages supérieurs à Tripoli, Barut, Saïda et dans
d'autres lieux de la Palestine. Trois pères capucins en étaient morts, un laïc
des pères de la Compagnie
de Jésus et quelques religieux franciscains.
Nos deux pères[62],
ayant purifié le couvent en brûlant des herbes et du bois de senteur, y
retournèrent. Le vingt- huit du même mois, le père Thomas était déjà parti pour
Alep. Le père Matteo
resta grandement affligé pour la perte de son compagnon. Il n’était pourtant,
comme il le dit, nullement effrayé d'un aussi funeste incident. Préparé à
n’importe quelle divine disposition, il était
tellement
heureux qu'il lui paraissait avoir retrouvé le paradis terrestre. Le père Basile
de saint François qui, en ces jours-là,
en
retournant au Carmel, passa au Mont Liban, écrit la même chose dans l'une de ses
lettres. Il manquait au missionnaire seulement un frère convers, mais le père
Celestino, avec une humilité exemplaire, bien que vicaire, suppléait,
s'employant dans les plus basses besognes
de la cuisine et autres, et, pour ne pas se
priver
d'un exercice tellement vertueux, il s'était
modestement excusé auprès du patriarche, qui avait commencé à l’amener avec lui
dans la visite de son diocèse, pour en profiter aux prêches et à l'instruction
de son troupeau. Le père Matteo, dont le père Celestino et le père Basile
écrivent de grands éloges, fut à suivre l’exemple tellement vertueux de son
supérieur ; et dans l'étude assidue de la langue arabe, il avait fait un grand
profit qu'il espérait pouvoir prêcher à la prochaine Pâques. Pour l'année
suivante, 1645, dans laquelle nous entrons dans notre narration, il y a peu de
choses à dire de l'œuvre de nos missionnaires. Réfléchissant, ceux-ci, à
l'inestimable bienfait apporté à n'importe quelle république de l'éducation
vertueuse des enfants, comparant, à l'instar de saint Jérôme, leur tendre âge à
la douceur des laines dans lesquelles la ténacité à retenir le premier coloris
est presque insurpassable, décidèrent d'instituer une école[63]
pour douze enfants en qui, avec l'enseignement des premières lettres, semer les
bonnes mœurs propres de la piété chrétienne, en leur donnant une formation
distinguée des mystères de la religion catholique. Les enfants des maronites ont
un
grand manque de maîtres spirituels, soit parce les
religieux de cette nation sont peu nombreux, alors que les prêtres sont mariés,
et fort occupés aux travaux des champs pour se procurer la nourriture et
satisfaire aux extorsions des Turcs, soit, comme nous venons de le dire, le
village qui n'avait pas de prêtre
ou de curé n'était pas unique.
Il y avait une autre occupation, plus propre à
nos religieux, que le nouveau patriarche avait l'intention de confier au père
Celestino. Alors qu’il était archevêque, il avait fondé, dans un lieu à deux
journées de distance de notre couvent, un monastère de moniales[64]
où,
dans le temps dont nous écrivons, vivaient vingt- cinq
religieuses. A celles-ci, notre père avait dit quelques sermons, en présence du
nouveau patriarche, qui désirait qu'il prenne soin d’elles, et les instruise
dans les exercices spirituels, et plus particulièrement dans le divin exercice
de l'oraison mentale, et dans toute
l'exactitude de l'observance régulière. S'avisant également de la grave
incommodité que pourrait présenter la distance de deux journées, il lui offrait
une habitation voisine du même monastère, où trois ou quatre religieux
pourraient demeurer, mais le manque de missionnaires en empêchait l'exécution ;
aussi, grandes et répétées
étaient-elles les instances du même père
Celestino, dans lesquelles il ne cessait de solliciter nos supérieurs à lui
envoyer un plus grand nombre de compagnons. De ces mêmes moniales nous
rapporterons, ailleurs, une tendre lettre dans laquelle, elles suppliaient notre
Préposé général de ne pas les priver de l'assistance et direction du même père
Celestino, recevant un grand réconfort de ses instructions et ses salutaires
orientations. La satisfaction que donnaient nos missionnaires au patriarche
n’était pas moindre, c'est pourquoi, ainsi qu'atteste le prénommé notre vicaire,
il ne voulait pas admettre dans sa Montagne d’autres religieux désireux d'y
fonder, voulant que ce soit seulement les nôtres à s'y propager. De même, par un
mouvement spontané, il avait fait arranger en forme de petit couvent, une
construction ou grotte distante d’environ deux journées de celui déjà en notre
possession et, lui ayant assigné
comme titulaire notre père saint Elie[65],
il l'offrait à notre Réforme . Il disait que c’était un lieu assez dévot et
commode, et à une demi-journée de distance de Baruti, Berrito, et plus près
d'autres terres de non moindre grandeur et
population dans lesquelles, on comptait quelques personnes de qualité de sa
nation maronite. Nos missionnaires ne manqueraient point d'occupation alors
qu'ils auraient l'opportunité de prêcher, confesser et instruire les habitants
de cette petite partie de son diocèse.[66]Nos
pères l'auraient accepté d'assez bon gré, mais le fait d'être peu nombreux les
empêchait de s'appliquer
à cette nouvelle entreprise. Cela s'avérant
ennuyeux au patriarche, il dit de nouveau au père Celestino, qu’il avait
su
que nos pères du Mont Carmel, avaient subi quelque persécution, et
qu’il voulait, par conséquent, leur écrire une
lettre pour les inviter à se réfugier dans son petit couvent de
saint Elie, vu que l'infestation des Turcs ne
leur permettrait
pas de vivre tranquilles au saint Mont Carmel[67].
En témoignage, également, de cette inclination à favoriser les missionnaires de
notre Réforme, il avait accordé à notre père Celestino les plus amples facultés
pour administrer tous les sacrements aux fidèles de toute sa juridiction,
réduisant celles-là,
beaucoup, aux autres missionnaires dans les
villes de son diocèse. Mais cette bienveillance du patriarche affligeait plutôt
que consoler le dit père, réfléchissant à une opportunité aussi bonne, et au
manque d'ouvriers pour s'en valoir. Ayant donné commencement à notre hospice à
Tripoli[68],
sa souffrance n'était pas moindre de devoir laisser le père Matteo avec le frère
convers Avertano, devant demeurer seul dans le Liban. Il mettait en exergue la
grande commodité qu'ils trouveraient pour coopérer
au salut
des âmes et s'adonner à la perfection de
leur propre salut, pouvant s'occuper dans la
divine contemplation à laquelle incitait la solitude du couvent, et à la fois
instruire la simple et pieuse population maronite, qui ne progressait pas dans
les vertus chrétiennes, vu qu’elle manquait de directeurs spirituels pour leurs
âmes. L'affliction du père Celestino n'était pas tellement grande pour
l'effrayer et le retenir de promouvoir cette mission par l'établissement et la
construction
de son couvent. La charité du supérieur des
missionnaires de la Compagnie de Jésus coopéra grandement à son dessein. Je fais
volontiers mention[69]
de cela, pour laisser un témoignage éternel des nombreuses obligations de notre
Réforme envers ce célèbre Ordre. Ce supérieur, étant venu, quelques fois, à
notre couvent de saint Elisée, pour l'honorer de sa visite et, se rendant compte
du grand besoin qu'il avait d'être restauré, offrit, courtoisement, à notre père
Celestino, un de ses frères convers bien habile dans l'art de menuisier, et
notre missionnaire l'accepta de grand cœur. Il y travailla l'espace d'un mois et
demi, aussi, notre vicaire paya-t-il
seulement les découpeurs des arbres déjà
accordés sur le territoire du couvent,
sans aucune dépense, et les scieurs des poutres
et planches ; avec une aide aussi brillante et avantageuse, il arrangea le
couvent de façon à pouvoir y faire habiter, aisément, cinq religieux, ayant
chacun sa propre cellule, sans souffrir d'aucun inconfort en toute saison de
l'année. A celles-ci avaient été ajoutés les ateliers propres à chaque couvent.
Le dessein et le travail parurent tellement bien disposés, arrangés et nets que,
à les voir, les maronites ne furent pas peu admiratifs et édifiés,
affectionnant, parfois, plutôt une pauvreté propre à une magnificence
somptueuse, car dans cette dernière, brille la richesse, alors que dans l'autre,
l'art qui fait rayonner ce qui est pauvre ; et en cela, comme dans son propre
accouchement, l'âme y trouve plus de joie. Il lui restait, seulement,
d'accommoder la terrasse ou loge couverte, en haut, et blanchir les murailles de
l'église et du couvent, attendant de Rome le subside annuel pour l'exécuter. Il
faisait des instances dans ce but et pareillement pour un grand tableau dans
lequel soit représentée l'Assomption de Notre-Dame[70]
au ciel, et demandé par le patriarche pour être exposé au-dessus de l'autel
majeur de son église de Canobin. Pour y satisfaire, il y appliquait douze écus
du subside à envoyer à son couvent, étant toujours riche, celui qui se confie en
la Divine Providence.
Ce qui se présente à mon esprit à l'entrée de cette
nouvelle année, 1648, n'appartient pas à la résidence du Mont Liban, mais à l'un
de ses éminents missionnaires, et c'est le père Celestino. Ce religieux dont,
j'ai à plusieurs reprises, fait l'éloge par des louanges inégales à son mérite,
non seulement pour ses œuvres fatigantes, son inlassable étude des langues
orientales, ses vertus
exemplaires, sa prédication et ses
enseignements salutaires, mais aussi, en coopérant
par sa plume au salut des âmes sans jamais
accuser la fatigue. Durant l'année dont nous écrivons, il s'était donné du mal à
quelques traductions de livres, pour ajouter un nouveau lustre à la religion
catholique et servir à fomenter la piété dans les nations orientales où, chez
les unes, elle était déjà ternie, alors que chez d'autres, elle était encombrée.
En premier, ayant eu entre les mains un livret de notre père Isidoro de saint
Joseph, Définiteur et Procureur général qui était intitulé « Sermo
Historicus S. Gregorii Decapolitei » ; lui, pour le rendre intelligible aux
maronites et autres qui parlent l'arabe, il le traduisit en cette langue, et
dédia la traduction au
même père Procureur général. Il traduisit,
également, en langue arabe, le très dévot et jamais assez estimé livre de Thomas
de Kempis, « Imitation du Christ », convaincu que sa lecture produirait chez les
maronites et autres, les mêmes sentiments
de piété
qui sont expérimentés, à sa lecture, par les
européens. L'abrégé de la vie de
notre Mère
Sainte
Thérèse, lequel fut mis en lumière par notre vénérable père Jean de Jésus-Marie,
en une très élégante
langue latine, et dédié au Pape
Paul V qui l'éleva au rang des Vierges
Bienheureuses. Avec cela, cet éminent fils voulut propager la notice des actions
héroïques et miraculeuses de sa sainte Mère parmi les nations orientales.
Quelques discours sur les Evangiles de l'année,
avec d'autres traités de dévotion, et quelques oraisons vocales. Les principales
controverses avec les schismatiques et hérétiques orientaux, c’est-à-dire,
Grecs, Arméniens, Jacobites et Nestoriens. Il traduisit le Coran, de l'arabe en
langue latine, beaucoup de proverbes et sentences glanés parmi les principaux
auteurs arabes. Il se fatiguait, pareillement,
à mener à sa fin, un traité assez grand et valable des principales vertus au
titre : « Pratum solitarii et consolatio anachoretae ». Cet ouvrage avait
été composé, en une langue arabe très élégante,
environ cinq cent cinquante années auparavant,
par un certain moine égyptien ;
mais le manque de temps, pris par les graves
occupations de sa charge, et les livres utiles à son dessein, ne lui avaient pas
laissé l'espace de le finir. Dans la poitrine de ce religieux tout à Dieu,
brûlait, sans doute, le zèle de propager la religion et la piété chrétienne,
mais il gémissait de se retrouver seul au Liban, puisque le père Matteo et le
frère convers Avertano, selon les dispositions de notre Définitoire Général,
étaient tenus à rester à Tripoli, ainsi qu'il a été dit ailleurs. Pour cette
raison il était presque déterminé à abandonner cette résidence jusqu'à ce qu'on
lui ait envoyé d'autres religieux, mais le Seigneur voulut le consoler d'une
façon inattendue. Sur la fin de l'année écoulée, aborda dans le port de Tripoli
un vaisseau flamand, dont la majeure partie des navigants étaient catholiques.
Pour cela, il fut appelé du Liban, pour en écouter plusieurs en confession.
Parmi ceux-ci, se confessa à lui, un jeune de vingt-trois ans né à Anvers et,
étant resté privé de père et mère, il avait été admis dans une maison pour
orphelins. L'éducation vertueuse lui avait hautement imprimé dans l'âme la piété
chrétienne qu'il manifestait dans ses pieux sentiments, et durant les nombreuses
années qu'il y avait demeuré, il avait appris le métier de boulanger. Transporté
à un âge plus adulte en Italie, sur des vaisseaux flamands, avec l'intention de
gagner sa nourriture par le pénible travail de ses mains, le susnommé vaisseau
l'avait amené à Tripoli. Là – bas, ouvrant sa conscience à notre missionnaire,
il lui révéla qu’il avait été attiédi par la navigation
sur mer, et qu’il avait eu la nausée du monde.
Il se sentait appelé du Seigneur à une vie religieuse et solitaire dans
quelqu’une des montagnes du levant. Notre père, satisfait de sa bonne nature et
de ses qualités, lui fit savoir qu'il vivait au Mont Liban, et qu’il serait
réconforté en ayant quelqu'un pour le servir dans les besognes domestiques. Le
jeune homme s'offrit, très volontiers, à l'exécuter, ce qui l'encouragea à s'en
valoir ; il l'amena avec lui à notre résidence.
Là -bas, il le garda, pendant deux mois et
demi, en habit séculier, voulant éprouver la solidité de sa vocation, et
observer son comportement. Resté pleinement satisfait, il le revêtit de notre
habit, mais plus court et sans le grand scapulaire. Il lui imposa le nom d’André
de saint Elisée, celui-là, en égard au titulaire du couvent, et celui-ci, pour
lui avoir donné l'habit, le jour de saint André, carme et évêque de Fiesole,
ville de la Toscane. Il se révéla que ce jeune homme lui fut donné de la main de
Dieu, et à majeure consolation de son serviteur affligé, puisque à l'expérience,
il se montra vertueux et habile à toutes les besognes du couvent, qu'il écrit en
être tellement content, qu'il ne l'aurait jamais changé avec aucun autre. Il
désirait, cependant, que son action soit
proposée au Définitoire Général, et qu’il en
soit confirmée de façon, que le temps déjà écoulé, soit décompté de son
noviciat ; et en le poursuivant, qu'il s'apprête à être reçu définitivement dans
notre Réforme. Ceci, pour le moins, de la même façon que le même Définitoire
avait concédé au frère Elie de la très Sainte Vierge du Mont Carmel de
nationalité arabe, et demeuré pendant de longues années dans la même sainte
Montagne, pour en avoir fait instance le père Prospero dello Spirito Santo.
L'épreuve, d'ailleurs, de ce jeune homme l'encourageait
à
le supplier, quand il le jugerait convenable, de proposer au Définitoire Général
que, de la même façon, puisse donner l'habit à d'autres, pour la simple raison,
que les jeunes de ces pays se montraient capables, de plus grande satisfaction.
Il lui signifiait désirer procurer au nouveau
patriarche Joseph, quelque lettre de recommandation du Cardinal Capponi,
protecteur du Collège des maronites, ou bien de monseigneur Francesco Angeli,
secrétaire de la Congrégation de Propagande : étant donné qu'il avait limité,
avec quelque excès, les facultés des missionnaires, on lui avait écrit quelques
lettres humiliantes à son égard[71] ;
ainsi, maintenant qu'il lui en avait accordé d'aussi amples, qu'il lui en soit
exprimé l'agrément.
En dernier lieu, il le suppliait de lui procurer, le renouvellement des facultés et privilèges que le Saint Siège a l'habitude d'accorder aux missionnaires, désirant qu'ils soient des plus amples, pour coopérer, plus aisément, au salut des âmes , et les considérer des plus opportunes pour des pays aussi lointains. Parmi les mêmes privilèges, il désirait qu'il lui soit accordé la faculté de célébrer, quelques fois, la messe en langue chaldéenne ou syriaque, conformément au missel de cette langue, imprimé à Rome l'année 1594, selon le rite de l'Eglise de la nation maronite, et cela pour deux raisons: la première pour l’avoir jugé profitable à un meilleur fruit pour cette mission, vu qu'il servirait à acquérir la bienveillance de la même nation, se complaisant, quoiqu'il en soit, à voir appréciés les usages de son propre pays. La seconde raison était la facilité de célébrer la sainte messe, lui étant arrivée l'occasion de la laisser tomber, pour manque de celui qui sache servir celle célébrée en langue et rite latin, ou mieux pour n'avoir entre les mains, un autre missel que le chaldéen. Cette même faculté avait été demandée en l'année 1624, de la part de nos missionnaires de Perse, désireux de la célébrer en langue arabe. La sacrée Congrégation de Propagande l'avait concédée par son décret, signé le sept avril, de la même année ; et Urbain VIII l'avait approuvée à condition de retenir le rite latin, et en un missel romain, traduit littéralement en langue arabe et approuvée par Rome ; et finalement il est prescrit qu'elle soit, pour une seule fois, le jour où elle est célébrée. La requête de père Celestino était plus ample, voulant qu'il lui soit accordé, de la célébrer en rite et missel chaldéen, aussi douta-t-il fort qu'elle lui soit concédée. Le Saint Siège a toujours procédé avec beaucoup de précaution, en accordant de telles facultés, en vue de conserver la vénération due aux rites de l'Eglise Romaine, tête de toutes les autres églises du monde. Pour mettre en relief la grande confiance des maronites dans les religieux de notre Réforme, il serait à propos de rapporter l'événement suivant. Etant mort à Rome monseigneur Sergio Risio, archevêque de Damas, dans un écrit de sa main, il avait, sous forme de légat, laissé au monastère de saint Antoine dans la vallée de kazheia, la rente du loyer de l'une de ses maisons. Le père Simon, religieux maronite, était supérieur et archiprêtre de ce monastère. Et comme, durant les sept ou huit années écoulées depuis la mort du prélat susnommé, il n'avait pas reçu d'argent, et il en avait besoin pour la fabrique et l'entretien de son monastère, celui-ci par un mandat de procure, constitua notre père Isidoro de saint Joseph comme percepteur de ladite rente, et le suppliait de remettre l'argent perçu au père Celestino qui aurait la charge de le lui envoyer. Ledit mandat, soit l'original en langue arabe, soit la traduction en langue latine, est conservé dans nos archives, et il est sigillé et signé par cet archiprêtre le dix juin 1648, il n'est pas nécessaire de l'enregistrer étant de la commune et propre teneur de tels écrits. Jouissant de cette bienveillance de la nation maronite, le père Celestino n'en était pas, tellement, alléché qu'il ne lui passa par la tête, l'idée d'abandonner le Liban, pour aller missionnaire en Hollande et s'y donner à la conversion des hérétiques. Cette pensée lui avait été suggérée et démontrée recommandable par l'affection naturelle envers ce pays de sa naissance, où il avait des parents et un frère infecté d'hérésie. Il signifia sa pensée à notre père Isidoro de saint Joseph, Procureur général en ce temps-là. Mais la pensée fut réprouvée par ce dernier, qui lui écrivit de laisser tomber comme tentation de blâmable inconstance. Le très humble père répondit : « Alors que vous l'estimez avoir été une grande tentation, et jugez d'être à majeure gloire de Dieu de m'adonner à continuer la mission du Mont Liban, je resterai ici, content et tranquille, me remettant totalement à votre avis et jugement. Il est de la sagesse de se soumettre, humblement, au sentiment d'autrui, alors que la fumée de l'orgueil obscurcit les lumières de la vraie science.
Photo: Ermitage Saint Michel en restauration
En ce temps–là,[72]
les maronites du Mont Liban jouissaient d'une tranquillité majeure. Ceux qui,
nombreux, sous les extorsions des ministres de la Porte Ottomane, avaient quitté
la Montagne, étaient retournés y habiter. Ceci pour s'être protégés contre les
violences tyranniques de ces barbares, en chargeant une personne de la nation
maronite, d’exiger les impôts à
payer, chaque année, au Trésor du Grand
Seigneur.
Mais une grande turbulence
avait
surgi
à Tripoli et dans d'autres cités de l'empire ottoman.
Le jour où le père Celestino quitta la ville susnommée, pour remonter à son
couvent, sur ordre venu de Constantinople, et disait-on, envoyé au nom du Grand
Seigneur ou son Vizir, tous les européens chrétiens et les religieux avaient été
incarcérés à la forteresse, la chaine au cou. A Alep, cependant, il avait été
exécuté, seulement, contre les marchands de la Seigneurie de Venise. Ceci, parce
que cet ordre était attribué à quelque coup reçu par l'armée navale turque, de
celle des Vénitiens. Mésaventure laquelle, à ce que rapportaient les échos,
avait coûté la vie au susnommé premier Vizir et autres grands de Constantinople.
Sur ce qui est arrivé dans ces batailles navales, à ce qu'on croit, on peut lire
Girolamo Busoni, dans son second volume des Histoires Universelles de l'Europe,
durant les années 1047 et suivantes, vers lesquelles j'oriente celui qui est
désireux d'en savoir plus. Mais à Tripoli, peu après, les prisonniers furent
libérés et leurs
biens restitués ; cependant,
sur
ordre du Grand Turc, ils ne pouvaient quitter la ville sans son autorisation ;
aussi, vivaient-ils toujours sous menace de mauvais traitements ultérieurs.
S’étant soustrait au dit barbare outrage, en rentrant
au Liban, le père Celestino était tout engagé à promouvoir le profit spirituel
de la nation maronite. Pour le réaliser, il projeta d’instituer une école, ou
plutôt, un séminaire pour jeunes maronites, à fin qu'ils fussent instruits dans
la piété, et les sciences. Lui ayant donné principe, il reconnut ne pas pouvoir
continuer, si on ne lui envoyait pas, de Rome, un subside
convenable, dont était prévue quelque
espérance. Il écrivit des lettres, soit à la Sacrée Congrégation de Propagande,
soit à nos supérieurs, pour leur suggérer les manières propres à donner
réalisation à ce louable projet. D’abord, il disait qu’il avait reçu la nouvelle
qu'Urbain VIII avait affecté une certaine rente pour l'érection d'un séminaire
au Mont Liban, où serait instruite la jeunesse maronite, de onze
à
dix-huit ans, et que l'entreprise devait commencer par l'envoi de quelques
subsides. Mais parce que, ceux à qui, ils avaient été envoyés, les avaient, en
grande partie, détournés à leur propre profit, ils furent, pour quelques années,
appliqués au collège
maronite
de Ravenne, à ce qu'on lui avait rapporté. Le
temps fixé à ladite application, étant expiré, il ajoutait qu’il était facile
d'assigner la même rente à son séminaire désigné. Pour éviter, cependant, un tel
inconvénient, lesdits subsides devaient être envoyés,
en
grand secret, de manière qu’ils ne soient connus de n'importe quel maronite,
fût-il un prélat. Il était d’avis qu'ils soient envoyés à nos missionnaires,
étant donné que les dits
jeunes gens se retrouvaient pour l'enseignement
dans notre couvent de saint Elisée. Il continuait à suggérer les voies par
lesquelles ils pouvaient être envoyés en toute sécurité ; et il disait que, de
par son expérience du pays, il jugeait que trois cents écus annuels seraient
suffisants pour vingt jeunes gens, leur maître maronite et les servants
nécessaires. Cependant, il faudrait cinquante écus en plus, devant, en la
première année, se munir de quelques ustensiles nécessaires. Il envoyait,
également, une liste des livres nécessaires pour la susnommée instruction des
jeunes ; il n'est pas nécessaire de l'enregistrer. Il concluait en déclarant
que, quelques prélats maronites lui avaient dit, que la Sacrée Congrégation ne
voulait pas assigner un nouveau subside particulier au séminaire en question. Il
jugeait pouvoir être retiré des rentes assignés aux collèges maronites de Rome
et Ravenne, vu qu'il se refléterait en leur faveur, puisqu'ils seraient pourvus
de bons sujets. La charité est industrieuse, non parce qu'elle connait, mais
parce qu'elle est flamme, qui sert
à la raison comme un flambeau dans sa recherche
de ses ingénieuses découvertes. Mais avant d'en rapporter, en son propre lieu,
un récit distinct, on doit dire, d'abord, qu’il n’a pas été
accompli,
pour être passé à meilleure vie, en cette année 1649, le vénérable patriarche
Joseph. Il lui succéda au siège patriarcal, Yohanna,[73]
qui, quant à l'affection envers nos missionnaires
suivit le penchant de son prédécesseur. Pour le
démontrer, il fit plusieurs fois instance au père Celestino d’aller à Rome, en
tant que son légat auprès du Souverain Pontife, Innocent X, pour lui exprimer en
son propre nom, sa déférente soumission et lui implorer la confirmation dans sa
dignité et le pallium, envoyé habituellement par le
Saint Siège. Mais le père ayant exprimé
sa gratitude pour l'honneur signifié
dans ce choix, le supplia humblement de l'en dispenser vu qu'il ne pouvait
abandonner la mission n'ayant qu'un seul compagnon, le père Gio Chrysostome qui
n'avait pas la pratique de la langue arabe, étant donné que le père Matteo,
comme il sera dit en son lieu, avait été envoyé par les supérieurs à Bassora en
Arabie. Cet empêchement résulta, immensément, fâcheux au père Celestino même,
puisque, comme il le dit lui-même, il serait allé de très bon gré à cause de
l'ardent désir qu'il nourrissait de représenter à nos supérieurs l'état de cette
mission et de les enflammer à la promouvoir. Mais, cédant à l'inespérable
difficulté, il substitua à sa place le père Gio Chrysostome, qui y alla avec une
lettre du patriarche en compagnie de son agent. A ce départ, il se retrouva, à
nouveau, seul et, peu de temps après, il partit visiter le monastère que nous
entreprenons à traiter.
A commencer par le site, son ancien nom était le
Désert de saint Jean Baptiste ; à cela ne parait point correspondre la
délicieuse montagne dont il fait partie. Il est loin de notre couvent de saint
Elisée l’espace d’environ deux journées, et de Baruti ô Berrito une demi-journée
seulement. Il y avait là, déjà, un couvent de moines maronites qui professent
les règles de l’Abbé saint Antoine, et le patriarche susnommé (Joseph Akoury) y
avait fondé, à la distance d’un tir d’arquebuse, un monastère de moniales du
même institut. L’église qu’il y avait construite était d’une grande beauté, mais
en ce temps-là, le patriarche son fondateur étant mort, la construction du
monastère n’avait pas été menée à sa fin. Les moniales étaient au nombre de
vingt-cinq
quand notre missionnaire y alla. Il ne nous
donne aucune notice de leurs observances particulières, disant seulement
qu’elles récitaient, dans le chœur, l’office divin en langue syriaque et arabe,
avec cependant, beaucoup de décence, les maronites étant très attachés à la
psalmodie. Dans le spirituel, elles suivaient la direction des moines susnommés
qui leur célébraient les messes et leur administraient le sacrement de
pénitence. Pour la subsistance temporelle, soit du couvent des religieux, soit
du monastère des moniales, servait une rente commune qu’ils retiraient des
nombreux arbres de mûrier blanc plantés autour de toutes les deux
maisons, en vendant les feuilles et, par
hasard, en s’en servant à nourrir les vers à soie à laquelle on travaille
abondamment et qui est d’excellente finesse. Ces plantes ont une production
supérieure à celle des nôtres en Italie, car on en recueille les feuilles deux
fois l’année ; à la première, elles servent
à la nutrition des susdits vers, la seconde
pour celle des animaux. Pour qu’elles vivent plus longtemps, durant les
précédentes cueillettes des feuilles, il est bon de les tailler, en laissant,
seulement, quelques branches des plus vieilles sur le tronc nu ; et sans cette
manière de culture, elles périssent plus tôt, et elles ne sont pas aussi
fertiles. Ces susdits couvents possèdent aussi quelques propriétés, et les
moines ont la charge de les faire cultiver et d’en recueillir les fruits. Il y a
bien longtemps, notre père Celestino avait été invité, à ce lieu, par le défunt
patriarche Joseph, comme il avait reçu de la mère abbesse, de non moindres
obligeantes requêtes, désirant tous les deux une direction particulière dans
l’exercice de l’oraison mentale, et une instruction dans l’exactitude de
l’observance régulière. Dans les débuts de la fondation, qui requièrent une
assistance particulière pour la disposition de tout le nécessaire et
l’arrangement de la construction, le fait d’avoir été seul la plupart du temps,
ne lui avait pas permis d’y aller, bien que sollicité, longtemps, par les
chaleureuses lettres de l’abbesse qui le suppliait de les réconforter, elle et
ses religieuses. Ne lui manquant pas l’autorisation du patriarche nouvellement
élu, Yohanna, il décida de les satisfaire avec l’intention de s’y attarder pour
quelques semaines. Il partit entre- temps de Tripoli, le 14 janvier, et ayant
atteint la susdite montagne, les moines maronites l’accueillirent avec des
expressions de grande satisfaction ; mais la jubilation de la mère abbesse et de
ses religieuses fut, autant qu’on puisse imaginer, majeure. Il s’appliqua,
immédiatement, à les réconforter, en écoutant leurs confessions et en examinant,
en particulier, l’esprit de chacune d’elles. Chaque jour, presque, il leur
disait une exhortation spirituelle, les animant au service de notre Seigneur, et
les enflammant dans l’exactitude de l’observance régulière. Il leur prescrivit
des méthodes propres à les favoriser dans l’oraison mentale et il
introduisit un mode de vie bien conforme à
celui de nos carmélites déchaussées ; aussi les renouvela-t-il, toutes, dans
l’esprit. Il se consola, lui, surtout, en réfléchissant à ce que Jésus Christ
possédait, au milieu des sordidités mahométanes, un chœur d’âmes aussi pieuses
et vertueuses, fiancées à lui par
amour. Cependant, ce travail ne l’empêcha pas
de s’adonner au profit de son âme, en consacrant de nombreuses heures à la
prière et en jouissant de la quiétude de cette solitude et retraite dans le
couvent des moines. Il eut dans ses intentions
d’y rester pour longtemps, au cas où les
supérieurs le lui auraient permis ; car, non seulement il s’attellerait à
l’orientation des religieuses, mais l’opportunité d’exercer la charge de
missionnaire ne lui manquerait point, en allant dans les villages des environs
prêcher la parole de Dieu, administrer les
Sacrements, et enseigner ces pauvres gens. Il écrivit pareillement, que s’il
viendrait deux de nos religieuses, elles seraient bien profitables pour les
diriger dans l’observance, mais il ajouta que cela pouvait plutôt être désirable
que faisable, apparaissant cela, au moins en ce temps-là, tout à fait
impossible. Le père Celestino ne s’étendit pas à donner des nouvelles
particulières de l’institut de ces religieuses, remettant cela au père Brizio
capucin, qui pouvait les donner bien exactes,
et il était en partance pour Rome avec l’intention d’y éditer quelques œuvres
composées par lui en langue arabe, et il serait lui- même porteur de la lettre.
Il promit, cependant, d’en envoyer, en une autre occasion, un rapport plus
détaillé ; entre-temps, les religieuses lui faisaient des obligeantes instances
pour qu’il reste pour leur propre formation et direction spirituelle. De
celle-ci, la mère abbesse se montra hautement désireuse, et dans l’espoir de
pouvoir l’obtenir, elle écrivit, de sa propre initiative, deux lettres en langue
arabe, tracées en caractères syriaques dont elle avait l’habileté. L’une de
celle-ci était adressée à notre Préposé général, et l’autre au Procureur général
de notre Réforme, dans lesquelles, elle leur exposait son désir.
Le père Celestino les envoya toutes deux avec le dit religieux, s’excusant de ne
pas les envoyer traduites dans notre italien faute de temps. Et puisque, celle
qui est adressée à notre père Isidoro de saint Joseph, Procureur général, est
conservée dans nos archives, traduite en italien, je ne veux pas omettre de la
transcrire, contenant des sentiments d’humble tendresse avec lesquels elle
manifeste son ardent désir et celui de ses religieuses, et elle est comme suit.
‘’A la révérence du révérend père Isidoro, carme déchaussé : nous baisons la
terre et nous nous inclinons sous l’escabeau des pieds sacrés du clair soleil et
étoile du désert couronné avec la couronne de la bonté. Notre père et maître,
notre père Isidoro, religieux d’éminente distinction, dans la congrégation des
excellents religieux carmes déchaussés, frères de Notre-Dame, la très pure
Vierge Marie, révérend père, brillant dans les sciences divines, docteur en
théologie, que le Seigneur ait pitié de nous par l’intercession de ses saintes
prières et de ses bienveillantes bénédictions et intercessions. Amen.
Premièrement, l’occasion d’écrire c’est notre grand désir de baiser la terre de
vos saints pieds. En second lieu, nous remercions votre révérence pour votre
bonté et votre bienfait envers nous. Quand la nouvelle de votre sainte vie et du
zèle spirituel, avec lequel vous avez procuré notre bien, nous est parvenue, en
particulier, ô notre père Isidoro, votre courtoisie s’est bien accrue en nous
envoyant
le père Celestino qui est l’un de vos religieux, en effet nous l’avons constaté,
le révérend père
fait beaucoup de bien auprès de la nation par sa sainte vie et ses sermons et
par son zèle pareil au zèle du prophète Elie. Il ressemble à l’étoile du matin,
il brille et montre la lumière au peuple de Dieu, et il a gagné les cœurs de
beaucoup d’hommes au service de son Seigneur ; et nous, ayant entendu son nom,
nous avons envoyé le demander à notre Seigneur le patriarche afin qu’il vienne
nous prêcher et nous proclamer les règles de la religion, car notre pays est
resté ruiné par la tyrannie du mahométisme et ils ne sont plus restés, ni
religieux, ni religieuses, mais avec la bénédiction
de vos prières,
aujourd’hui,
notre religion s’est renouvelée par l’aide de
Dieu et la vôtre, pour avoir envoyé vos religieux en notre pays ;
principalement, le père Celestino qui s’est empressé de tout son pouvoir et sa
force à nous gouverner. Et de toute notre affection , nous supplions votre
paternité de lui donner l’autorisation de demeurer dans le monastère des
religieux qui est tout près de notre couvent, afin qu’il puisse nous prêcher et
enseigner la vie religieuse, car nous sommes ignorantes et nous ne savons pas
quelle est la vie sainte ; et si vous ne voulez pas le laisser demeurer seul
parmi les susdits religieux, pour le moins, envoyez-lui un compagnon qui puisse
être avec lui ; nous
leur donnerons une église au village appelé Gusta, église qui appartient à nos
parents, afin qu’ils puissent prêcher et enseigner notre pays. Car nous ne
pouvons pas expliquer à votre paternité combien nous avons besoin
d’apprendre et d’être orientées. Si nous avions
des ailes et pouvions voler, ou mieux, marcher à genoux, nous serions venues
déclarer notre statut, mais avec tout cela, il nous est impossible ; et les
lettres ne parviennent pas à dire la mélancolie que nous avons au cœur. Il est
donc nécessaire, que votre courtoisie nous envoie deux moniales qui soient
vertueuses et excellentes dans leur science afin de marcher sur la bonne route
devant nous, si vous le trouvez convenable, toute prudence comptée. Et si elles
ne viennent pas, ordonnez au père Celestino qu’il ait soin de nous, car il est
bon, il craint Dieu et il est fidèle. Ne nous méprisez pas, parce que nous avons
besoin de votre aide ; et il est dans l’habitude des enfants d’avoir recours à
la miséricorde de leurs pères. Et nous, vos servantes nous ne connaissons pas
d’autre père que vous, c’est cela que nous faisons savoir à votre paternité et
après avoir mille fois baisé vos pieds.
Ne nous
oubliez pas dans vos saintes prières et nous
vous demandons en aumône que vous priez pour nous par amour de Jésus Christ.
Vos servantes, humbles moniales du Mont Liban.
Ecrit au monastère de saint Jean, couvent des moniales ; aujourd’hui premier
février, 1650. En présence de toutes les habitantes du couvent ; elles baisent
vos pieds et demandent à votre sainteté la bénédiction et les saintes prières.’’
Le père Celestino avait apporté, par sa présence et ses salutaires enseignements, une inexplicable consolation aux religieuses du dit monastère. Le mécontentement, laissé par son départ, fut égal à leur joie, perdant toujours avec regret ce que l'on possédait avec joie. Toutefois, il apaisa quelque peu leur regret en les laissant dans l'espoir de pouvoir retourner et rester plus longtemps quand notre Préposé général le trouverait convenable ; aussi, comme il le dit lui-même dans des lettres redoublées, adressées à notre Préposé et Procureur général, il raconte avoir visité le monastère, et rapporte les instances faites par les religieuses. Retourné à sa résidence et ensuite à Tripoli, où avait déjà été établi notre hospice, il y retrouva quelques missionnaires dont l'un, le père Giovanni de la Croix, de nationalité française, était député pour le soulager. Ils étaient arrivés le premier de février de cette année et le père Celestino s'était grandement réjoui à le voir ; sa joie devint majeure en traitant avec lui, s'étant rendu compte qu'il était religieux doté de caractère calme et fort paisible, et surtout ce qu'il estimait en lui, son grand désir de profiter de la langue arabe ; aussi emporté par son penchant déchaîné, il se mit avec grande application à la lui apprendre, et l'on se rendit compte qu'il ne tarderait pas à satisfaire à sa charge de missionnaire. Avec l'argent apporté par ce religieux, il acheta une maison à Tripoli[74] pour y établir, définitivement, un hospice, dont nous parlerons en son propre lieu. Mais sa joie fut bientôt attristée, en premier lieu, par la très grave angoisse dans laquelle il se retrouva, à cause du susnommé jeune flamand à qui il avait remis l'habit d'oblat sous le nom d’André de saint Elisée. Je rapporte cela très volontiers, pour servir d'avertissement, à celui qui répugne d'obéir à la direction et aux conseils de son père spirituel. Andrea s'appliquait à l'oraison, avec une ferveur indiscrète ; et voulant, durant le carême, jeûner avec une rigueur exorbitante, il commença à accuser une faiblesse de tête. Le père Celestino l’avertit d'une manière très charitable, selon l'enseignement de notre Mère sainte Thérèse, laquelle, maitresse de l'esprit très habile, enseigne de ne pas permettre le jeûne à des telles personnes. Andrea ne fit aucun compte du conseil de notre père, disant que n'étant pas profès, il n'était pas tenu à obéir. Aussi, la faiblesse de la tête croissant, Andrea se jugea-t-il favori par Dieu de visions et d'autres sublimes et divines faveurs. Notre père s'efforça de l'en désillusionner, en lui prouvant qu’elles étaient imaginaires et illusions diaboliques, mais le visionnaire, persistant dans son sentiment opposé, finit par tomber dans une manifeste folie. Le père décida, sur le conseil du consul de Tripoli, de le renfermer dans une chambre. Le père voulut se libérer de lui, en le consignant au capitaine d'un navire en partance pour Venise, mais celui-ci ne voulut pas le recevoir, craignant justement de mettre la pagaille parmi les navigants. Ce labeur s'avérait, extrêmement, sensible à notre missionnaire ignorant comment s'y comporter, alors que, très pris par les occupations domestiques et celles de sa charge, il avait besoin plutôt de quelqu’un qui prenne soin de lui. Pour en remettre la tâche à un autre séculier, il manquait d'argent ; d'autant plus qu'il devait pourvoir de tout, le forcené Andrea, la charité ne permettant point de l'abandonner. Dans ces difficultés, il ne trouva meilleur moyen, suggéré, d’ailleurs, par le Consul, que de l'envoyer à Chypre, où il trouva la possibilité de l'embarquer pour Livorno, afin d'être, à partir de ce port, et par le moyen d'un ami flamand, confié à quelque capitaine de vaisseau hollandais, et restitué à Anvers sa patrie. De cette façon, manquant du soutien nécessaire de cet oblat, et pour des raisons urgentes, parmi lesquelles, primait le manque d'argent, ne voulant pas engager un séculier du pays, il échoua sur un autre labeur. Son unique compagnon, le père Giovanni de la Croix, très désireux de progresser dans l'étude de la langue arabe, avec une sainte intention de s'adonner aux fonctions propres au missionnaire, était navré de ne pas avoir un maître qui puisse la lui enseigner ; le père Celestino, très calé, aurait pu le faire, mais étant très occupé à satisfaire à sa charge, non seulement, de missionnaire, mais aussi de vicaire, il n'avait pas le temps de la lui apprendre, au moins, avec l'attention désirée par le père. Le vicaire fit son possible pour le satisfaire ; il lui procura un autre maître ; il lui concéda toutes les exemptions, afin d'avoir le temps d'étudier, prenant à son compte, en toute exemplaire humilité, toutes les besognes domestiques, même celles de la cuisine et autres plus humbles ; aussi avait- il, à peine, le temps de se réconcilier sacramentellement. Le père Giovanni, ne se trouvant pas satisfait, malgré tout cela, lui fit instance de l'envoyer, pour quelques mois à Alep, vu que là-bas, il l'apprendrait plus vite, avec l'assistance suivie de père Bruno, vicaire de cette résidence, et l'émulation de père Gio Pietro, engagé dans la même étude. Et l'ayant suffisamment assimilée, il retournerait immédiatement à l'aider, vu que sans l'habileté en cette langue, il lui serait un fardeau plutôt que de confort. Pour ces raisons, et parce que le père Giovanni se démontrait chagriné, il consentit à lui faire plaisir, restant dans l'affliction et la souffrance procurées par le fait d’être seul. Surtout, ayant reconnu, en la personne de père Giov, un religieux de vertu éminente et capable d'apprendre ladite langue ; il espérait, d’ailleurs, qu’il sera, certainement, un excellent missionnaire. Le Seigneur, cependant, en permettant les épreuves, veut qu'elles servent de mérite pour jouir de ses consolations internes, de loin supérieures aux sensibles. Le père Celestino confie: '' Moi, cependant, me retrouvant tout seul, après le départ de mon cher compagnon, j'ai réintégré notre mission du saint Mont Liban, où j'essaie de me dépenser en profit spirituel des âmes, bien que, par beaucoup de peine et d'angoisse ; mais, voyant que notre Seigneur me soutient d'aide particulière et de forces pour remonter mon ineptie et ma faiblesse, je me retrouve, quelques fois, débordant de consolation, content et joyeux, désireux de réaliser quelque chose de solide et de remarquable au bénéfice spirituel de cette nation maronite''. Notre missionnaire estimait trouver cet idéal dans l'érection du séminaire, où la jeunesse maronite serait éduquée dans la doctrine et dans la piété chrétienne. Il en avait présenté le projet à Rome, comme il est dit là- haut, de même il avait assigné les moyens de l'entretenir. Mais, après avoir attendu la résolution, pendant longtemps, et avec une grande anxiété, avec un égal déplaisir, durant cette année 1651, la réponse lui parvint tout à fait opposée à son dessein, paraissant entraver en grande partie la progression spirituelle de la même nation. Il poursuivait, entre-temps, à suggérer que cent écus, l'année, auraient été suffisants à l'éduction d'une dizaine de jeunes, comme ils auraient été une très mince somme, face à une grande utilité spirituelle. Il ne lui paraissait pas impossible de procurer, par une autre voie, ladite rente mais, elle devait être stable. Ceci serait une simple aumône face au grand signe qu'elle pourrait exprimer en tant qu'utilité. Il s'écriait, en dernier lieu, que si cette œuvre aussi pieuse n'était pas faite par nos missionnaires, elle serait entreprise par des missionnaires d'autres Ordres, réalisant ainsi leur désir de s'établir au Mont Liban. Le patriarche ne voulait pas les y admettre mais, par hasard, alléché par la grande utilité spirituelle de ce séminaire, il se plierait à les recevoir. Son mécontentement, cependant, fut calmé, quelque peu, par l'arrivée d'un autre missionnaire dont il espérait un grand réconfort puisque, étant natif du même Mont Liban et des environs de Eden, terre archiépiscopale, il possédait à perfection la langue arabe, instrument plus que tout autre utile pour coopérer au salut des âmes ; celui-ci était le père Lorenzo[75] qui, vêtu de notre habit à Rome, l'ornait de beaucoup de vertus. Et ayant apporté au père Celestino, non seulement le subside annuel en argent, mais aussi quelques objets sacrés pour la sacristie, il était d'autant plus animé à poursuivre l'accomplissement de sa charge. Etant devenus, avec ce nouveau missionnaire, trois prêtres, ils décidèrent d'accomplir un décret laissé par écrit par le père Domenico, visiteur général. Approuvant, celui-ci, la résidence de saint Elisée, il avait enjoint au père vicaire de s'arranger pour en fonder une autre en la terre d’Ehden, le plus grand et le plus peuplé de tous les autres villages du Mont Liban avec le titre d'archevêché. Il voulait que celle-ci fût la principale, en correspondance de ladite terre. Ceci avait été différé par le père Celestino, faute de missionnaires ; et étant survenu, en ce temps, le susnommé père Lorenzo, il escomptait l'y envoyer ayant quelques parents dans ladite terre dont il était natif. L’archevêque le connaissait également d’où il y était totalement enclin. Il manquait seulement le consentement du patriarche ; et lui ayant fait instance, il envoya l'autorisation, avec beaucoup de plaisir, accordant à nos religieux un petit et ancien couvent au nom de sainte Mura. J’estime que la martyre n'est pas une vaine conjecture ; crucifiée avec son mari saint Timothée, elle survécut suspendue sur la croix pendant cinq jours ; et le fondement de cette conjecture c'est d'avoir enduré le martyre dans la Thébaïde, solitude confinant avec la Syrie. Le site de ce petit couvent plaisait par son charme, et il est à moindre distance de Tripoli, aussi était-il plus commode que celui de saint Elisée déjà en nos mains ; les missionnaires pouvaient, d’ailleurs, rendre service aux maronites quand ils descendaient pour rester quelque temps dans les plaines de ladite cité comme il en sera dit. Pour l'exécuter, la faculté ne leur manquait point, munis amplement par l'archevêque, sur tout le diocèse. Ils manquaient d'un plus grand nombre de religieux, ayant trois résidences, en comptant celle de Tripoli annexée à cette mission. Le père Celestino ne cessait point de faire des instances réitérées, faisant montre à nos supérieurs, quelle splendeur ne rendrait à notre Réforme cette mission à elle seule, dans laquelle avec la culture spirituelle de la nation maronite, on aurait rendu une grande gloire à sa Divine Majesté. Quant à la conversion des Macomettani aucune lueur d'espoir n'apparaissait qu'au cas où de nouvelles émergences changeraient l'état du très puissant empire turc.
[1]
- Il s'agit des maisons fondées par les carmes de la Réforme en Orient ;
d’abord en Perse à Ispahan, à Alep au nord de la Syrie, ensuite à Bosra
en Irak et la reprise, par le vénérable père Prospero, de la Montagne du
Carmel en Palestine
[2]
- Père Philippe de la très Sainte-Trinité
– Esprit Julien, né en 1603
ά Malaucène,
Vaucluse, France – missionnaire à Goa en Perse,
ά
Bosra en Irak et enfin Préposé General des Carmes de 1665 à 1671. (A.G.
[3]
- Vincentius Maria a Regibus, italien né
à Codogno-Milan,
missionnaire en Syrie ; il sera vicaire de notre hospice à Tripoli, de
1720
ά
1726
[4]
- Guillaume, évêque latin de Tyr. Dans son “HISTORIA RERUM”, il relate
les faits et gestes des solides montagnards maronites, “des gens moult
hardis et preux es armes maints grands secours surent faire à nos
chrétiens”. “Pour répondre aux accusations portées contre les maronites
par des annalistes qui se prévalaient d’une phrase de Guillaume de
Tyr, Ad-Douaihi, composa un
ouvrage
à
part qu’il intitula “Al Ihtijaj”. “En résumé, écrit Mgr. Pierre
Dib-(“Histoire de l’Eglise Maronite” p.52)- Guillaume de Tyr ne
connaissait la foi des maronites que par Eutyches..”
[5]
-
Chalcédoine, aujourd'hui Kadiköy, ancienne
ville d'Asie Mineure sur le Bosphore. La ville servit de siège au IV
concile œcuménique tenu sous le pontificat de Léon premier en 451. Les
pères du concile y condamnèrent le Monophysisme ne reconnaissant qu'une
seule nature dans le Christ. On ne saurait expliquer la grave méprise de
notre pieux confrère: Il a échoué dans une grave confusion. Le concile
de Chalcédoine condamna le Monophysisme alors que le Monothélisme,
attribué injustement aux maronites, n'apparut comme doctrine qu'au VII
siècle et condamné comme tel en 681 au III concile de Constantinople.
[6]
- A onze kms au sud de Jisr-el-Chougour, province d’Idleb, en Syrie du
Nord, Il y a deux villages au nom de Mourania et de marouné. Certains
annalistes en font dériver
l'appellation, maronites, alors que les historiens maronites sont
unanimes à en rattacher l'origine à
leur fondateur saint Maron
de Cyr. ‘’ Le nom
maronite s'est insensiblement transmis d'un Ermite à
un Monastère, d'un monastère à une nation qui a survécu à
l'empire romain de Constantinople et aux autres empires. ‘’{Edward
Gibbon} Notre vénérable auteur, à court d'informations à propos de ce
peuple, et doutant, peut-être, de ce que rapportent ses confrères
missionnaires, puise,
à
volonté, dans l’œuvre de
Guillaume de Tyr.
[7]
-
Cesare
Baronio. Napolitain de la congrégation de saint Fillippo Neri, est élevé
au titre de cardinal par le Pape Clément VIII. Parmi ses œuvres majeures
comme historien, sont à noter les "Annales Ecclésiastiques" (Cf.
Stephanus Addouaihi in Boutros Fahed, Liber Brevis, p.435)
[8]
- Latran-palais contigu à la basilique saint Jean à Rome. Pendant une
dizaine de siècles, il fut la résidence des Papes. Cinq conciles
œcuméniques y furent tenus entre 1123 et 1517.
[9]
- Arméniens. L'interférence entre Arméniens et maronites relevée et
qualifiée ici d'infection par les délégués pontificaux est repérée non
seulement sur le plan liturgique dans la confection du saint Chrême,
mais aussi, elle est à remarquer dans l'ancienne architecture religieuse
maronite. Quelles sont les sources et les rapports de cette interférence
si vraiment il y en a ? Peut-on reporter l'origine de cette
"contamination"
à
leur lieu d'origine, le nord de la Syrie, ou bien doit-on accuser
l'impact des Mardaïtes, venus du nord sur la population syriaque du Mont
Liban? "…Il y a une relation fort antique entre notre nation et celle
des arméniens."(cf lettre de Ad-Douaihi à Propaganda in Libro brevis
explicationis p.27) A propos des emprunts arméniens sur le plan
architecture religieuse cf.Mourani César, ocd, in ‘’Cobiath sous les
Croisés"
[10]
- Franciscains: Les deux franciscains susnommés sont le père Giovanni
Francesco da Potenza, légat pontifical auprès du peuple maronite
accompagné de son interprète, le père Francesco di Rieti. Cf. Agostino
Arce, "Maronitas y Francescanos en el LIbano.1450-1516 VII, p.251"
rapporté par le père Halim Njeim in "Franciscains et Maronites" Beyrouth
2009, page 167
[11]
- "Furache fils de Marabet": Transcription ou lecture erronée du
patriarche Chamoun Al Hadathi. (Voir note 14)
[12]
- Election du Patriarche- Le même cérémonial est rapporté au Pape Léon
X, dans une lettre du Patriarche Al Hadathi, traduite en langue latine
par le père Francesco Soriano.(cf. Ad-Douaihi- Liber Brevis, p.269)
[13]
- Monastère Notre-Dame de Cannoubine, siège patriarcal, du XV jusqu'aux
débuts du XIXe s.
[14]
- Question de Chypre. Le patriarche du moment --l'année 1514 - Chamoun
Al Hadathi, se plaint dans cette lettre adressée au Pape Léon X des
sévices du Duc de Venise à l'encontre de ses ouailles
maronites, et de la goinfrerie
de l'évêque latin de l'Ile qui venait de confisquer les biens des
Maronites á Nicosie. Le patriarche réclame l'intervention du Pape pour
avoir justice. (cf. AD-Douaihi, Liber Brevis, p.269)
[15]
- Concile du Latran : Il s’agit du cinquième concile du Latran tenu
entre 1511-1516, sous le pontificat de Léon X. Les légats du Patriarche,
(Joseph Akouri, devenu à son tour patriarche, et Elia
devenu évêque d'Ehden). Les
légats, arrivés en retard, assistèrent à la onzième session du concile
tenue en date du 19 décembre 1516.(Cf P.Halim Njeim in lib. Cit.p.2,3,
et p.166 passim.)
[16]
- Collège maronite: "En 1580 le souverain pontife Grégoire XIII fonda
à
Rome un établissement d'enseignement pour les maronites. Il lui consacra
des rentes et des maîtres pour y enseigner toutes les sciences. Il en
informa le patriarche d'alors,…Mikhail Bin Youhanna Al- Rizzi
{1567-1581} de Bkoufa,
village, actuellement, en ruines, au sud-est de Ehden- Il lui demande
d'envoyer des enfants, groupe par groupe, pour y apprendre toutes les
sciences."(Al-Aintourini, Lahed khater, Beyrouth 1983, page119. Lire
aussi Al Majmaa Al-loubnani, p. 543 et suite.)
[17]
- Cette plaine… Il s'agit de la célèbre plaine de Jdaidé- Zgharta, jadis
si" pleine d'oliviers et de mûriers", après quatre siècles environ,
elle
est toujours plantée d’arbres mais, d’oliviers seulement, le
mûrier
à
soie ayant presque disparu du sol libanais.
--ANCHERA : Les historiens zghortiotes ignorent ce vocable.
Le nom serait-il composé
de deux mots, Ain-l’koura ? Selon Simaan Al-Khazen-Histoire d’Ehden, la
ville portait le nom de Thalassar : Jardin de l’arrondissement, ou
Ain-Alkoura,-source des villages
[18]
- Ceci a dû avoir lieu, lors du passage de père Celestino en1639.
[19]
-
Mar
Sarkis, couvent actuel des pères antonins, situé sur la route qui mène à
la source homonyme.
[20]
- Le chiffre cité semble quelque peu douteux. La forêt des cèdres de
Bcharré ne semble pas avoir été bien fournie, mais le nombre de ses
arbres, bien qu'il ne soit pas identique chez les divers pèlerins, ne
paraît pas avoir été réduit à cette petite quantité.
[21]
- "… Le pape Calixte III, écrit Daniel-Rops, successeur de Nicolas V, de
son premier nom, Alonzo Borja, espagnol de naissance, était un vieil
homme, de mœurs dignes, plutôt effacé, dont les principaux titres à la
tiare furent, précisément, son grand âge…"(Daniel-Rops, Histoire de
l’Eglise, vol V, p.183)
-Victoire : Il s’agit de la victoire remportée en l’an 1457 par la
flotte que le Pontife venait de rassembler, sur la marine
turque…(Daniel-Rops, ibidem)
[22]
- La Transfiguration: Suivant une vielle tradition, les maronites de
Bcharré et sa banlieue font le pèlerinage à pieds jusqu'aux cèdres de la
montagne qui couronne la ville. Chez eux, c'est une pieuse dévotion
plutôt qu'une croyance à la Transfiguration sur les lieux. En plusieurs
endroits du Liban, les maronites font le pèlerinage jusqu'à quelque
élévation voisine, où ils auront dressé un autel ou planté une croix
pour y célébrer la fête. N'oublions pas qu'ils sont les descendants et
héritiers des phéniciens qui ont sacré les cimes du Liban
[23]
- "prince- Dans le temps évoqué par l'auteur, la Montagne maronite était
gouverné par un chef de la famille el khazen.Il portait simplement le
titre de "chaïkh", relevant d'un Emir (prince) druse, l'Emir
fakhre-eddine et sa famille. Bcharré était un gros bourg qui avait un
"premier’’. Il portait le titre de Mokaddam. D’ailleurs il n'était pas
le seul mokaddam ; la plupart
des villages avaient leur" premiers’’ leur mokaddam.
[24]
- La nouvelle, fort probablement, infondée, revient ici à un roi Bahete
qui semble ne pas avoir existé. Faut-il lire cette légende dans un autre
évènement qui rapporte le fait au sultan Barkouk qui, en1388, suite à
une défaite, finit par arriver à Bcharré où il est bien reçu par le
Moukaddam yacoub…(voir Addouaihi, liber Brevis,cit,pages392 et ss.) (et
Aintourini, cit.p.91)
[25]
- Le chemin suivi à cheval par la célèbre compagnie est l'actuelle route
provinciale qui relie Bcharré à Ehden. A un certain endroit du village
Blawza, on met pied à terre pour descendre vers la vallée. La piste est
actuellement suivie par les pèlerins qui veulent rejoindre Notre-Dame à
pieds.
[26]
- La chapelle actuelle de sainte Marina est située à une petite
distancée du monastère. Actuellement, elle fait fonction de chapelle
funéraire et tombeau des
patriarches. Le corps de la sainte a été transféré à Venise en 1113.La
chapelle funéraire conserve, à ce qu'affirme Al Aintourini
(op.cit.p.140) le bras de la sainte avec les restes des saints
patriarches.
[27]
- Abu-Nafel. C'est le célèbre Nader Abou-Nawfal, de la famille Al
khazen, gouverneur de Keserwan et, à un certain moment, du Mont Liban.
Son père était le célèbre chaïkh Abou-Nader, l'homme de confiance de
l'Emir Fakhre-Eddine et son conseiller. Au témoignage des historiens
occidentaux, Abou-Nawfal "était doué d'une intelligence supérieure et
d'une sagesse à toute épreuve. Il avait une perspicacité, hors du
commun, dans la gestion des affaires, comme s'il avait reçu sa formation
en Europe". Nommé, lui aussi Mokaddam de keserwan et assesseur aux
finances de la Montagne, il fut promu en1659 au consulat par le roi de
France Louis XIV, comme il eut ses honneurs à la cour papale
الأصول التاريخيّة. الأب بولس مسعد المجلّد 3-
1958 ص.303-436
كتاب أخبار الأعيان في جبل لبنان للشيخ طنّوس الشّدياق المجلّد 1
ص.62-63-116
Le
pape, Alexandre VII, en reconnaissance de ses travaux au service de la
religion, l'honora en 1656, lui et ses enfants d'un "collare," comme il
le gratifia de l’honneur de porter épée et ornements particuliers en or.
-Cependant nous devons observer, qu’à part les déplorables incidents de
1860, suscités par les intrigues, les druses et les maronites ont vécu
et vivent encore en paix dans des villages mixtes que l'on trouve
partout jusqu'à nos jours"
[28]
- Les druses, habitants de la partie septentrionale de la montagne, sont
qualifiés ici de "descendants des normands". L'affirmation nous paraît
manquer de fondement historique.
فرح ابراهيم عواد: لبنان في عهد المماليك-مجلّة الفصول اللبنانيّة
9/1983/ص.26-
[29]
- L'habit, de la même couleur que les nôtres : nous pensons qu’il s’agit
de l’habit du clergé européen d’une fois et non pas de l’habit des
carmes
[30]
- Ce sarcophage existe toujours. Arraché
à la caverne, il gît au bas
de la montagne, le long d'une route terreuse qui mène à Arn-Aïto. Dans
sa mission de Phénicie,
à
la page 30, Ernest Renan rapporte que Brocard- dans les Rudimenta
Novitiorum, fol. 1686, p.28, édition de M. Laurent, mentionne un grand
tombeau de douze pieds de long, situé dans une caverne, au pied de la
montagne, tombeau dit-il, que les musulmans affirment qu’il est celui de
Josué"
[31]
- Il est historiquement admis que l'ancienne Observance avait fondé
plusieurs abbayes et monastères au Liban et Syrie avant son émigration
en Europe. La mosquée actuelle d'Ibn Taïnal à Tripoli est hautement
reconnue comme "ancienne abbaye des carmes" ; ils ont eu, aussi, une
résidence, à quelques kms
de Tripoli, à la montagne, dans un lieu appelé "Bello loco",
Beaulieu,’’Ad fontes acquarum quae irriguunt tripolitanos hortos…’’
[32]
- Père Paul.. De la province de Paris, missionnaire à Alep, il fut au
Mont Liban pour apprendre la langue arabe auprès de père Celestino.
Tombé malade, il fut conduit à Tripoli. Décédé, il y fut enseveli le
14/10/1643
-Bruno du Sacré-Cœur. S'agit-il d'une erreur? Nous connaissons un seul
missionnaire sous ce nom, le père Brunone de sainte Yvonne, compagnon de
père Paul en mission à Alep. IL y mourut en odeur de sainteté. (Cf.
Nomenclature p.19 et 59).
[33]
- Les pères capucins avaient déjà fait un premier essai de séjour dans
les environs d'Ehden. "L'incommodité du site et les circonstances
n'aidant pas", ils avaient abandonné et venaient d'obtenir la concession
de saint Elisée.
[34]
- -"gouverneur de la ville.” Il s’agit du wali de Tripoli, Mouhamad
Pacha Al Arnaout, il malmenait tellement les habitants de la Montagne
qu'ils durent souvent abandonner et s'évader. {cf p.106,الخوري
يوحنا مخلوف البطريرك جرجس عميرة-زغرتا 2002)
[35]
- 'Village voisin".. La malheureuse rencontre des janissaires a dû avoir
lieu juste á la sortie de Hawka. Vu que
la nuit tombe assez tôt vers la mi-mars, et le retard causé par
les janissaires, il devait faire déjà assez tard. Surpris par la
tempête, ils durent se réfugier chez le vénérable curé de Blawza. Le
lendemain, à l’aube, ils durent ravaler la descente de la vallée par
Hadchit, chemin toujours faisable, malgré ses difficultés, plutôt que
d’aller plus en avant, pour prendre la pente de saint Georges, á
l'entrée de Bcharri.
[36]
- Le patriarche Youssef Al Akouri-{1644-1648}. Il fut un grand ami de
nos missionnaires.
[37]
- il s’agit du Liban d'alors: La Montagne, ou Mont Liban. Nous avons
signalé l'essai échoué des capucins à Ehden- père Philippe de la Trinité
a été les visiter á Ehden en 1640. Mais en 1643 ils n'y étaient plus.
[38]
- -Ce sont les Maronites: L'histoire se répète, chez eux, rien ne change
« nihil novo sub sole ». Les adultes se donnent plaisir d'apprendre aux
petits leurs gros mots.
[39]
- Les textes actuels des litanies et autres prières de dévotion á la
très Sainte Vierge, sont-ils les mêmes que
ceux qui ont été traduits par le père Celestino ?
[40]
- La même pratique persiste toujours, macération de certaines herbes ou
conservation des légumes. Le travail artisanal s'est développé en
industrie.
[41]
- L'hospitalité. L’accueil ou l'hébergement charitable du voyageur,
pèlerin, touriste ou simple passager, constituait la base sacrée de
l'hospitalité chez les maronites. Ceci constituait une surcharge pour
les maisons des moines-cf.الأب
بطرس فهد- تاريخ الرهبانية ج2/1964/ص.482
[42]
- Le père Celestino a appliqué avec précision les instructions de saint
Ignace à ses missionnaires:"… se mouler, le plus possible, aux usages du
peuple qu'ils devaient ramener à leur foi...”Cf. Daniel-Rops, Histoire
de l'Eglise.v.VI P.259.
[43]
- Mai ou mars? Le document rapporte les deux dates. Logiquement, la
concession dût être mise sur papier au mois de mai plutôt que mars pour
la simple raison qu'à la date du 11 mars1643 le père Celestino était
encore en chemin vers Tripoli. Cf. Instrumentum Donationis du vénérable
patriarche.
[44]
- Père François de Jésus: Italien de Genova, il fut le premier compagnon
de père Celestino au Mont Liban où il passa toute une année. Transféré à
Alep, il fut nommé visiteur de la Mission de Perse. Etabli à Bassra, il
y mourut en 1670.
[45]
- Hrissé- Plat de choix dans les festivités publiques maronites ; il est
toujours en usage dans les villages où l'on solennise la fête du saint
patron.
[46]
- Saviez-vous que le melon chaud est un épuratif naturel fort efficace,
ses effets sont prouvés. Le vénérable père souffrait-il d'une forte
constipation? Dans le cas contraire, ce fut un véritable prodige.
[47]
- Camp des Francs, caravansérail, Kisarya des Francs, ce devait être
d'après le texte ce que nous appelons Khan, ou auberge.- Voir
l’emplacement sur la carte de Dr. Issam Khalifé. (La carte est empruntée
à son livre « Les impôts sous les Ottomans »}.
[48]
- San Tommaso- Mis à part l'intermède franc, la ville de Tripoli a été
sous gouvernement islamique- Les maronites, habitants de la montagne
avec leurs Mokaddams, se sont peu à peu approchés de la cité sous la
poussée des nécessités climatiques, des échanges commerciaux, et du
calme offert par les circonstances politiques. Etablis sur les
bas-plateaux dominant la ville, ils s'en approchaient ou bien ils se
retiraient dans leurs refuges montagnards, selon les vents contraires ou
favorables. Ils avaient leurs lieux de culte et leurs cimetières dans
les parages. Des restes antiques en témoignent jusqu'à présent. Mais de
saint Thomas ? Le père Celestino, dans sa « Relatio latina »,
manuscrite, écrit à la page 64 "Eademque die, hora circiter quarta
pomeridiana… corpus defuncti (patris pauli) in ecclesia maronitarum
vetusta divo Thomae apostolo dedicata quae unico fere miliari distat a
civitate Tripoli sepultum fuit…." A un
mille,
à moins de deux kms
de l'ancienne Tripoli, nous n'avons trouvé, après toute recherche, ni
église, ni cimetière, sous ce vocable. Le père Celestino est pourtant
très précis: un milliare romain-(1481.5). Il n’indique pas la direction…
Cette église maronite serait-elle le cimetière maronite actuel situé à
l’entrée d’Abou-Samra, à quelques pas au sud-est du château-fort ? Ce
cimetière est actuellement sous le patronage de saint Jean. La distance
entre l’emplacement présumé du Camp des Francs et le cimetière
correspond, à peu près, au mille indiqué, si l’on suit la route actuelle
par Talaat Al-Rifaiyé
[49]
- "Bonne entente": Cette entente entre druses et maronites est " bonne"
comme elle l'a été dès les débuts de leur cohabitation, sauf à des rares
occasions. Les rapports se sont parfois dégradés entre les deux
communautés, les troubles étant le plus souvent, fomentés par
l'ingérence d'un tiers. De penchant féroce", ils sont vindicatifs et
très solidaires. Ils perdent tout sens d'humanité quand ils se sentent
lésés. Se rappeler les massacres de 1860 et dernièrement la "guerre de
la montagne’’ en 1976.
[50]
- Souvent c’était des extorsions
en plus des impôts réguliers ; certaines mosquées percevaient une
partie de leur revenu, comme taxes sur les monastères. (cf. Boutros
Fahed op.cit. p.482- et p. Boulos Masaad.op.cit.p.121. Dr Issam Khalife,
les impôts ottomans au XVI siecle.
[51]
-
[52]
- Le couvent est niché dans un massif rocheux au pied de l'escarpement
nord de la vallée. Protégé des vents rigoureux de l’hiver, par une
couronne de hauts sommets, il est à peine caressé par le souffle modéré
de l'ouest qui remonte de la mer en se faufilant à travers un dédale
souvent interrompu de vallons. Sa façade donne sur le midi, aussi, le
soleil quand il y en a, balaie-t-il, jusqu’à présent, de sa chaleur,
l'intérieur des cellules de la
construction.
[53]
Amurât IV- Murad IV, sultan Ottoman de 1623 à 1640, sanguinaire et
impitoyable ; c'est lui qui ordonna la décapitation de l'Emir
du Liban, Fakhre-Eddin
[54]
- Moine byzantin, adversaire du nestorianisme, il fut condamné au
concile de Chalcédoine (451).
[55]
- Cette toile si précieuse existe-t-elle toujours, ou bien elle est
fourrée dans quelque grange, si jamais elle a échappé à la destruction.
Le père Ayoub yaacoub, il y a deux ou trois ans, a retrouvé une toile
abandonnée dans la grange de notre couvent à Bcharre. Il l’a restaurée
et remise en notre église de Saint Joseph. La toile est imposante.
Est-elle celle d’une fois ? Les experts pourront nous informer à propos
de son Age.
[56]
- Sépulture de Chasteuil :
Les dépouilles de l'ermite furent, d'abord, déposées dans la caverne
dite "Tombeau des évêques", évidée dans le mur occidental, à gauche du
visiteur (voir le texte). ‘’Au neuvième jour son corps est retiré et
replacé dans un lieu séparé ‘’, ajoute le texte mais il ne précise pas
les coordonnées. Le laissa-t-on
á l'intérieur de l'église ou bien fut-il déposé ailleurs. Le
bâtiment actuel a été remanié. La chapelle actuelle, n'est pas celle
d'une fois. La restauration est de bonne facture, mais l'archéologie en
est loin. Le premier couvent, celui où descendit père Celestino,
mesurait soixante palmes de façade donc treize mètres, à peine, de
longueur sur une largeur variable. Or, la construction actuelle est de
beaucoup plus longue, ceci est explicable par un remaniement postérieur.
De l'extérieur, la construction ajoutée est décelable malgré la récente
réfection. “Malheureusement, écrit le père Léon de saint-Joachin, carme
belge, au début du XX siècle, les moines maronites qui possèdent
maintenant l'ermitage, ont bâti, devant les ouvertures du rocher, une
muraille qui en cache le pittoresque".( Mission des carmes, année
1908-1909. P.172).
[57]
- La source:-Les sources sont assez nombreuses dans les environs
d'Ehden, aucune coordonnée n'en signale la localisation.
[58]
- D’après père Allard, {Cf. Missions des Carmes, p. 179}
Père Amieu était supérieur de la
mission jésuite en Syrie.
[59]
-
Le
patriarche du temps, Joseph Al Akouri(1644-1648).
[60]
- Effectivement, la toile, peinture de saint Joseph a été faite. Elle se
trouve, actuellement, dans l'église du couvent saint Jean de Hrache.
(Voir photo)
[61]
- Ermitage saint Michel : Ermitage ou maison? Il se peut qu’il fût les
deux à la fois… Pour nos pères, il est ermitage saint Michel. Pour
d'autres il est maison
familiale…Si le nom actuel correspond à l'ermitage d'une fois qui est en
ruines, la distance entre le couvent et l'ermitage correspond- ligne
d'air- plus ou moins, au chiffre rapporté
.Toujours est-il que
l'ermitage-maison est en chantier de restauration
[62]
- Nos deux pères: il s'agit de Celestino et Matteo-..Thomas,
entre-temps, nommé
vicaire d’Alep a quitté le 28 septembre. (Voir texte p.89)
[63]
- "une école…" Celestino avait une profonde compréhension de l'état de
la société maronite de son temps. Il n'était pas le premier à y penser.
Nos pères en avaient ouvert une, à Alep. D’autres l'avaient devancé au
Liban même.
(Cf. Al-Aïntourini, op.cit. p119). Le père Celestino paya de son temps,
de son argent et de sa plume pour la réalisation du projet. Silence des
autorités dans l’immédiat. Ce n’est qu’à partir du XVIII siècle que les
carmes se sont attelés à l'ouvrage. Nous étions en retard…
[64]
- Monastère de saint Jean Baptiste-Hrache fondé par sa béatitude le
patriarche Al Akouri. Une fois, les moniales menaient une vie
de cloître, aussi, à l'instar des religieuses carmélites, le
patriarche voulait qu’elles soient dirigées spirituellement par le Père
Celestino. Il aura l'occasion de les orienter pour un laps de temps.
[65]
- Mar Elias-Ghosta. Un petit couvent avec chapelle et propriété. Il en
sera question plus tard,
mais faute de personnel, en ce moment, la mission s'est confirmée dans
le nord du pays.
[66]
- "Une petite partie du diocèse. Effectivement, vers la moitié du 17e
siècle, les maronites se trouvaient en majorité dans la Montagne au nord
du pays, et dans le jord de Batroun et Jbeil. kesrwan commençait
á être repeuplé de maronites sous le gouvernement des khazen. Aussi, le
siège patriarcal s'était-il transféré à Cannoubine sous la protection
des Mokaddams de Joubbé.
[67]
-
Le
Carmel et l'Emir Torbay: La situation n'était pas de toute tranquillité.
(Cf. P. Prospero de lo
Espirito Santo, Relaciones y cartas in Monumenta
Historica Carmeli Teresiani N23, Roma 2006.
[68]
-
Au
début de leur habitation à Tripoli les pères furent hébergés par un
marchand vénitien dans son propre domicile. (Voir le texte plus loin…)
[69]
- "Je fais volontiers mention…obligations de notre réforme envers ce
célèbre ordre". (Voir le texte).
Les
relations entre les jésuites et les carmes ont, toujours, été
fraternelles. En plus de leur apport dans la réfection de saint Elisée
rappelons notre cohabitation à Tripoli. Ce fut
un frère laïc jésuite qui traça
les plans de notre église à Kobayath, écroulée en 1914-(lire le
manuscrit de P.Pietro)
[70]
- Quadro dell’Assunta-Celestino y revient dans une lettre du
2/mars/1648 :’’ Sa longueur doit être d’environ huit palmes ou bien 6
fois et demi la longueur de ce papier,6 palmes conformes aux palmes de
nos fabriques, ou bien 5 fois la longueur de ce papier…M. le patriarche
ayant renouvelé sa demande de ladite toile, je supplie V. R. de ne pas
oublier. Faites-la peindre avec les Apôtres tout autour.(Lettre du3 juin
1648…Il n’est besoin de faire le cadre, car le maître qui fabriquera
l’autel majeur, fera de même le cadre…’’(Lettre du 9 juillet 1648) ‘’ Au
moyen d’un vaisseau français qui a abordé à Malte,
ά
différentes dates, deux lettres de V.R. La première du 24 juillet…
Ensemble avec la toile de L’ASSOMPTION…Les 500 messes pour ladite toile
je finirai de les célébrer toutes…(Lettre du 8 février 1650)……….
Effectivement, elle a été peinte. Envoyée à Tripoli, elle a été
remise au père Celestino qui, à son tour, l'a confiée au patriarcat.
(Lire le texte)… Où se trouve-t-elle actuellement ? Nous avons entendu
dire qu’elle se trouve, aussi, à saint Jean-Hrache
[71]
- En 1649, moyennant l'entente entre le royaume de France et l'empire
ottoman, Louis XIV renouvela la protection française aux maronites,
patriarche, évêques et peuple, le 28 avril 1649. (Youssef al Dibs, V.II,
Beyrouth 1903, p.305).Cette protection avait été accordée, une première
fois, dans une charte du saint roi, Louis IX
lors de son passage à saint Jean
d'Acre, en 1250.
[72]
- En 1650, le wali de Tripoli, Omar pacha confia le gouvernement du pays
de Batroun, à l'Emir Melhem ben Maan. Celui-ci confia la gestion de la
Montagne à chaïkh Abou-Nawfal Al khazen. Il y rétablit la paix et la
prospérité, au dire des Jésuites (cf. Boulos Masaad p.316الأصول
التاريخية)
[73]
- Le patriarche Youhanna Al Safrawi, de la famille Al Bawab de
Safra-Kesrwan (oct.1648-dec.1656)
"حيث آليّة دفع الجزية تتّم من خلال دفع مبلغ مقطوع...مع الجماعات الدينية
أو الطوائف حيث يدفع رأس الطائفة عادة هذا المبلغ وهذا الأمر حسب تقريرنا
ومن خلال الحماية حصل مع بطريرك الموارنة...)د. عصام خليفة الضرائب
الثمانية في الغرف 16 بيروت2000
[74]
- -"Ce fut le Père Amieu, supérieur des jésuites en Syrie, qui négocia
avec père Celestino la question
de leur cohabitation séparée dans la même maison…En 1652, le nouveau
supérieur-le Père Poirresson, renouvela le contrat… surtout parce que
cette cohabitation facilitera le support des communes avaries de la part
des musulmans…"(Missions des carmes.p.158)
[75]
- Laurentius a S.Simone. Né à Ehden, le nom de sa famille n'est pas
signalé…Il entre au Carmel à Rome. Rentré au
Mont Liban, il se transfère à
Alep où il passe à meilleur vie.
Les Carmes dans la Vallée Sainte