Table des Matières

Table of Contents

Dr. Père Cezar Mourani ocd

Nouvelle Edition 2002

 

L'Architecture Religieuse de Cobiath (Kobayat) sous les Croisés

 

QUATRIEME PARTIE

 

Chapitre III

 

Originalités Maronites

 

 

La petite église semble avoir, extérieurement, la forme modeste des maisons qui l’entourent. Et, si ce n’était le petit clocher typique qui la surmonte, il serait, peut-être, difficile de la reconnaître dans la dense agglomération que formaient jadis les villages maronites.

Les antiques villages du pays étaient, souvent construits sous le signe de la densité. Les maisons, de forme rectangulaire, basses et humbles, étaient collées, littéralement, les unes aux autres. Les murs mitoyens étaient doubles: c’est-à-dire, on plaçait le mur d’une demeure collé à celui de l’autre. De petites baies perçaient les murs médians de façon à permettre une liaison continue dictée par les nécessités de l’état permanent d’insécurité conditionnait la vie du petit peuple. Soit voûtées, soit surmontées d’un toit fait de solives et de chaume, les maisons étaient couvertes de terrasses en argile pressée. Les édifices encapuchonnés de tuiles rouges étaient fort rares.

Mises à part quelques grandes églises, les maisons en tuiles pouvaient, seulement, appartenir aux notables du pays.

Malgré la simplicité de son aspect extérieur, l’église maronite appliquait, normalement, les canons de l’architecture traditionnelle. Celle-ci présente certains traits originaux, tout en étant soumise aux données de la tradition syrienne locale. En résumé, l’art syriaque peut être défini, nous l’avons souligné plus haut, comme un amalgame de traditions syriennes et de particularités maronites.

 

 

 

A - Cloches et Clochers:

 

“Le droit de Dieu est véridique!” s’exclament nos vieux paysans, à chaque fois qu’une cloche d’église sonne. Comment la voix du Seigneur parvenait-elle aux oreilles des fidèles? L’appel à la prière s’est-il toujours fait au moyen de la cloche?

La cloche semble avoir fait sa première apparition en Europe au cours de Vème siècle[1].

En Syrie, affirme le Père Boutros Daou[2], il est communément admis que l’usage des cloches dans les églises ne fut pas instauré avant le VII ou le VIII s. C. Enlart écrit, à son tour: “les cloches n’étaient pas en usage en Syrie avant l’arrivée des Croisés bien qu’elles fussent adoptées dès le IX s. dans d’autres parties de l’Empire d’Orient[3].

Le Patriarche Addouaïhi écrit à ce propos: “les naqous (tocsins) sont placés dans la nef pour appeler les fidèles à se réunir pour la prière. Ainsi que les rois ordonnent de sonner du cor lors des batailles, les pères ont ordonné aux diacres de sonner du tocsin pour combattre l’ennemi...”

“…Dieu a ordonné au peuple d’Israël de les (les Naqous) utiliser comme les cors dont sonnaient les prêtres pour appeler le peuple et battre l’ennemi… (Deut. 10/1)”[4].

Comment faisait-on, alors pour appeler les fidèles à la prière?

Avant la libération de l’Eglise par Constantin, l’appel à la prière devait se faire très discrètement, vu les menaces qui pesaient sur les fidèles. Les communautés étaient généralement composées d’un nombre très restreint de “:frères”, aussi l’heure du partage eucharistique ou bien la venue d’un apôtre s’annonçait-elle de bouche à oreille; plus tard, le christianisme devenant prépondérant, il a fallu trouver d’autres moyens: des tours dressées séparément ou bien placées aux côtés de l’église permirent d’appeler, à la voix, les chrétiens à la prière. Durant la journée, il fallait faire parvenir la “vox Domini” aux fidèles dispersés dans les champs. On inventa le naqous “composé, au dire, de HC Butler, de poutres de bois qui se heurtaient avec un son profond”[5]. Butler insiste sur le dispositif qui couronne la tour isolée du couvent de Qassre-el-Banat en Syrie, où deux arches robustes traversent la salle, arches auxquelles a pu être suspendu l’instrument[6]. D’origine monacale le naqous restera longtemps le seul moyen employé par les moines pour marquer les grands moments de la journée. Certaines communautés religieuses, les Carmes déchaussés par exemple, font usage jusqu’à présent d’un instrument beaucoup plus petit mais parfaitement identique à l’ancien naqous: Les tablettes (Traccola).

Au témoignage de Addouaïhi, l’emploi du naqous en bois, persista jusqu’à l’établissement du Royaume Latin d’Orient. Les naqous en bois furent alors remplacés par des instruments en fer et ceux-ci firent entendre leur premier son vers l’année 1112[7]. Quant aux cloches, importées ou fondues sur place par les colons latins, “elles durent être longtemps rares, car plusieurs églises n’ont reçu de clochers qu’après coup”[8]. (Voir annexe).

 

- Les clochers:

Dans l’économie de l’architecture religieuse maronite, le clocher constituait un élément secondaire rarement intégré dans le plan de l’ensemble.[9]. Ceci est fort compréhensible puisque, comme nous l’avons vu plus haut, l’usage des cloches a été emprunté aux Latins du XII s. “non enim hujusmodi soni aut signa visa vel audita sunt ante hos dies in Jerusalem”[10]. Cette secondarité du clocher doit-elle, cependant, signifier son ignorance ou son inexistence dans l’Eglise de Syrie?

Jean Lassus a conclu qu’un certain nombre d’églises syriennes, datées de la période qui précède le VII s., ont de véritables clochers[11]. Pourtant, ces tours sont, généralement isolées ou bien, harmonieusement raccordées à l’ensemble comme la tour du monastère Saint-Georges à Sameh (Syrie du Nord) datée de l’an 624. L’art du clocher partie intégrante d’un plan d’ensemble, appartient aux périodes postérieures. Dans les églises maronites de l’époque croisée, les cloches, au rapport de C. Enlart, seront fort rares- plus rares seront encore les clochers dont on ne retrouve plus aucune trace si jamais ils ont existé.

Les Francs, par contre, ont élevé beaucoup de clochers: le seul souvenir qui en vit jusqu’à présent, c’est le petit clocher du monastère de Belmont au sud de Tripoli: “édicule carré bâti après coup sur la voûte de la nef…”[12]. D’autres églises, comme celles de Tartous et de Beyrouth conservent la partie inférieure des tours. La grande mosquée de Tripoli garde encore intact, le beau clocher, au style lombard, de l’antique cathédrale franque, Notre Dame de la Tour.

Les clochers maronites, même les plus anciens, remontent généralement au XVIII s. Ces petits clochers, à caractère très particulier sont formés d’édicules carrés terminés par des arcades sur pieds-droits surmontés d’une coupole en pierre. Le clocher est, généralement, d’une exécution très soignée.

 

 

 

B - Abside et coupole:

 

La coupole est d’origine mésopotamienne et syrienne à la fois. Passée en tradition dans l’architecture syrienne, elle a été largement représentée par les maisons d’argile, de forme conique, disséminées jusqu’à présent le long de l’autoroute qui relie Homs à Alep.

La coupole n’est donc pas une création maronite, elle constitue, pourtant, un trait particulier de leur architecture.

“Les Syriens (du IV-VII s.) n’ont employé dans leurs églises, ni coupoles ni voûtes. Toutes leurs églises et leurs demeures sont couvertes de bois et de tuiles rouges. Ils ont, parfois, fait usage de la coupole dans la construction de leurs tombeaux comme ceux de Bizos et de Roueiha… ecc. Ils ont eu recours à la coupole en bois ou pyramide en bois, de forme octogonale comme dans l’église de Mar Simaan. Leur emploi de la coupole a précédé l’entrée de celle-ci dans l’art de la construction byzantine…”[13].

Plusieurs de leurs petites églises sont couvertes d’une seule coupole ou d’un dôme bas et aplati à la manière des mosquées moyenâgeuses de Tripoli. Citons à titre d’exemple l’église Mar Simaan de Jbaïl qui date de la fin du XII s.

La coupole est visible surtout dans la couverture des absides. Les sanctuaires syriaques ont employé soit l’abside semi-circulaire saillante à l’extérieur, soit, parfois, la demi-circonférence, à l’intérieur, enveloppée d’un ouvrage de forme octogonale. Les églises maronites de la période franque font un usage régulier de l’abside semi-circulaire libre ou prise dans un massif carré et couverte d’une calotte en forme de demi-coupole.

La coupole était régulièrement employée comme couverture des autels maronites; ceux-ci, dans les grandes églises, étaient surmontés d’une sorte de baldaquin, id. est de coupole sur colonnettes. Addouaïhi en fait (coupole et abside) des canons de l’architecture maronite[14].

Les monuments cobiathins ne font point exception à ces règles : leurs absides, dégagées ou empâtées, malgré certaines réparations malheureuses portent toujours leurs vieilles et admirables calottes en demi-coupole.

Quant à l’autel surmonté d’une coupole, bien qu’il n’existe plus, aujourd’hui, il devait normalement orner les sanctuaires cobiathins: une très belle table d’autel, rectangle de pierre sukkaré, percée de trous carrés pour recevoir les colonnettes du baldaquin, a été retrouvée, brisée et enfouie dans une vieille mastaba qui servait d’autel à Saint-Georges de Chouita.

La latinisation accélérée surtout par l’école maronite de Rome (XVIème.s.) a estompé la plupart des traits caractéristiques de l’architecture maronite et les églises du Liban tendirent de plus en plus à s’identifier avec des modèles imités. Absides et coupoles disparurent pour faire place à un sanctuaire au mur de fond vulgairement plat.

 

 

 

 

C - Peinture et sculpture:

 

Les Maronites appartiennent à une nation fondamentalement orientale, c’est-à-dire, profondément mystique; mysticisme qui, refusant tout commerce exagéré avec la matière, a fait une place prépondérante à la vie de l’esprit. Les conséquences de cette tendance furent graves sur le plan social. Fortement spiritualisée, la société syro-maronite, se développa à partir d’un noyau religieux: trois lignes de vie extrémistes en furent les conséquences: les Cénobites, les Reclus et les Stylites fleurirent autour de la souche monacale maronite[15]. Ce mysticisme fit que les Maronites ainsi que leurs confrères de l’Islam, refusèrent la pratique de la statuaire qui sentait alors l’odeur récente du paganisme.

“… Le fait de vivre sur une colonne, imaginé en Syrie, par le grand Saint-Siméon le stylite, au cours du Vème.s. revêt un aspect extraordinaire dans le mouvement cénobitique en Orient. Les stylites étaient des ermites vivant sur des colonnes qui avaient survécu à la destruction des temples païens. Leur but était l’union plus profonde avec Dieu. Ils passaient toute leur vie sur la colonne presque sans aucun mouvement…”

“… Les stylites… restèrent, sur les sommets des colonnes, loin des gens, mais, à la fois, en relation directe avec les soucis quotidiens de leurs contemporains. En vérité, ils étaient des apôtres par leur exemple et leurs paroles. L’aventure de ces gens “ivres de Dieu” a laissé une influence extraordinaire sur la population rurale qui accourait au pied de la colonne. Les stylites devinrent aux yeux de la foule un exemple surnaturel de l’amour de Dieu et de la persévérance dans la foi…”

“… Pour montrer aux païens, la grandeur du christianisme le peuple devait vivre la vie monacale et la spiritualité du stylite… en menant une vie communautaire axée sur la pauvreté spirituelle, l’abnégation, le travail manuel et la charité fraternelle…”[16].

Certains studieux ont accusé les premiers artistes syriaques d’incapacité artistique.“Rompus aux finesses de l’art décoratif ils avaient peu l’habitude de la figure humaine[17]. L’art syrien des premiers siècles s’est, sans doute, montré avare de représentations humaines. «Après avoir étudié les diverses représentations parvenues jusqu’à nos jours, nous devons avouer que la plupart manquent de finesse. Ces représentations sont souvent enfantines, et, parfois tellement schématisées qu’on peut à peine les reconnaître…”[18].

Pourquoi les représentations humaines sont-elles ainsi stylisées? Est-ce, vraiment, manque de talent?

La raison ne doit pas être recherchée dans l’incapacité des artistes syriens. Il faut plutôt retenir que “cette façon de représenter la figure humaine répondait à une théologie de l’image, c’est-à-dire à une représentation de thèmes religieux à travers des symboles…”[19].

Remarquons que le christianisme pénétra en Syrie avec un cachet bien marqué de Judaïsme. Aussi, les Judéo-chrétiens, comme les juifs, respectant la prohibition de la représentation de la figure humaine, recherchèrent-ils donc des signes souvent très compliqués dans l’expression de leurs croyances[20].

Ces normes du symbolisme chrétien de première époque, persistant jusqu’après l’avènement du règne latin, les monuments cobiathins ne dérogèrent point à ces règles, d’où l’absence totale de toute sculpture religieuse.

La peinture, par contre, joua un grand rôle dans l’art religieux maronite de la période franque.

L’intérieur de leurs églises était, généralement, couvert de très belles fresques. La beauté de l’appareil n’a pas empêché qu’on ait entrepris de le couvrir entièrement de peinture.

Deux thèmes président, généralement, à la peinture rituelle maronite:

-La figuration du “Deus Sabaoth” peinte sur la paroi intérieure du cul-de-four absidal constitue un sujet liturgique obligatoire. “Les Saints Pères peignaient le Dieu Sabaoth dans les absides des églises, assis sur le trône de majesté. Ils figuraient aussi, les faces des quatre animaux autour du trône avec les anges debout; ceux-ci lui offrent l’encens au milieu des lumières brillantes afin que le prêtre élève le regard vers lui alors qu’il offre les supplications pendant le mystère de la messe divine”[21].

“… Enfin on peint le Deus Saboath dans l’abside afin que le prêtre élève son esprit et ses offrandes à Dieu. Au-dessous de cette image et autour d’elle, on peint les personnages des anges et des saints auxquels les autels et les églises ont été consacrés. Sur le rideau de la porte (la porte royale) on peint saint Michel pour signifier au peuple l’interdiction d’entrer…[22].

“…Pour cela on peint le Dieu-Père sous les traits d’un vieillard vénérable…”

“…Dieu a établi, dans l’Ancien testament de peindre, dans le “Saint” les figures des Chérubins afin de faire connaître les anges au peuple…”

“…Ces anges étaient peints sous les traits de jeunes gens portant des ailes: leurs corps, leurs dos, leurs mains et leurs ailes étaient pleins d’yeux”[23]

-L’autre thème favori de la peinture liturgique maronite était “ la dormition de la Vierge”. L’Église de Maad, une des plus anciennes églises maronites du Liban (VII s.), conserve précieusement une fresque représentant le repos de la Sainte-Vierge: Marie est étendue sur son lit de mort, entourée des disciples tout tristes. Le Christ, debout entre deux anges porte dans ses mains l’­âme de sa Mère.

A Qannoubine, siège patriarcal à partir de 1440, une large fresque représente “Notre-Dame, la Sainte-Vierge”. Marie est couronnée, au ciel, par la Divine Trinité, alors que sur terre les patriarches maronites prient, rassemblés, autour de son lit de mort.

La même configuration se répète à peu près dans une fresque peinte sur le mur-nord du sanctuaire de Saidet-el-Ghassalé à Cobiath.

Mais au lieu de la Ste. Vierge la peinture, de dimensions réduites (55 x 35), représente le christ détaché de la croix et, posé, étendu sur son lit de mort. Au lieu de patriarches ou d’orants quelconques, ce sont deux anges qui attendent, aux coins du lit, le moment d’accompagner notre Seigneur dans son envol vers le ciel.

Ces deux thèmes de peinture rituelle illustrent parfaitement le fond de la liturgie eucharistique chez le peuple maronite[24].

“…Les images furent peintes du temps même du Sauveur. Saint Jean-Damascène et Adrien pape de Rome et beaucoup d’autres racontent que le Seigneur a envoyé son image au Abjar-roi d’Edesse. Cette image le guérit de son mal et la ville échappa à l’incendie et ceci d’après le témoignage de l’historien Augerius…”

“… Quand la puissance des infidèles diminua, leur domination s’évanouit et la religion chrétienne se répandit, Yazid fils de Abdelmalek, dixième des Califes omyyades à Damas, ordonna de supprimer les images des églises des chrétiens soumis à son autorité. Il avait agi, en l’an centième de l’Hégire, sous l’instigation d’un juif originaire de Laodicée de Tripoli..”[25].

 

 

 

 

D - Le Bema:

 

Le mot est grec dans le sens d’arche du tribunal. Employé souvent dans l’Evangile[26], plus tard, il aura plus d’un sens dans l’architecture et la liturgie religieuses. Il signifiera, d’abord, le trône de l’évêque, placé dans le sanctuaire; il indiquera, aussi, l’ambon dressé dans la nef, comme il indiquera, en troisième lieu, une estrade ou exèdre “attestée par un socle s’avançant dans la nef, au niveau du sol du sanctuaire; une ouverture spéciale du chancel en permet l’accès…”[27].

Sur cette estrade, il y avait un trône en pierre, entouré de six sièges à droite et de six autres à gauche ou s’asseyaient généralement l’officiant et ses coadjuvants. On y trouvait encore, une table, surmontée d’un Ciborium et d’un lutrin.

L’ancienne liturgie eucharistique maronite développait sa première partie sur ce béma placé dans la nef de manière à faire participer à la cérémonie les deux catégories du peuple: les femmes et les hommes[28].

“Chez les Jacobites, la nef des églises primitives comme celle de Kfarza, consacrée au culte de Mar Azazîl (fin V S.- début VI s.) était divisée en deux parties par un muret de 0,50m de hauteur: une partie était destinée aux hommes, une autre aux femmes…”[29].

“…Quant aux femmes maronites, elles se parent de politesse, de vertu et de piété. Elles portent des habits simples et longs jusqu’au sol, habits qui couvrent tout leur corps. Ces habits sont faits, le plus souvent, de coton blanc, violet ou bleu…”

“…Quand les femmes viennent à l’église, elles ne se mêlent pas aux hommes mais elles s’assoient séparées, à côté de la porte où les hommes ne les voient pas et où il leur est facile de sortir avant ces derniers, quand la prière est finie. A leur sortie de l’église, tous les hommes gardent leurs places…[30].

Ajoutons à ce propos, que la coutume d’une certaine séparation persiste jusqu’à présent dans les églises des villages. Normalement, la place des femmes pouvait être, soit à côté des hommes comme dans les églises à béma, soit derrière les hommes. Particularité à ne pas oublier: chacune des deux catégories du peuple avait son entrée particulière[31].

Le béma faisait partie intégrante de l’architecture maronite. Il est cité, à plusieurs reprises, par le patriarche Douaïhi dans Manarat-el Aqdas: “…Les estrades qu’on dresse dans la nef, sont placées, par les uns, au fond du vaisseau, par les autres, au centre de l’église; elles sont, parfois, situées au nord du chancel, pour y lire l’Evangile, les Epîtres, pour la prédication, la liturgie du Saint-Chrême, la célébration des martyrs et autres…”[32].

Le béma n’est pas une invention des Maronites bien qu’il fût adopté, d’une façon particulière et très tôt, par eux. La raison fondamentale, qui a poussé à l’adoption du grand béma au centre de l’église, n’a pas été la liturgie eucharistique, bien qu’on y ait observé parfois la présence d’une table d’autel[33]. La véritable raison c’est, en réalité, le recours au système des deux chœurs dans la prière liturgique[34].

 

 

 

 

E - Chancel et Rideau:

 

D’origine antique, l’usage de séparer le Saint des Saints de la nef était de tradition dans l’Eglise maronite.

“… Dès le commencement, les Pères ont séparé entre le Saint et le Saint des Saints par un mur en maçonnerie comme ils ont voilé le Saint par un chancel dont les portes s’ouvraient rarement sur la nef…”

“… Mais dans le Nouveau Testament, les Pères ont statué de ne pas interdire au peuple la vision des saints mystères vu la liberté que le Seigneur leur a acquise par ses souffrances…”

“…Le chancel s’érige au centre car notre connaissance de Dieu n’est pas parfaite…”

“…Le chancel s’érige entre la nef et le Saint…”[35].

Il ne s’agit pas, à vrai dire, de l’iconostase grec ou d’un mur de séparation: “Nos Saints Pères ont statué que les portes du chancel (Darbsin) soient ouvertes, que ses parois ne soient pas obstruées mais trouées à la manière d’un filet de sorte que tout le monde puisse voir les Saints Mystères. Mais ils ont, aussi, ordonné aux diacres de tirer les voiles, à des moments déterminés, par respect pour le Saint-Sacrement”[36].

Ce chancel ressemblait un peu à la grille d’un confessionnal, mais il était doublé d’un rideau.

“…Dieu a ordonné qu’il y ait deux rideaux dans le sanctuaire, l’un séparera la nef du Saint et l’autre séparera ce dernier du Saint des Saints…

Les portes du chancel doivent être ouvertes et ses murs ne sont pas obstrués, mais…”

“Nos saints Pères ont ordonné de tirer les rideaux par respect pour les Saints Mystères à certains moments de la prière’’

Lors de la récitation du Credo.

Lors de la Consécration.

Lors du partage de l’hostie.

Lors de la Communion…”[37].

Le système des deux chœurs:

D’après Socrates, le système des deux chœurs et des antiphones alternés dans le chant et la psalmodie liturgiques, est dû à Saint-Ignace l’illuminé (+107) “… Ignace, évêque d’Antioche en Syrie, troisième après l’Apôtre Pierre, bien qu’il a vécu avec les Apôtres a vu, une fois, les anges louer la Sainte-Trinité par des cantiques chantés par deux chœurs alternés.

Cette façon de psalmodier, vue en vision, il l’a confiée à l’Eglise d’Antioche d’où elle se répandit comme une tradition dans toutes les Eglises…”[38].

“Dans l’Eglise maronite, c’était tout le peuple présent dan la nef qui chantait en chœurs alternés. Le peuple formait dans la nef deux groupes, présent l’un dans la partie Sud et l’autre dans celle du Nord séparés antiquement par le béma. Sur ce dernier s’asseyait le clergé et c’était de là qu’on dirigeait la prière liturgique et la psalmodie antiphonale”[39].

La fonction du béma n’est donc pas eucharistique: c’est-à-dire, le béma n’a pas été créé pour servir de table d’autel même s’il le fut quelques fois.

Il a servi, surtout, à diriger le peuple dans le chant liturgique alterné, comme on y développait toute la première partie du symposium, c’est-à-dire la messe dite des catéchumènes. Le béma prit naissance dès le temps de Saint Maron (Ivs) dans les églises maronites de Syrie, puis il se répandit au Liban où il est visible, jusqu’à présent, dans les églises des antiques résidences patriarcales de Yanouh, (Vième.s.) et d’Ilige (caza de Jbail) en l’année 1120.

On en voit, encore, un tronçon antique parmi les décombres de Harbaara dans le wadi Khaled, comme une partie de l’ancien chancel se trouve en place dans l’église de Notre-Dame de Hadtoun (Jbail).

Les sanctuaires du Cobiath en conservent quelques traces. Nous citons, à titre d’exemple seulement, la chapelle Nord de l’ensemble de Notre-Dame de Qammaa récemment mise à jour. Elle garde encore, au niveau du point de décrochement de l’arc triomphal, les entraits aménagés, à l’origine, pour la traverse qui devait porter le rideau liturgique.

 


[1] Lassus Jean, Sanctuaires p. 236

[2] DAOU B., Histoire des Maronites, vol.III,p.197

[3] ENLART C., Monuments religieux des Croisés, vol.I, p.181

[4] ADDOUAIHI Est., Manarat el Aqdas vol, I, p. 127

[5] BUTLER H.C., Early Churches of Syria, Princeton 1929, p.236.

[6] BUTLER H.C., O.C. P 211.

[7] ADDOUAIHI Est., Annales, p.103.

[8] ENLART C., Monuments réligieux des Croisés, vol.I,p.182

[9] “L’église de St. Taddée, (Laba) à Bchannin- zawwyé n’en possedait point au début du 12èm. S. actuellenent elle porte une cloche. Mais le clocher, deux pierres parallèles, montées verticalement, crie sa mise ultérieure.

[10] ALBERT d’Aix, Rec. tome IV, lib. VI, p. 40.

[11] LASSUS J., Sanctuaires chrétiens de Syrie, p. 237

[12] ENLART C., Monuments religieux des Croisés, vol.I,p. 55

[13] DAOU B., Histoire des Maronites, vol.II,p.409.

[14] ADDOUAIHI Est., Manarat el Aqdas,vol.I,p.113.

[15] Cfr. à ce propos, les oeuvres des Pères Franciscains d’Alep dans la bibliographie générale.

[16] Père Jean SADER, “L’art Maronite commence par la Croix” dans la revue Almimbar, nov.1986,p.p. 92 - 93.

[17] LASSUS J., Sanctuaires chrétiens de Syrie, p. 286.

[18] FERNANDEZ Romuald, les Stylites Syriens, p. 202

[19] FERNANDEZ Romuald, Les Stylites Syriens,p. 202.

[20] TESTA E., Il simbolismo dei Giudeo-cristiani, Gerusalemme 1962, p. p. 259 s.s.

[21] ADDOUAIHI Est., Manarat el Aqdas, vol.I.p.104

[22] ADDOUAIHI Est., O.C., p.158

[23] ADDOUAIHI Est., O.C., p.156

[24] DAOU Boutros, Histoire des Maronites, vol.II,p.403.

[25] ADDOUAIHI Est., Manarat el Aqdas, vol. I,p. 156

[26] Mathieu, 19/28

[27] CROWFOOT J W., Gerase, p.184, cité par LASSUS J. dans, Sanctuaires chrétiens de Syrie, p. 207

[28] Cf. à ce prpos LAMMENS H. Vestiges Archéologiques du Liban vol.I p. 95

[29] POGNON, Inscriptions sémitiques de la Syrie, de la Mésopotamie et de la région de Mossoul, Paris 1907,p.42 s.s cité par DAOU, B. Histoire des Maronites, vol. II p.61

[30]KHATER, Lahd, Attaqalid Allubnaniah, p. 121

[31] DAOU B., Histoire des maronites vol. II; p. 57 ss.

[32] ADDOUAIHI Est Manarat el Aqdas, éd. Chartouni, Beyrouth 1895, vol I p. 125

[33] Lassus J. et TCHALENKO F., Ambons syriens, dans, Cahiers Archéologiques 1951, N°5,p.p. 76-78 - LASSUS J ., Sanctuaires chrétiens de Syrie, CSCS.1947, p.p. 103-109

[34] DAOU B., Histoire des Maronites, vol, II, p. 101

[35] ADDOUAIHI Est., Manarat el Aqdas, vol. I, p.p. 128-131.

[36] ADDOUIHI Est., OC. p. 101

[37] ADDOUAIHI Est., O.C., p.p. 135 - 136

[38] SOCRATES, Historia Ecclesiastica, VI, 8, PG Migne Tome LXII, colonne 692

[39] DAOU Boutros, Histoire des Maronites, vol.II p.p. 103 - 104

 

 

Table des Matières

Partie1-Chap1

Partie3-Chap1

Partie4-Chap1

 

Partie1-Chap2

Partie3-Chap2

Partie4-Chap2

Introduction

Partie1-Chap3

Partie3-Chap3

Partie4-Chap3

   

Partie3-Chap4

Partie4-Chap4

 

Partie2-Chap1

Partie3-Chap5

Partie4-Chap5

 

Partie2-Chap2

Partie3-Chap6

 
   

Partie3-Chap7

Conclusion

 

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