Table des Matières

Table of Contents

Dr. Père Cezar Mourani ocd

Nouvelle Edition 2002

 

L'Architecture Religieuse de Cobiath (Kobayat) sous les Croisés

TROISIEME PARTIE

Etudes Detaillées des Chapelles Cobiathines

 

- Chapelles Simples –

Chapitre 4

 

 LE PLATEAU DE CHOUITA

Les chateaux de Chouita - St.Georges et Daniel - ghozrata

 

 

Trois kilomètres de route, à peine, mènent du centre-ville, à travers le quartier populeux de Dahr, jusqu’au haut-plateau de Chouita. Belle perspective sur la ville de Cobiath.

 

Le regard embrasse, à l’entour, la totalité, presque, de la région. Le plateau est vaste: plusieurs dizaines de kilomètres carrés coiffent les sommets, de leur plate étendue, d’où le nom de Chouita ou la terre plate. A l’orée du plateau, laissant la ville en arrière, le regard entrevoit à l’Ouest, deux taches obscures. L’une, assez proche: les Saints Georges et Daniel; et l’autre plus loin, c’est Notre-Dame de Ghozrata. Plus loin encore et aux confins occidentaux du plateau, l’horizon est bloqué par les montagnes du Akkar et leur célèbre castel franc. A droite, le Ouadi Cham’aa, premier noyau d’habitation à Cobiath, s’étire de l’Est vers l’Ouest, séparant au Nord, le plateau de Chouita de l’antique casal de Sindiané. Au sud, une ligne montagneuse se dresse comme un rempart, face au Qammou’á. C’est Jabal-el Blat, la “montagne rocheuse”, couronné d’un bouquet verdoyant, alors que les flancs et le reste de la montagne gênent la vue par leur étendue rocheuse, brillant au soleil, de toute leur blancheur tachetée de quelques rares buissons de sapin. Qassre Mriq, Qassre Kleib, Mar Gergès, Saidet Ghozrata, quatre noms aux résonnances antiques: il y en a assez à fouiller sur ce vieux plateau araméen de Chouita.

 

 

Les châteaux de Chouita

 

Les ruines de Qassre Mriq et Kleb, occupent le centre de la partie orientale du plateau. La route actuelle, passant entre les deux fortins, ronge une bonne partie du côté méridional de Qassre Mriq.

 

 

Qassre Mriq :

Le vieux monument occupe une large bande de terrain entre deux légères éminences, évidées du Sud au Nord. C’est une construction carrée de 40 mètres environ de côté.

 

Son plan ressemble, globalement, à celui du monastère de Qinia. L’enceinte extérieure, dont il reste peu de choses, devait être flanquée de tours aux coins de l’enceinte méridionale. On peut repérer, jusqu’à présent, les structures inférieures de deux tours. Celle du Sud-Est, garde encore quelques assises en place. On remarque un large fossé au centre du carré restant de la tour. Celle-ci vient d’être éventrés par des fouilleurs clandestins induits en erreur par une méprise populaire qui confond le tombeau du célèbre général byzantin Marcien avec les vestiges de la tour de garde. La tour de l’angle Sud-Ouest est totalement rasée, et, il est à peine possible d’en retrouver l’emplacement.

 

On remarque, cependant, quelques pierres dispersées dans les parages immédiats.

A midi et à l’intérieur de l’enceinte, il y a une citerne qui peut être mise en service jusqu’à présent.

Des pans de mur, encore debout, délimitent les divers compartiments. On peut même observer à l’Est du bâtiment l’extrados d’une cave encore conservée sous les amas de débris.

Les bâtiments sont groupés dans la partie Est du Qassre alors que l’entrée principale devait se trouver au Sud.

L’accès donnait sur une cour intérieure de forme carrée dont on peut relever clairement les limites. La cour devait contourner, au moyen d’une large allée, à ciel ouvert, la partie Sud de l’ensemble, car on ne peut imaginer la citerne creusée à l’intérieur des logements.

L’appareil, enfin, du vieux Qassre, est grand, d’une taille assez fine et régulière. La pierre a dû être délitée sur les lieux-mêmes. Le banc rocheux qui s’étale à cent mètres, environ, à l’Ouest du moment, conserve, encore intacts, les vestiges d’une ancienne carrière. La roche est du type dit “Malaké”, un calcaire blanc, à la fois résistante et facile à tailler. La carrière se trouve placée à un niveau supérieur par rapport à celui du lit de pose des fondations, ce qui a dû faciliter le transport des pierres. Le choix de tels emplacements des carrières est, par ailleurs, fort commun,à la Syrie antique[1]. Plus encore, le choix du site, était souvent conditionné, entre autre, par la présence du matériau nécessaire à la construction.

En effet, on remarque, souvent, à travers le pays, que certains anciens édifices ont été élevés sur les esplanades créées par le délitement de la roche. Rappelons, enfin, que les pierres du Qassre et ce d’après le témoignage de Mgr-Zraiby[2],ont été démontées en 1870 pour être remployées ailleurs(a).

On vient de déterrer des tombes accolées, de l’intérieur, au mur Nord du Qassre. L’opération s’étant faite clandestinement, nous n’avons pu, malheureusement, examiner les tombes, avant leur destruction. Nous avons retrouvé un couvercle resté intact et quelques fragments d’os effrité. Le couvercle est fait d’une dalle unique (2 m x 0,90) à rebords biseautés. Dans la terre qui recouvrait les sépultures, nous avons repéré plusieurs morceaux de tuile d’un rouge délavé. Doit-on conclure, de là, que l’édifice était couvert, à l’origine, d’une toiture à tuiles surtout que “ I posti più ambiti di un’area cimiteriale furono quelli situati presso il recinto che spesso era munito di una tettoia” ( protectum teglata) [3] .

Les tombes sont -elles de la période byzantine, ou bien antérieure? Il n’est pas aisé de répondre vu l’état auquel elles sont réduites. Une page de Pasquale Testini pourrait jeter quelque lumière. “Le spoglie del martire come quelle di tutti i defunti; vengono deposte in una semplice tomba, ma ben presto  si contorna di sepolcri e diventa  centro di un santuario, intorno al quale si raccoglie talvolta una popolazione stabile.” (Testini P. Archeologia p. 135). Le cas décrit par l’auteur à propos des martyrs pourrait trouver ici une application judicieuse. Le fameux général, blessé à Koura, fut enterré à Chouita. Le fait est rapporté par le patriarche Douaihi : “ Marcien fut blessé dans ce combat; les soldats l’ont emporté au village de Chouita dans le pays du Akkar. Il y mourut. On le fête dans l’église élevée à son nom “ ( De origine, p. 134). Les habitants vénérant sa sépulture, célébrèrent dès lors l’anniversaire de sa mort. Ainsi ces tombes seraient-elles les sépultures de ceux qui voulurent avoir leur dernier repos aux côtés du martyr? Les tombes se trouvaient encastées dans une sorte de mastaba, laquelle, vue à plus d’une reprise, nous a toujours donné l’impression de constituer le parement intérieur du mur. Une fois, la fouille réalisée, un examen attentif du lieu nous a révélé que les tombes se trouvaient, effectivement, encastrées dans le mur exceptionnellement large sur ce côté du monument. La mastaba et le mur d’enceinte ne faisaient, en réalité, qu’un seul mur. Le second fait à observer, c’est que le couvercle de ces tombes est du type employé dans le “sepulcrum su divo” “…Un monolito a foggia di coperchio di sarcofago con duplice spiovente”. Cette description du Testini peut s’appliquer parfaitement au couvercle sus-mentionné et le cas échéant, les tombes reviendraient à la période paléo-chrétienne du pays. Dans ce cas comment expliquer le fait rapporté par Douaihi? La tradition appelle le monument “Qassre Mriq”. D’abord, le général s’appelait Marcien (Mouriqien) et non pas Marc (Mriq) Mouriq a été enterré à Amioun. D’autre part, dans le monument actuel, aucun indice ne laisse présumer de l’existence d’’une église. Serait-il alors, le cas d’envisager la pré-existence d’un monastère syriaque avec ses tours habituelles,-abraj-[4]. L’isolement du site est d’ailleurs significatif. La faction des Malakiés qui s’étaient ralliés à l’empereur, en profitèrent pour enterrer leur martyr et dresser sur sa tombe un “haikal “ dans le sens d’autel plutôt qu’église?[5] Il est vraiment hasardeux de reprendre les deux grands savants pourtant l’énigme y est toujours.

Une petite enclave: qui sont ces chrétiens qui ont vénéré le byzantin Marcien? Sont-ce les Jacobites? Sûrement non! D’abord les textes disent clairement Malakiés et les Jacobites ne l’étaient pas. Par contre, ces derniers menaient un front extrémiste, adversaire de Byzance[6]. Etaient-ils Grecs? Nous avons prouvé plus haut que parmi le peuple il n’y avait ni grec ni Maronite avant le huitième siècle. Tous les orthodoxes romains étaient ‘’Malkaniins”. L’évènement de 694 fut l’un des points de départ des divergences survenues plus tard.[7].

 

 

Qassre Kleib :

Trois cents mètres environ, à vol d’oiseau, en face et au Sud-Est du monument byzantin, un éperon se projette au sein d’une large conque aux rebords relevés et arrondis d’impression est étrange: le mamelon semble surgir, du fond d’un large fossé, ou bien, être planté au sein d’une plate étendue. L’entaille naturelle qui entoure le château paraît avoir été creusée pour l’isoler du reste du plateau. Il est fort probable que le site fut jadis entouré d’un bassin artificiel. Le ramassis d’eau hivernale trouve à s’évacuer sous la route actuelle  juste à côté de la tour Sud-ouest de Qassre Mriq.

 

A l’Est, le tell est relié au reste du plateau par une sorte d’isthme. C’est, d’ailleurs, le seul accès naturel au sommet du plateau. De l’aire centrale, le tell se dégrade en minces bandeaux jusqu’au fond de la cuve. Des ruines bouleversées parsèment les divers paliers et il est totalement impossible de s’y reconnaître. Les tessons de poterie disséminés un peu partout révèlent une habitation antique. On nous a parlé de la présence sur les lieux d’une pierre portant une inscription ancienne, notre recherche minutieuse n’a pas abouti.

 

La tradition témoigne de l’existence d’un castrum d’un château-fort: le Qassre Kleib. Le tell est aujourd’hui connu sous ce nom. Rappelons que les Ituréens maîtres de Chalcis (Anjar) étendaient leur impact sur le littoral phénicien avec Tripoli pour centre de ralliement et ce au moins jusqu’au règne de Domitien (fin 1er siècle). Peut-on penser retrouver dans ces débris les restes de l’un de leurs nombreux repaires montagnards? Les vestiges actuels sont peu significatifs pour un tel fortin.

 

Parmi ceux qui se sont attelés à l’étude de Chouita certains ont fait remonter le site à la 1ère moitié du onzième siècle à quelque émir de l’une des deux tribus arabes, les bnoukalb, ou les banou kilāb, Mirdasides ou Taghlibites: les deux opinions peuvent être vraisemblables, Nous pensonspar contre, que le site a dû être la résidence de quelque moqadam Kalbite, fameux clan nosairi طائفة الكبلية النصيرية) [8) Ces derniers, écrit Kamal Salibi, formaient la majorité des habitants au Akkar et à Dinnyé. (Salibi K. Tarikh, 18)“ Les montagnes d’Akkar et les environs d’Arkas étaient habités par des musulmans d’une secte qu’il nomme “Voumi” et qui ont, dit-il, de grandes affinités avec les Bathéniens, mais dans lesquels il faut voir, je crois, des Ansariés. “(Aboulfaradj cité par Rey, colonies, p.358). le p. Lammens reprenant Jacques de Vitry pèlerin de la première moitié du 13em s. affirme leur présence au Akkar et leur extension “descendus de la région de Akkar” vers le centre du pays. (Lammens, les Nosaïris…).

Quand même, les ruines actuelles ne disent rien, les documents non plus, la recherhe est ouverte… 

 

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Saints Georges et Daniel

 

1- Le Site:

L’ensemble cultuel des Saints Georges et Daniel est à moins de deux Kilomètres à l’Ouest de la région des châteaux.

Les chapelles se dressent dans un bosquet de chênes-verts, abritées par deux légères éminences. Elles sont à cheval entre deux versants de colline qui s’étagent en paliers cultivables jusqu’au fond des oueds. Le versant Sud s’ouvre sur un vallonnement assez large qui, prenant naissance quelques centaines de mètres à l’Est de la colline, se dirige vers l’Ouest en s’approfondissant. Le versant Nord descend en paliers assez réguliers longtemps avant de s’ouvrir en un large éventail sur la trouée de Cham’aa qui relie, entre deux lignes de crêtes, le Cobiath à la plaine de Halba.

De l’une des deux éminences qui protègent les chapelles, celle de l’Ouest, le regard embrasse un vaste horizon. Au Nord, on peut voir, sur le versant des  collines d’en face, à moins d’un km. à vol d’oiseau, les vestiges du fortin de Tybo et le village de Mejdal. Par temps clair, le château du Felicium est visible à l’oeil nu, alors que, dans le lointain se profile, comme un point blanc, le château de Safitha. Au Sud, on peut entrevoir le môle grisâtre du château d’Akkar tandis que, au Nord-Est, s’étale la masse claire du Crac des Chevaliers sur le vert sombre des montagnes de Nsayriés.

Le site est, sans doute, fort antique. Nombreuses sont les civilisations qui s’y sont succédées. Des vestiges de poterie, d’origines différentes, se retrouvent mélangés sur le terrain adjacent aux chapelles. A partir de la qualité de la pâte, de la cuisson et des couleurs, nous avons pu reconnaître des échantillons de céramique de la période gréco-romaine appelée communément classique, et, de la période médiévale, surtout d’époque franque.

 

2- La Céramique Médiévale :

L’absence de poterie intacte et l’état d’effritement dans lequel se trouvent les fragments dispersés à ras de sol, empêchent, faute de fouille, une étude sérieuse de la céramique du site. Des tessons nombreux témoignent, cependant, de l’emploi courant d’une catégorie de céramique dite “glacée”[9]. Un lot de fragments recueillis sur le terrain et un examen, même sommaire, de cette céramique, nous permettent, de distinguer deux groupes à partir du décor.

a-  le premier groupe est à décor essentiellement géométrique, utilisant des motifs en guirlande et des lignes ondulées.

La pâte est rouge, de texture granuleuse fine, comportant de fines inclusions blanches; elle est très bien cuite. Un engobe blanc, parfois brun pâle ou même rose, couvre l’intérieur de ces tessons. La glaçure qui les couvre intérieurement est d’un jaune verdâtre.

Deux traits caractérisent ce groupe: le décor négligé et la surcharge.

b- Le second groupe est, lui aussi, à décor géométrique, mais il utilise les cercles concentriques, les spirales et les médaillons. Les fragments de ce groupe sont tournés dans une pâte granuleuse fine, comprenant des inclusions grises, blanches et noires. Bien cuite, la pâte varie de couleur entre le gris pâle, le rouge clair et le jaune-orange.

A l’intérieur, les tessons sont recouverts d’un engobe blanc ou rosâtre et d’une glaçure de couleur jaune pâle. Deux motifs semblent s’y répéter d’une façon frappante: le premier est constitué d’un médaillon décoré de traits horizontaux surmontés de trois motifs en forme de V imbriqués, le second est un cercle coupé de lignes parallèles et légèrement ovales, entrecroisées deux par deux. Les angles extérieurs jouxtant le cercle sont surchargés de traits ondulés et superposés.

Autour de quelle date peut-on situer cette poterie médiévale? Selon l’opinion de Mr. Sarkis, elle doit se situer aux alentours du XIIIs.[10].

L’utilisation du site comme centre d’habitation remonte sans nul doute à une haute antiquité. Mais y eut-il jamais un lieu de culte païen ou bien fut-il, tout simplement un centre rural? Nous penchons pour la seconde opinion et ceci pour deux raison. Nous n’avons réussi à découvrir aucun témoin de ce qui a pû être un temple, ou le moindre objet qui pût être au service du culte païen. La chose est, par ailleurs, confirmée par la tradition locale qui garde un silence total à cet égard. Les vestiges rémanents remontent certainement à la période paléo-chrétienne. Par contre, les coordonnées d’une ancienne installation  agricole sont bien vivantes.

 

3- installations agricoles:

Chouita fut un centre rural d’importance. A côté du site des Saints Georges et Daniel, s’élevait une installation industrielle prospère. Nous pensons qu’une importante agglomération humaine vivait sur le plateau, agglomération du genre appelé par G. Tchalenko un “village antique de la Syrie”.

Le village est toujours répérable. Il couvrait le versant méridional de la colline coiffée par les chapelles. Des maisons, par groupes, s’étalaient en paliers descendant jusqu’au bas du mamelon. D’autres s’élevaient au-delà des chapelles, grimpant vers la colline septentrional. Des chapitaux en Pierre, à bras ouverts gisaient sur le sol. Nous en avons transporté quelques uns à l’école des Carmes à Cobiath où ils sont toujours exposés parmi d’autres, dans les jardins de l’établissements.

Qu’il y eut, cependant, une installation industrielle dans le voisinage immédiat des chapelles, le fait, comme nous le verrons, n’est sujet à aucun doute: il s’agit, en réalité, d’une huilerie assez vaste et bien organisée et d’un pressoir à raisin.

 

A- Pressoir à raisin:

A cent mètres, environ, des chapelles, le mamelon oriental est fait d’une vaste lame rocheuse qui, s’allongeant de l’Est, s’abaisse, à l’Ouest, en pente douce vers l’entaille où le site des chapelles est encastré.

Les divers éléments constitutifs du pressoir ont été taillés, graduellement, à même le rocher. Tout là-haut, vers la crête, nous distinguons le concasseur ou le “moulin“: Celui-ci est formé d’une large assiette adossée, vers l’Est, au rocher. L’arbre était encastré dans des mortaises creusées de part et d’autre du rocher. Le rouleau, enfilé dans un arbre horizontal, devait ainsi tourner sur lui-même pareil aux roues d’une voiture. Les fruits, ainsi brisés par le rouleau glissaient avec leur jus dans une vasque large et peu profonde qui, à son tour, versait son contenu dans un bassin peu profond et au goulot évasé.

Ainsi, de vasque en vasque, le raisin écrasé et pressé par d’autres rouleaux dont on voit encore plusieurs sur le terrain abandonnait son résidu. Le jus clarifié et filtré était transvasé dans d’autres petites vasques creusées dans le banc rocheux aux côtés du pressoir.

(a) “le raisin a son propre pressoir… Ce pressoir se fait, le plus souvent, dans les vignobles pour faciliter aux viticulteurs le transport de leurs vendanges. Il y en à de ceux qui le font dans les villages si les vignobles sont à proximité…

Les éléments constitutifs, les plus importants, d’un pressoir sont: la place, le rouleau et la citerne.

la place est formée de trois aires contigües  séparées par des murets de 70 - 80 cm. de hauteur. Leur sol est, soit formé par la roche naturelle, soit couvert de dalles ou-bien d’une couche de chaux. On y étend le raisin; on répand dessus un peu d’argile blanche, puis on le piétine jusqu’à répandre son jus par un déversoir pratiqué sur le côté antérieur lequel s’abaisse jusqu’à une citerne creusée devant.

On amasse le raisin concassé au centre de l’aire et on le presse au moyen d’un arbre enfoncé dans une entaille du mur postérieur : A l’autre bout de l’arbre, on suspend un grand rouleau de forme ovale…’’[11].

 

B- Installation huilière

La plate-bande rocheuse qui s’étend au pied du pressoir à raisin s’allonge bien en avant vers l’Ouest. La totalité du sol rocheux était presque couverte d’une couche de terre drainée de la colline par les eaux pluviales. Comme d’habitude, les fouilleurs de nuit, leurrés par le trou de l’arbre à forme de croix, ont mis à jour une installation huilière complète. A l’extrémité du terrain, tout près du muret occidental on voit le bout du pressoir qui se dresse encore dans son assiette. La vasque et les concasseurs n’ont pas encore été déterrés, mais le bassin où l’on reposait l’huile existe toujours juste à la lisière Nord du terrain L’olivier est aujourd’hui totalement absent du haut-plateau mais sa culture devait, autrefois, être fort prospère surtout sur les pentes des collines avoisinantes puisque certaines d’entre elles, en portent encore le nom (Mrah-Ezzeitoun).

L’eau est rare à Chouita; la grande eau d’irrigation n’existe pas.une petite source au Sud du plateau, L’eau surgit au creux d’un ravin peu profond à quelque certaines de mètres des chapelles. L’été, il n’en reste q’un mince filet une autre, ‘’Aïn Chouita’’, se  trouve encore à cent mètres au Nord du plateau la source était aménaçée en ‘’qabou’’. Elle vient d’être rasée au sol. Ceci explique le grand nombre des puits creusés un peu partout. Nous en avons dénombré sept, dans le voisinage de la seule huilerie. Des rainures canalisant l’eau de pluie vers les citernes, à partir d’assiettes amenagées sur les hauteurs, sillonnent les pentes du banc rocheux.

 

4- Constructions Anciennes :

Entre deux éminences rocheuses, un espace rectangulaire (100 x 30 m.) s’allonge d’Est en Ouest.

Actuellement c’est un champ cultivé. Il doit, en réalité, s’agir d’une dalle rocheuse compacte, et la terre, qui constitue le sol cultivable, n’est qu’un cumulus d’apport alluvional. On remarque, en effet, des saillants rocheux pointer à travers le champ et plus d’une citerne ouvre sa gueule béante dans le sol. Les deux pentes, Sud et Nord, s’affaissent d’une manière abrupte. La falaise Sud s’ouvre sur l’esplanade ombragée qui porte le lit des chapelles. En contre-bas de l’esplanade, toujours au Sud, et à deux mètres de décalage, un long ruban de terrain plat conserve encore de vastes ruines- celles-ci alignent, d’Est en Ouest, une série de salles rectangulaires tombées en ruine. Les salles, juxta-posées et appuyées au mur de l’esplanade ouvrent leurs portes sur une même allée.

Nous avons déjà signalé la présence de cette série de salles aux côtés d’autres églises, comme l’église Mar Mama à Eddé- Batroun; elles devaient servir soit à enseigner les enfants du village, soit à loger le clergé, soit à recevoir les récoltes du domaine.

Les lambeaux des murs, couverts de décombres, sont faits d’assises à gros appareil mais de taille fine et régulière. Les structures de ces ruines semblent beaucoup plus anciennes que celles des chapelles voisines et d’une facture différente(=taille, forme et matériaux). Plusieurs légendes populaires ont mythifié le passé du site. Nous en retenons un trait qui pourrait constituer le point de départ d’une réalité: l’existence d’une crypte sous le lit actuel des chapelles.

Un vieux campagnard, affirmant avoir participé à une fouille clandestine, nous a indiqué l’emplacement de l’accès qui doit conduire à la crypte.

D’après le même témoin, il faut rechercher cet accès au pied d’un vieux chêne, à quelques mètres à l’Ouest de la façade actuelle de la chapelle de Saint Georges [12]. A l’Est de l’abside, d’autres “ chasseurs aux trésors “ viennent d’exécuter une profonde excavation. Le détritus noir mêlé de fragments de poterie diverse et de pierres de taille, démontre une terre d’accumulation.

 

5- La Nécropole :

La nécropole du site creuse ses hypogées dans la paroi de la falaise Nord à 30 mètres des chapelles. Les tombes semblent être nombreux, mais la plupart sont ensevelies sous une accumulation de terre alluvionale.

 

6- La Tombe Ovale :

L’une de ces tombes, qui dut être fouillée autrefois, se présentait à l’extérieur sous un aspect particulier. Croyant à une fontaine antique, nous dépouillâmes le lieu, de la broussaille et des détritus accumulés. Ce n’était qu’une tombe mais d’un type original: en forme d’œuf. Une courte et large allée mène à une sorte de mastaba. Le tout, aménagé dans le même banc rocheux, prend l’aspect d’une cavité hémisphérique évasée vers l’extérieur. Au milieu de l’entaille, une surface lisse, faite verticalement à main d’homme, s’ouvre béante sur l’esplanade: Ce n’est que la porte de la tombe. Cette porte de forme rectangulaire(0,85 x 0,60 m.) est surélevée de vingt centimètres du niveau de l’esplanade. Elle est surmontée d’un tympan grec sans pied-droit. Prenant à l’extérieur l’aspect d’un “loculum cum centina arcuata”, la tombe se présente à l’intérieur sous la forme parfaite d’un oeuf géant dressé sur sa pointe la plus large.

Au rapport de P. Testini “il sepolero ad arcosoglio“, ou mieux, “il loculo con centina arcuata” est d’origine orientale. Des tombes semblables ont été étudiées par le même professeur, au cimetière de san Pancrazio à Rome. La date de l’une d’elles, affirme l’auteur, doit être située aux alentours du III s. “In un cubicolo del terzo secolo detto di Botrys da una iscrizione greca, si notano caratteristici loculi con centinatura superiore a forma di arcosolio[13].

 

 

 

Á l’exception, cependant, de l’arcosolio, nous n’avons pu rapprocher la tombe ovale de Chouita de nul autre exemplaire dans le pays. Une chose, pourtant, paraît être vraie: cette tombe est de forme typiquement chrétienne si l’on se base simplement sur le thème de l’œuf symbole christique par excellence.

 

7- L’Eglise :

Elle se compose de deux chapelles contigües. De dimensions presque égales, les chapelles sont en retrait l’une par rapport à l’autre: la chapelle Sud, légèrement plus grande, devance largement celle du nord.

Les chapelles ont un plan semblable. Ce plan comporte un vaisseau unique couvert d’une voûte en berceau légèrement brisé et terminé par un sanctuaire à abside unique de forme semi-circulaire couverte d’une calotte en cul de four. Deux ressauts raccordent la nef et l’abside.

Les chapelles sont régulièrement orientées. Le décalage entre elles laisse un vaste espace soit entre les absides, celle de la chapelle Sud n’a que deux mètres à peine de recul par rapport à la façade Ouest de la chapelle Nord, soit entre les corps mêmes des chapelles. Une esplanade, relativement large, s’étale entre le côté Ouest de la chapelle Nord et le flanc de la chapelle Sud.

 

8- La Chapelle Nord : Mar Dnyel (ST. Daniel):

Les dimensions intérieures de cette chapelle sont de (5,50 x 4,50) mesures n’englobant pas la profondeur de l’abside. Le rayon intérieur de celle-ci est de (2,20 m).

Le sol actuel de l’abside est légèrement surélevé par rapport à celui de la nef. L’intérieur de l’église vient d’être refait. Le mortier enlevé a mis à jour la paroi pierreuse. L’appareil n’est pas fin, il est parfois informe et porte les traces d’un ancien incendie. Ce dernier, serait-il celui de 1271 causé par l’invasion de l’armée du Sultan Baibars?

L’intérieur ne semble jamais avoir été retouché.

Tout au plus, on refaisait, de temps en temps, le badigeon bleu délavé qu’on apercevait avant la restauration de l’église. La façade Ouest, écroulée en partie, il y a quelque temps, vient d’être restaurée, (mais quelle horreur!) avec les dalles-couvercles des tombes déterrées à Qassre-Mriq de Chouita. L’intérieur était éclairé par la seule porte, aujourd’hui-agrandie, surmontée d’une petite baie rectangulaire.

L’abside, à présent complètement aveugle, devait avoir eu, jadis, la baie réglementaire qui desservait normalement les sanctuaires maronites. Cette baie, en principe symbolique- elle indique l’Orient, source de lumière - servait à aérer plutôt qu’à éclairer cette partie reculée de l’église.

Des niches évidées dans les murs de rive recevaient autrefois les qandiles (lampes à huile) et les livres sacrés. Les murs ont une épaisseur raisonnable, sensée supporter le poids de la voûte en berceau brisé et de la terrasse en terre battue qui la couvre. L’abside saillante ne possède aucun élément de décor à l’extérieur. Le seul décor intérieur est la moulure en biseau qui court le long de l’abside seulement, et, à la hauteur de la naissance de la calotte absidale. La paroi, jadis enduite, devait porter des peintures dont on relevait, autrefois, quelque trace. A l’extérieur, l’appareil des murs de rive est assez ordinaire sauf où l’on a renouvelé la pierre. Autrefois, aussi, on accédait à l’intérieur de l’église en descendant les trois marches d’un escalier de fortune fait de pierre informes. Des travaux de terrassement, exécutés dernièrement (mars /Avril 1985) ont abaissé le niveau du sol précédant la façade Ouest. Ceci permit une entrée plus normale, mais le remblai enlevé mit à jour deux choses nouvelles: d’abord, les infrastructures d’une construction ancienne qui dépassent au Nord et à l’Ouest le mur de rive Nord de la chapelle Sud. On découvrit, en outre, plusieurs tombes de type très courant dans le comté de Tripoli[14] Le corps, placé à même le sol, entouré d’une série de pierres dessinant un tracé de forme oblongue, était couvert de petites dalles. Parmi les os, on a relevé des boucles de ceinturon et une pièce de monnaie frappée aux armes des Lusignan. Peut-on penser à des sépultures de la période franque,ou bien, doit-on tout simplement faire remonter les tombes à la guerre de 1914- 1918 : D’après le témoignage des anciens de Cobiath, le choléra; appelée populairement “l’air jaune” faucha alors tellement du monde que, pour éviter les séquelles d’une sépulture normale dans les cimetières citadins, on enterra les dépouilles loin des centres habités.

 

9- La chapelle Sud : Mar Gergés (ST. Georges):

De dimensions, sensiblement égales à celle du Nord cette chapelle s’allonge dans le sens de l’Ouest, bien en avant, par rapport à sa voisine. Ceci fait que le mur mitoyen est assez court et prend naissance juste au point de départ de l’arc triomphal de la chapelle Sud. L’église n’est pas rectangulaire dans le sens strict du mot. Elle accuse plutôt une forme légèrement trapézoïdale dont la base la plus courte est formée par la façade Ouest. Celle-ci a été refaite, il y a quelque temps. Le mur de rive Sud accuse une triple superposition de constructions. La plus basse, le socle du mur, est certainement beaucoup plus ancienne; elle atteint la hauteur de deux et parfois trois assises, seulement. La seconde, a un recul, nettement sensible, vers l’intérieur. Les dernières assises avant la terrasse appartiennent à une construction, visiblement, plus récente. Comment peut-on, alors expliquer la présence d’un mur de rive construit à plusieurs reprises et par paliers successifs à côté d’une voûte multi-séculaire? Le fait n’est pas extraordinaire: l’effondrement du parement extérieur du mur n’implique point l’écroulement de la voûte, preuve en est l’âme des murs de Qalaat Tybo toujours debout. (Voir Photo).

Le mur a dû être refait, mais d’une façon tellement maladroite que, écroulé une seconde fois, il a été refait à nouveau. Les traces de ces réfections toujours lisibles, sont fort normales si l’on admet que la région n’a pas été épargnée par les tremblements de terre.

La nef est raccordée au sanctuaire par un simple ressaut: l’espace laissé entre l’extra-dos de l’arc triomphal et le cintre de la voûte est bien large. La calotte absidale, rabaissée d’une façon frappante, trace le dessin d’un demi-oeuf aplati et évasé.

La moulure en biseau grossier probablement préparé pour un stucage qui marque le point de naissance de la calotte absidale dessine une frise trop basse (environ un mètre ) comparée aux moulures des autres églises de la région, moulures dont le niveau dépasse, généralement, la hauteur d’un mètre et demi. Le fait doit trouver son explication dans un sur-haussement postérieur du sol.

Une sorte de mastaba, formée d’un ramassis de pierres informes, noyées dans un mortier quelconque, était collée à la paroi intérieure de l’abside à quelques centimètres de la moulure. Lors des derniers travaux exécutés dans l’église (Mars 1985), cet autel de fortune fut démonté. On y trouva une tombe accolée à l’abside: très probablement, la sépulture de quelque prêtre, coutume appliquée depuis une longue date chez les Maronites[15].

Le déblayage mit aussi à nu la partie intérieure de l’abside jusqu’alors voilée par la mastaba. L’appareil de cette paroi est d’un travail très fin qui contraste avec le reste de l’église. Il semble, en outre, continuer, de la sorte, au sein du sol, preuve que les basses assises de l’abside sont toujours couvertes par un remblai du sol.

Dans le bourrage de l’ancienne Mastaba-autel on a retrouvé les morceaux d’une table d’autel antique. C’est une dalle de  pierre rectangulaire(1 m. x 0,80 m.). elle est creusée, à ses quatre coins, de quatre entailles carrées. Le centre de la dalle porte une petite excavation qui contenait généralement, les saintes réliques.

Quatre croix pattées, tracées en creux, forment le dessin d’un carré autour du trou central placé lui aussi dans une cinquième croix.

Les quatre entailles des angles étaient destinées à porter les colonnettes qui soutenaient le baldaquin, couverture traditionnelle des autels maronites. Ce baldaquin avait, généralement, l’aspect d’une belle coupole de pierres.[16]

L’autel est surmonté de la baie habituelle. Cette baie est, aujourd’hui, aveugle bien qu’elle soit ouverte à ses deux extrémités.

La nef reçoit son éclairage par la porte d’accès et par plusieurs baies.

L’ancienne porte était exigüe, basse et étroite surmontée d’une petite fenêtre rectangulaire. Toute la façade, ayant été rénovée, la porte a été agrandie.

Deux autres fentes, situées au niveau du point de raccord de la nef avec l’abside, éclairent et aèrent l’église. L’une, placé dans le mur Sud, à 1,50 m. du niveau du sol, forme une véritable meurtrière.

L’autre, placée, juste en face, dans le mur Nord, à même le sol, pose un grand point d’interrogation autour de sa fonction. Elle n’est ni fenêtre, ni baie, ni meurtrière.

A quoi pouvait-elle servir? Probablement, c’était une porte latérale qui donnait sur l’esplanade précédant l’autre chapelle, avec un escalier percé à l’Est, dans le mur mitoyen (actuellement aveugle). Cette porte possède un linteau-monolithe basaltique, d’apport, décoré d’une belle croix antique pattée.

 

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GHOZRATA

 

 Il serait inutile de chercher le site sur la carte du Liban. Le village moderne est mentionné sous le nom de Mrahat (bercails). Une petite croix signale à peine l’emplacement d’une église: notre Dame de Ghozrata. Placée presque à mi-chemin entre la citadelle du Gibelacar et la région des châteaux à Chouita, quatre kilomètres à pied séparent à peine les trois sites.

Pour y aller de saint-Georges, on suit un tronçon de route vers le Sud-Est, on contourne un large vallonnement au nom de Mahallat, on traverse le plateau au pied d’une colline rocheuse dont le flanc Nord, fort large, berce dans ses pentes ensoleillées le dernier repos des anciens habitants de Ghozrata. Les chapelles de Notre-Dame, quelques centaines de mètres plus loin, à droite du chemin, s’effondrent à l’ombre du vieux bosquet de chêne-verts traditionnel.

 

1- Le Site :

L’emplacement de Ghozrata se situe sur l’un des passages obligatoires entre le Akkar et le Cobiath. La muraille montagneuse qui sépare les deux régions abaisse brusquement sa ligne de crêtes pour devenir un plâteau facile à traverser. Le site enfourche le dos d’un éperon, qui s’élance vers le Nord-Ouest, bordé de deux ouèds.

Le nahre Essinn, formé des eaux descendant de Qammou’a, dans la haute montagne, draine dans sa course tortueuse les sources de Akkar-el Atiqa. La vallée, large et profonde, aux charmes saisissants, s’évase à son début au Sud, pour devenir profonde et étroite à son point de jonction avec le fleuve de Cobiath et le Nahre-Oustouène au niveau de qalaat Tybo vers le Nord. Cette vallée, connue communément sous le nom de Akkar-el Atiqa, Akkar l’ancienne, n’est pas trop étendue, mais à travers sa longue histoire, elle a eu des pages fort glorieuses. Son renom ne provient pas seulement du célèbre château-fort, datant seulement du Moyen-Age, il s’enracine bien profondément dans l’histoire. Son ancien temple dédié au soleil-l’identification du monument reste, cependant, aléatoire- berça les premiers balbutiements des empereurs syriens, à l’avis d’un courant actuel d’historiens qui tendent à placer la naissance des Sévère, non plus à Arqa comme on l’a cru longtemps, mais bien dans le temple du soleil à Akkar-el Atiqa.

La passe Saint-Simon à Daoura, dominant à l’Ouest la dernière rampe avant le début de la descente vers la vallée, conservait intact, jusqu’à quelque temps, un tronçon de route romaine, route qui devait, tout naturellement, relier Arqa à Homs par Akkar-el Atiqa et le Cobiath.

Ghozrata, juché sur son éperon, regarde à l’Ouest le bas de la vallée au niveau de Sinn tandis que son territoire étale ses champs jadis prospères en oliveraies, bordé au Nord-Est par la profonde vallée de Mahallat. Notons au passage la présence des pressoirs et moulins à olives épars ça et là aux alentours des chapelles.

 

2- La Nécropole :

Si la croyance en la divinité constitue le chaînon de solidarité historique entre les hommes, cette solidarité se révèle aussi constante à travers sa foi inébranlable en l’immortalité de l’âme humaine “ parcelle de divinité déchue” ayant tout droit à être réhabilitée dans une seconde vie plus au moins transcendantale. Cette expectative innée dans l’homme a porté celui-ci à prendre soin de sa dernière demeure comme l’attention qu’il porta à la demeure des dieux. Cette attention s’explique d’une façon particulière dans le champ funéraire de Ghozrata. Les sépultures hypogéales sont disséminées un peu partout dans les vieux centres de la région: elles sont appelées “ Naous” par les uns et “ tombes Juives” par les autres. Mais la présence massive, soit des sépulcres soit des hypogées sur un même lieu de façon à former une véritable nécropole paraît un phénomène sans second dans le pays. Le champ funéraire couvre toute une dalle rocheuse sur le flanc de la colline, soit une plaque de forme allongée (500 x 300 m. environ), délimitée à son point culminant par la forêt. Vers le bas, la pointe Ouest est endiguée par les champs cultivables. La nécropole ne semble pas organisée selon un plan d’ensemble. Les tombes individuelles et les hypogées, pêle-mêle, se plient aux vicissitudes de la dalle rocheuse et au hazard des circonstances.

 

3- Les tombes individuelles:

Les tombes individuelles découvertes jusqu’à  présent dépassent la centaine. Plusieurs autres se laissent facilement deviner soit sous une couche de terre d’accumulation soit sous les buissons et la broussaille. Leur localisation n’est soumise à aucun plan d’ensemble: parfois elles se rangent en ligne horizontale sur un même banc rocheux. Souvent c’est un espace incliné qui en est littéralement couvert sans aucun ordre. D’autres fois c’est une tombe isolée qui semble rechercher le recueillement de la solitude.

Les tombes individuelles appartiennent au même type de sépulture, le type appelé  “sepulcrum sub divo “. Le couvercle est fait d’une dalle de 70 cm. d’épaisseur. La dalle est taillée de manière à être encastrée par le bas dans un lit de pose coupé sur les rebords de la fosse rectangulaire tandis que la partie supérieure du couvercle dépasse de 20 cm, généralement, la bordure de la cavité, alors qu’elle s’élève de 40 cm, au-dessus du niveau du sol. Les dalles parfaitement encadrées ont, toutes, des surfaces lisses. Nous n’avons pu relever aucun signe, inscription ou symbole qui puisse jeter des lumières sur leurs hôtes. Les cavités ne sont pas toutes identiques.

Taillées en creux dans les surfaces plates du rocher, elles ont généralement la forme d’une caisse longue et profonde. Certaines cavités comportent parfois une entaille creusée sur le côté oriental et qui semble devoir être destiné à recevoir la tête du mort. Les tombes sont généralement orientées. Quelques unes, cependant, s’allongent dans le sens Nord-Sud, orientation due probablement à la configuration du rocher.

 

4-  les hypogées :

Ils sont beaucoup moins nombreux. Deux, cependant, soumis préalablement à des fouilles clandestines, constituent deux types exceptionnels, comparés aux autres sépulcres semblables du pays. Le premier, creusé dans le flanc d’une vaste dalle rocheuse, prend à l’intérieur l’aspect d’un trèfle, type appelé “ sepolcro a tricore”. La porte rectangulaire, ornée d’une moulure grècque et précédée d’une entrée triomphale donne sur le sépulcre par un court escalier aujourd’hui remblayé. A l’intérieur la chambre funéraire englobe trois niches de dimensions égales avec le même genre de Loculi. L’ensemble explique parfaitement la forme d’une croix stylisée. Ce premier hypogée cruciforme est placé au centre de la première moitié de la nécropole en remontant la pente de la colline funéraire. Un large espace vide isole l’hypogée du reste des sépulcres. La terrasse de l’hypogée porte jusqu’à présent une khirbé informe. La pierre des assises est fort soignée et deux absides informes pourraient donner l’impression de deux chapelles jumelées et parfaitement orientées. Serait-ce le reste d’une église double, semblable aux autres chapelles du pays, ou bien, le vestige d’un martyrium comme on en rencontre ailleurs en Syrie, ou mieux une partie de l’ensemble appelé “monumentum cum hypogeo“! Seule, une fouille, faite toujours à temps, pourrait répondre à nos questions.

Le second hypogée, situé assez loin du premier, presque au sommet de la colline, est creusé dans un banc rocheux de fortes proportions. L’allée précédant l’accès est spectaculaire. Une porte relativement petite donne au moyen d’une pente à l’intérieur d’une salle presque carrée (4 x 5 m.). on doit se plier en deux pour pénétrer dans la chambre obscure. Mais, une fois que l’on est dedans, l’intérieur est fort reposant malgré l’humidité provoquée par l’eau qui, suintant du rocher, vient se déposer dans les loculi. Les bergers de la région en sont familiers pour y avoir souvent fait boire leurs chèvres à cette eau maintenant fétide. Le plafond est assez élevé pour permettre à un homme de s’y tenir debout malgré l’épaisseur de la couche de détritus qui comblent le fond. Six niches de dimensions inégales se trouvent encastrées dans trois des quatre parois de l’hypogée. L’une de ces niches comprend une double rangée. Les niches sont en forme d’arcosolium dont le centre repose sur des colonnettes, en pied-droit, sculptées en relief dans un cadre de style grec et de facture assez soignée. Un tronçon de dalle-couvercle, -les loculi ayant dû être couverts de dalles épaisses dont on voit les fragments sur le sol-, porte une inscription en lettres grècques. L’état tourmenté de la pierre nous a empêché de relever l’inscription in situ.

Un passage présumé, à la droite de l’entrée, relie, preuve lumineuse à l’appui, l’hypogée en question à un autre hypogée situé à une dizaine de mètres plus bas.

La liaison entre les deux chambres funéraires ne peut pas être expliquée par une anfractuosité naturelle puisque le passage offre, sans aucun doute tous les symptômes d’une exécution artificielle. Pourtant l’espace est tellement étroit qu’un chat réussirait difficilement à s’y faufiler.

Comment fut-il taillé au sein du même bloc rocheux? A quoi pouvait-il, surtout, correspondre?

Notons la présence d’une installation huilière semblable à celle décrite plus haut et parfaitement conservée dans le voisinage immédiat du premier hypogée. Tout près du pressoir, des sièges sont taillés dans le mur rocheux qui présente aussi une petite niche fort originale destiné probablement, soit à garder au frais une gargoulette d’eau, soit à abriter une lampe à huile(Sirage), usages jusqu’à présent en vigueur parmi les villageois de la contrée. Ce type de fabrique d’huile, comprend une série de bassins en gradins taillés dans le roc, de lourds montants destinés à l’arbre et des citernes actuellement remblayées. Sur le terrain adjacent on trouve de longs rouleaux de pierre pareils à des fûts de colonne fortement galbés.

Disons enfin que si notre version à propos de la nécropole est exacte, la superposition de différentes civilisations se révèle être vraie et nous ne sommes pas loin de retrouver l’empreinte médiévale dans la khirbé qui surmonte le premier hypogée, vestige d’une double chapelle antique.

 

5- L’Eglise Notre- Dame de Ghozrata :

Situées à un demi-kilomètre environ à l’Ouest de la nécropole, les ruines de l’église, dite Notre-Dame de Ghozrata vivotent à l’ombre d’un bosquet de vieux chênes témoins d’une civilisation en train de s’effacer sous l’effet des éléments et l’oubli des hommes. Ghozrata, remplacé aujourd’hui par le hameau de Mrahat, assista tristement au départ de son dernier habitant chrétien chassé par les événements meurtriers de 1958. Peuplé, aujourd’hui, de musulmans sunnites, ceux-ci vouent un grand respect à la “demeure de Mariam”. Mais, hors service, le vieux sanctuaire s’effondra et une ruine galopante effrite, sans pitié, ce qui reste du vénérable Mazar.

 

a- Le Plan:

L’église de Notre-Dame de Ghozrata se compose de deux chapelles juxta-posées, de dimensions presque égales, la chapelle Sud, légèrement plus petite (6,90 = 6,85 m) devance largement celle du Nord.

Les deux chapelles ont un plan semblable. Il comporte un vaisseau unique qui, à l’origine, devait être couvert par un berceau légèrement brisé et terminé par une abside coiffée d’un cul-de-four. Deux ressauts raccordent ces deux éléments. Les chapelles sont dûment orientées. Le décalage entre elles laisse un large espace entre les deux absides. Le sanctuaire de la chapelle Sud a deux mètres à peine de recul par rapport à la façade Ouest de la chapelle Nord. L’espace, laissé libre par le décalage entre les deux absides, est comblé de ruines antiques rendues informes par les débris accumulés. Ces ruines, s’étendant du Sud au Nord, constituent, très probablement, les vestiges de l’ancienne église paléo-chrétienne dont on peut admirer le beau linteau conservé jusqu’à présent. Nous pensons que le décalage si grand entre les chapelles est forcément effet de la présence de cet antique église à laquelle elles ont été ultérieurement accolées.

 

b- La chapelle Nord :

Les dimensions intérieures de cette chapelle sont de (5,60 x 3,40 m) mesures ne comprenant pas la profondeur de l’abside. le rayon intérieure de celle-ci est de 1,50 m. et son sol se trouve surélevé par rapport à celui de la nef, malgré le bouleversement causé par le récent effondrement de la terrasse. Le mur méridional de la nef est évidé en son milieu d’une arcature longue environ deux mètres. Nous n’avons pu en déterminer l’élévation à cause du remblai qui jonche le sol. Cette arcature, aujourd’hui aveugle, devait, à notre avis, donner accès à l’intérieur de la construction paléo-chrétienne. L’abside est, elle aussi, aveugle et la chapelle n’est éclairée que par le moyen de la porte et d’une baie rectangulaire qui la surplombe.

 

c- La Construction :

Elle est simple et faite de pierres de taille du type dit malaké, extraites de la colline voisine qui abrite la nécropole et où l’on peut remarquer les carrières jusqu’à présent. La pierre, assez grande, est convenablement appareillée. L’abside est encastrée dans un ouvrage carré ce qui donne au monument entier l’aspect d’un parfait rectangle(7,70 x 5,15 m). L’unique entrée, formée d’une porte fort simple, constitue, dans la façade Ouest, un rectangle sans décor surmonté d’un arc de décharge qui enveloppe le linteau monolithe qui en franchit l’ouverture sans consoles. Une baie placée au-dessus de la porte, constitue le seul éclairage visible de la nef. Elle est faite d’un rectangle intérieur, restreint vers l’extérieur en forme de meurtrière. La voûte n’est pas extra-dossée mais couverte d’une terrasse en terre battue dont on voit quelque reste encore en place. La chapelle n’est soutenue de nul contrefort, les murs de rive, larges de 1,08 m se sont avérés suffisamment résistants pour supporter les poids et pression de la surcharge résultant de la terrasse.

 

d-  Le Décor :

Il ne se manifeste à l’intérieur que par l’imposte moulurée qui court à la hauteur de la naissance de la voûte de l’abside, à 1,40 m de hauteur, du niveau du sol. Le reste de la nef n’offre aucun élément de décor, mais les surfaces devaient être couvertes d’une couche d’enduit dont on observe quelques traces fort délavées. A l’extérieur, aucun élément de décor architectural ne distingue les murs simples mais bien appareillés.

Il faut noter, cependant, dans le parement extérieur de la façade Ouest, la présence d’une pierre monolithe(2,05 x 0,40 x 0,30 ) insérée dans le mur. Partant de l’angle Nord-Ouest, elle se dirige vers le Sud dans le sens de la porte d’entrée à 1,50 m d’élévation du niveau du sol. Il s’agit probablement, comme nous l’avons déjà signifié, du linteau de l’antique église réemployé. Il ne porte pas d’inscription mais l’une de ses faces est gravée de trois lignes horizontales et ondulées qui embrassent une croix, du type paléo-chrétien, nimbée d’un cercle de 0,23 m de diamètre. Nous avons relevé la même croix sur un linteau appartenant à l’église de Trèz près Machta-elHelou à 25 km au Nord-Est de Safita en Syrie. D’après une inscription grècque, cette église-là porte la date de l’an 245 après J.C. Serions-nous, à Ghozrata, en présence d’un lieu de culte chrétien construit autour de cette date?

 

e- La Chapelle Sud :

De dimensions sensiblement égales à celle du Nord, cette chapelle est placée fort avant par rapport à sa jumelle. De ce fait le mur mitoyen, assez court, prend naissance quelques centimètres(0,45 m) à peine avant le point de départ des ressauts de l’abside, seul élément toujours conservé du monument écroulé. Le vaisseau unique devait être voûté en berceau légèrement brisé surmonté d’une terrasse en terre battue; ceci est déductible de la forme des murs de rive en partie debout. Le rectangle de la nef mesure (5,05 x 3,40 m). pourtant, il a permis aux architectes d’y placer deux portes d’entrée. L’une (0,60 m) dans la façade Ouest, est conservée jusqu’à la hauteur de trois assises seulement, et, permettait l’accès à l’intérieur de l’édifice à partir d’un escalier dont on peut discerner les gradins bouleversés.

L’autre (0,85 m) est percée dans le mur Nord, juste à l’angle Nord-Ouest, et débouche directement sur l’esplanade qui précède la chapelle Nord permettant une communication plus facile entre les deux chapelles.

La construction de l’abside semble poser un dilemme. En réalité, nous nous trouvons face à deux absides imbriquées l’une dans l’autre tout en gardant un espace vide de 0,50 m de distance entre leurs hémicycles respectifs et de 0,30 m entre les calottes de coiffe. Ces dernières sont posées l’une au-dessus de l’autre sans aucun lien apparent. Le mur du premier cul-de-four est percé en son milieu d’une baie rectangulaire assez grande. Elle apparaît, de prime abord, une fenêtre obstruée; en réalité elle forme le premier cadre détaché d’une porte qui enveloppe la seconde abside. L’escalier est obstrué par l’éboulement, mais la lumière d’une torche projetée à l’intérieur laisse entrevoir le dessin initial qui, après avoir pris la direction de l’Est, dévie vers la gauche pour aboutir sur la terrasse de l’autre édifice. Les murs de cette chapelle emploient les mêmes matériaux et la même taille de pierre que la chapelle précédente, pourtant le parement intérieur de la première abside semble mieux appareillé. La pierre, plus petite, présente des surfaces très polies, et, un soin tout particulier semble avoir été donné à l’équarrure des joints. Le pied-droit méridional de l’arc triomphal de la première abside montre sur certaines assises des caractères isolés qui, sans aucun doute, sont de simples marques de tâcheron déjà relevées sur d’autres ouvrages de la période franque.

Disons, enfin, que cet ensemble cultuel de Notre-Dame n’est pas au centre de Ghozrata. L’ancienne ville devait couvrir le plateau qui projette ses éperons sur le Nahre-Essinn face au fortin de Tybo et du château d’Akkar. Certain quartier devait vraisemblablement s’élever aux environs de l'actuel hameau de Mrahat car nous y avons pu relever la présence de tombes anciennes et suivre les traces oblitérées d’une église double dite de Mar Simaan.

Le site est aujourd’hui un weli,et,à l’ombre d’un vétuste bosquet, des sépultures musulmanes couvrent peu à peu le sol de l’antique sanctuaire chrétien. Quelle fantaisie du hasard ! Sur ce vieux sol du Akkar, les hommes, victimes d’une haine confessionnelle implacable se retrouvent pacifiés dans la mort.


[1] TCHALENKO G. Villages antiques de la Syrie du Nord, chap. VI.

[2] Cfr. à ce propos, le manuscrit précité

la partie la plus soignée du sérail de Biré et qui, jusqu’à présent, suscite l’admiration, accuse nettement son antique origine. Comme  on peut toujours remarquer les pierres remployées au Couvent, Mar Doumith, des Pères Carmes, à Cobiath même.

[3] TESTINI P. Archeologia Cristiana, édipuglia, 2da édizione, Bari 1978, p. 83

[4] Butler, Early churches, p. 210 sg. : Daou B. v.I. 410, vIII, 194-196

[5] Assemani; Billioteca. VI,p.507 texte latin.

[6] cf. Lammens, vestiges, v.II p. 44: Daou B. V I. P. 330

[7] D. Salloum a savemment développé le sujet, il serait utile de le lire op.cit. p. 77.

[8] M. Kerd Ali, v. III, p. 97

[9] SARKIS Hassan- Contribution p. 170.

[10] SARKIS Hassan- Contribution p. 178

[11] KHATER Lahd- Al’adat  vol. I, p. 138 -139

[12]  Nous doutons fort de l’existence de cette Crypte: la nature actuelle du sol n’en donne aucune idée.

[13] TESTINI P. Archéologia Cristiana, P. 187.

[14] SARKIS Hassan - Contribution p. 120

[15]  ADDOUAIHI Est. Manarat El Aqdas, p. 103.

[16] Ce baldaquin en coupole, assez grand, réduit plus tard à sa plus petite expression et sans aucune forme précise, fut placé à partir du XVIIIs. au-dessus du tabernacle qui surmonte le deuxième degré de l’escalier placé à l’Est de la table d’autel.

 

 

 

Table des Matières

Partie1-Chap1

Partie3-Chap1

Partie4-Chap1

 

Partie1-Chap2

Partie3-Chap2

Partie4-Chap2

Introduction

Partie1-Chap3

Partie3-Chap3

Partie4-Chap3

   

Partie3-Chap4

Partie4-Chap4

 

Partie2-Chap1

Partie3-Chap5

Partie4-Chap5

 

Partie2-Chap2

Partie3-Chap6

 
   

Partie3-Chap7

Conclusion

 

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